Canal de Suez : un chantier pharaonique uniquement financé par les Égyptiens

Pari tenu : un an tout juste après le début des travaux, le nouveau canal est inauguré ce jeudi 6 août.

Drapage de la nouvelle voie d’eau, près du port d’Ismaïlia © Hassan Ammar/AP

Drapage de la nouvelle voie d’eau, près du port d’Ismaïlia © Hassan Ammar/AP

Publié le 21 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

Sissi lors de la Conférence pour le développement économique de l’Egypte, à Charm el-Cheikh, le 13 mars © Brian Snyder/AP
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Égypte : le grand retour

Deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, voyage à l’intérieur d’un pays qui se cherche un avenir.

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«Cela semblait utopique, mais c’est finalement bien concret. Et j’y ai contribué ! » s’est écriée Sahar, une journaliste égyptienne, le 15 juin, lors de la visite du chantier du « nouveau canal de Suez ». Comme elle, des millions d’Égyptiens ont répondu à la souscription nationale lancée par l’État le 5 août 2014, en même temps qu’était donné le coup d’envoi officiel des travaux consistant à creuser, à draguer, puis à aménager une nouvelle voie d’eau et, en parallèle, à élargir le canal existant.

« Nous voulons que tous les Égyptiens détiennent des actions dans ce projet », expliquait alors le président Abdel Fattah al-Sissi, en demandant une participation de 100 livres égyptiennes (environ 10 euros) à ceux vivant dans le pays et de 100 dollars (environ 75 euros) à ceux résidant à l’étranger. « Peu importe ce qu’il faudra faire, ce projet doit être achevé dans un an » (au lieu des trois prévus initialement), promettait-il dans son discours. En moins de six jours, les 60 milliards de livres égyptiennes nécessaires au financement du projet étaient levés, dont 80 % auprès des particuliers.

Le nouveau canal est bien plus qu’une nouvelle voie navigable et un exploit d’ingénierie, c’est un catalyseur qui rendra les Égyptiens fiers et leur assurera un avenir plus prospère »

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400 entreprises privées et 25 000 ouvriers mobilisés

La planification et la partie technique de ce chantier pharaonique ont été confiées au cabinet d’ingénierie libanais Dar Al-Handasah (Shair and Partners) et à son bureau égyptien. Pour tenir les délais, 400 entreprises privées et 25 000 ouvriers ont été mobilisés, ainsi que le corps du génie de l’armée (qui supervise l’ensemble du projet). Les opérations de dragage ont été réparties entre des sociétés belges (Jan De Nul Group et Deme Group), néerlandaises (Royal Boskalis Westminster et Van Oord), américaine (Great Lakes Dredge & Dock) et émiratie (National Marine Dredging). Les ouvriers sont à pied d’œuvre jour et nuit. Ils ont même érigé une mosquée sur la berge Est. En face, la statue d’un aigle immense (l’un des symboles du pays) surplombe l’autre rive. Comme pour saluer le pari tenu…

Car le président Sissi s’apprête à inaugurer, ce 6 août, un an tout juste après le début des travaux, la nouvelle voie d’eau au port d’Ismaïlia, siège de l’Autorité du canal de Suez (SCA). La cérémonie devrait être « exceptionnelle », selon la campagne de communication inter-nationale lancée mi-juin par la SCA sous le slogan « De la Mère du monde [« Oum el-Dounia », surnom donné au Caire et à l’Égypte] à tout le monde ». L’occasion, aussi, de commémorer la nationalisation du canal par Gamal Abdel Nasser, le 26 juillet 1956, et de raviver le sentiment patriotique.

Un catalyseur

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« Le nouveau canal est bien plus qu’une nouvelle voie navigable et un exploit d’ingénierie, c’est un catalyseur, qui rendra les Égyptiens fiers et leur assurera un avenir plus prospère », souligne le vice-amiral Mohab Mamish, président de la SCA (lire son portrait ci-dessous), avant de passer le chantier et ses prouesses techniques en revue.

Si l’on a coutume de dire que le cœur de l’Égypte bat autour du Nil, son oxygène et l’essentiel de ses devises lui viennent de ce canal vieux de 145 ans. Chaque année y transitent 25 % du commerce mondial (selon l’Autorité du canal de Suez), soit environ 34 000 navires, dont 2 700 pétroliers transportant 29 millions de tonnes de brut (7 % du trafic pétrolier maritime mondial et 13 % de celui du gaz naturel liquéfié). En empruntant le canal de Suez pour passer de la mer Rouge à la Méditerranée (ou inversement), les équipages s’épargnent le contour de l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, économisant des journées de navigation. C’est aussi pour soutenir la concurrence avec le canal de Panama, qui doit être élargi d’ici à fin 2016, que le gouvernement égyptien a tenu à accélérer le chantier.

À la clé, la création de 1 million d’emplois d’ici à 2030, date à laquelle tous les projets devraient être opérationnels

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De nombreux avantages

Moyennant l’extraction de 260 millions de tonnes de sable, une nouvelle voie longue de 35 km a été creusée parallèlement au « canal historique », élargi quant à lui sur 37 km. De quoi permettre une double circulation des navires (contrôlée et orchestrée par satellite) sur un tronçon de 72 km, le canal s’étirant au total sur 193 km depuis Port-Saïd, sur la Méditerranée, jusqu’au golfe de Suez, qui borde la mer Rouge. Désormais, deux Suezmax (navires dont le tirant d’eau en pleine charge ne peut excéder 20 m, taille maximale autorisée pour transiter par Suez) vont pouvoir se croiser. Un tiers de la flotte mondiale de pétroliers nécessite plus de profondeur, mais peut néanmoins utiliser le canal à condition de décharger à Suez tout ou partie de sa cargaison (qui transite par oléoduc le long du canal) pour la récupérer à Port-Saïd.

Ces travaux vont permettre de réduire de onze à trois heures le temps d’attente des deux convois quotidiens transitant dans la direction nord-sud (jusqu’à présent contraints de jeter l’ancre pour laisser passer le seul convoi sud-nord quotidien), de doubler le trafic d’ici à 2020 (100 navires par jour) et d’assurer au pays des redevances annuelles de 13,2 milliards de dollars, uniquement en droits de passage, contre 5 milliards actuellement. Reste à savoir dans quelle mesure les travaux se répercuteront sur le coût, pour les armateurs, de la traversée de Suez, qui s’élève déjà en moyenne à 500 000 dollars pour un porte-conteneurs…

Un projet à long terme

Mais le programme de modernisation va bien au-delà des voies navigables. « Les investisseurs doivent bénéficier de services conformes aux standards internationaux, sinon ils iront voir ailleurs », précise Mohab Mamish.

Le projet de développement de la zone économique du canal de Suez (SCZone) comporte en effet de nombreuses autres phases avec, à l’horizon 2018, le percement de 6 tunnels (4 routiers et 2 ferroviaires), l’aménagement de nouveaux ports à El-Arich, Damiette et Port-Saïd, ainsi que d’une zone d’activités logistiques et industrielles de 76 000 km2 le long du canal : des entrepôts et des chantiers navals, une vallée technologique spécialisée en électronique près d’Ismaïlia et, à l’ouest de Suez, une zone industrielle ouverte à toutes les filières (pharmacie, pétrochimie, métallurgie, etc.), sans oublier le développement d’une vingtaine de projets piscicoles.

À la clé, la création de 1 million d’emplois d’ici à 2030, date à laquelle tous les projets devraient être opérationnels… Une aubaine pour le pays, dont le taux de chômage approche les 13 %. Reste cependant à trouver les financements : le coût total de l’aménagement de la SCZone a été estimé en mars à 15 milliards de dollars, qui, eux, devront être apportés par des investisseurs étrangers.

Un vice-amiral aux commandes

Spécialiste en logistique et aménagements portuaires, le vice-amiral Mohab Mamish a été nommé à la tête de l’Autorité du canal de Suez le 12 août 2012. Diplômé de l’Académie navale égyptienne, il a participé à la guerre de 1973 en servant à bord d’un sous-marin, avant de parfaire sa formation à l’étranger (États-Unis, France, Royaume-Uni, Chine…) et de gravir les échelons jusqu’à sa nomination, en 2007, en tant que commandant en chef de la Marine nationale – il siège, à ce titre, au Conseil suprême des forces armées. Hasard du calendrier, ce père de deux filles fête ses 67 ans le 6 août, jour de l’inauguration du nouveau canal.

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