L’anacarde ivoirien, du fruit à l’amande

Alors que 90 % des noix récoltées dans le pays sont vendues à l’état brut, l’usine Cajou des savanes, du groupe IPS, s’est lancée dans la transformation. Jeune Afrique a suivi le processus étape par étape.

Usine Cajou des savanes © Ananias Leki Dago pour J.A.

Usine Cajou des savanes © Ananias Leki Dago pour J.A.

Julien_Clemencot

Publié le 23 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

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Bouaké, début juin. La campagne de l’anacarde tire à sa fin, les camions se font plus rares devant l’entrepôt de l’usine Cajou des savanes (Casa). La filiale du groupe IPS (contrôlé par l’Aga Khan) a acheté 2 000 tonnes de fruits aux producteurs du nord du pays. Moins que prévu pour sa deuxième année d’exploitation, mais le prix des noix livrées à Bouaké (600 F CFA, soit un peu moins de 1 euro, le kilo) a doublé par rapport à 2014, faisant fondre la compétitivité de l’usine.

En cause : la baisse de l’euro face au dollar, devise de référence pour ce négoce, et la sécheresse observée début 2015 en Californie, l’une des principales régions productrices d’amandes et de pistaches, qui a poussé les industriels à acheter plus d’anacardes. « Durant le deuxième semestre 2015, le prix du produit transformé devrait lui aussi augmenter, nous espérons donc rentrer dans nos marges », explique Ashak Sheriff, directeur des opérations. Casa compte traiter 10 000 t de noix par an d’ici à 2019, afin de produire environ 2 000 t d’amandes décortiquées.

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Une culture récente

L’anacarde est une culture récente en Côte d’Ivoire – elle a été introduite dans le cadre de projets de reboisement -, et les fruits sont encore de qualité moyenne. En 2014, Casa a donc formé 1 063 producteurs aux bonnes pratiques, de la plantation à la mise en sac. Cette initiative sera-t-elle reconduite ? Peut-être. L’entreprise, qui s’approvisionne majoritairement auprès de grossistes, réfléchit à la bonne formule car, à l’heure actuelle, ses responsables ne sont pas sûrs que les producteurs conseillés leur vendront leur récolte. Et, parallèlement, l’État planche sur la création de son propre centre de formation spécialisé.

L’usine emploie actuellement 600 salariés, dont 80 % de femmes. La plupart sont payées en fonction de leur productivité et gagnent en moyenne le smig (60 000 F CFA).

Le jeu en vaut la chandelle. Car d’ici à 2020, le pays pourrait devenir le premier producteur mondial d’anacarde, devant l’Inde. Pour l’heure, plus de 90 % de la récolte ivoirienne (550 000 t en 2014) est vendue à l’état brut sur le marché mondial, mais les investissements d’IPS et du singapourien Olam (également implanté à Bouaké) dans des unités de transformation commencent à changer la donne. Pour Casa, cela n’a coûté que 3 millions d’euros, une somme relativement modeste qui s’explique par son installation dans l’enceinte de l’usine Filtisac, également propriété d’IPS, dont une partie de l’activité (fabrication de sacs en toile polypropylène et de capsules) a été délocalisée à Bouaké durant la décennie de crise.

« Pour l’heure, on ne fabrique pas encore un produit fini, déjà assaisonné », concède Ashak Sheriff. Mais le processus pour passer du fruit à une amande décortiquée, calibrée et stérilisée est déjà bien complexe.

Une technique délicate

Une fois pesés sur le pont à bascule, les poids lourds s’arrêtent devant l’entrepôt pour déposer leur précieux chargement de noix. Environ 40 t à chaque fois, conditionnées dans des sacs en toile de jute de 80 kg. Dans le hangar de 4 500 m2, chaque arrivage est étiqueté afin d’inscrire la date de livraison et la provenance. La traçabilité du produit sera assurée pendant toute sa transformation. Afin d’éviter les émissions toxiques, le chariot élévateur utilisé pour manipuler le stock fonctionne au gaz, « c’est impératif, car nos produits sont destinés à l’alimentation », indique un salarié.

La première étape du traitement des fruits débute par leur calibrage automatique selon quatre grades. Puis on les cuit à la vapeur pour détacher leur coque : trente minutes dans l’une des quatre marmites géantes suffisent, mais une nuit entière est nécessaire pour refroidir les fruits avant qu’ils puissent être manipulés. Car l’opération suivante est délicate. Il s’agit d’extraire la noix de son enveloppe sans la casser – brisée, elle perdrait 40 % de sa valeur. D’abord placés dans une machine qui coupe la coque en deux, les fruits sont confiés aux mains expertes d’une batterie d’ouvrières, qui ont toutes reçues une formation d’un mois.

Côté débouchés, l’essentiel de la production est vendue à des acheteurs européens et américains par le biais d’appels d’offres

80% d’ouvrières

« En plus des gestes techniques, elles doivent aussi souvent se réhabituer aux contraintes liées au fonctionnement d’une entreprise formelle. À commencer par le fait de venir tous les jours, y compris lorsque c’est le marché », explique Ashak Sheriff. L’usine emploie actuellement 600 salariés, dont 80 % de femmes. La plupart sont payées en fonction de leur productivité et gagnent en moyenne le smig (60 000 F CFA). Les meilleures, installées derrière des pupitres placés au premier rang, parviennent à décortiquer environ 30 kg de noix par jour à l’aide d’un petit couteau. Pour se protéger de l’acide anacardique sécrété lors de la cuisson, elles mettent des gants ou s’enduisent les mains d’huile de ricin.

Une fois la noix séparée de son enveloppe, il faut encore retirer la pellicule qui recouvre l’amande. Pour cela, les fruits sont soumis à une série de chocs thermiques. La noix présente alors un taux d’humidité compris entre 10 % et 15 %. Après huit heures de séchage, celui-ci va tomber à moins de 4 %, avant que l’amande soit à nouveau humidifiée. Une machine composée de petits rouleaux va ensuite retirer 40 % des peaux. Les ouvrières terminent ce travail, aussi fastidieux que délicat.

De la phase finale à la distribution

Arrive enfin le stade ultime de la préparation, qui consiste à classer les noix en 25 catégories en tenant compte de leur taille mais aussi d’éventuels défauts. L’opération requiert un œil affûté, et c’est un technicien indien qui forme actuellement les salariés à cet exercice méticuleux. Les 40 personnes qui travaillent dans cette section sont les seules à ne pas être payées au rendement.

Après avoir été séchées une dernière fois dans un stérilisateur, les noix sont emballées puis expédiées. L’usine s’équipera prochainement de son propre laboratoire d’analyse microbiologique. En attendant, les échantillons prélevés sont envoyés à l’antenne abidjanaise du suisse SGS, spécialiste mondial du contrôle. Si Casa n’est pas encore certifié par une norme ISO, l’usine a reçu en février celle de l’African Cashew Alliance. « Les acheteurs internationaux comme Kraft ou Walmart y sont très attachés », observe Ashak Sheriff.

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Côté débouchés, l’essentiel de la production est vendue à des acheteurs européens et américains par le biais d’appels d’offres. Et le marché local ? Il n’est pas oublié. Casa souhaite en effet développer sa marque en Côte d’Ivoire en proposant des amandes issues d’une deuxième transformation, mais aussi des produits dérivés comme le beurre, le lait et la pâte de cajou.

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