« L’État islamique » : maladie de la jeunesse mondiale
J’ai encore beaucoup à vous dire sur ce maléfique « État islamique » dont je vous ai entretenu ici même la semaine dernière.
J’ai rappelé que son avènement avait été annoncé au monde le 29 juin 2014 par un Irakien de 43 ans à la barbe noire et fournie qui s’est présenté à nous sous le nom d’Abou Bakr al-Baghdadi.
Il s’est alors autoproclamé chef du 1,5 milliard de musulmans que compte la planète et a pris le nom de calife Ibrahim.
Rien de moins.
Depuis cette annonce, « l’État islamique » s’est renforcé et consolidé. Il est entré dans sa deuxième année et le monde entier, Est et Ouest, Nord et Sud, le considère comme une force déstabilisatrice, hors de tout contrôle, cent fois plus dangereuse que toutes celles qui ont pu exister.
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Cette nouvelle génération de jihadistes – ses dirigeants ont la quarantaine, et ses troupes sont composées de trentenaires et de plus jeunes encore – s’est donné deux atouts négligés par ses prédécesseurs :
• La maîtrise d’internet, qui en fait l’organisation jihadiste utilisant le plus largement et le mieux la Toile, les réseaux sociaux et le numérique comme moyens de communication mondiale et de diffusion de son idéologie, et même comme arme pour faire la guerre cybernétique à ses ennemis.
• La fascination qu’elle exerce sur une fraction des jeunes du monde entier. Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux ont rejoint ses rangs, se sont convertis à son idéologie et exercent en son sein de hautes fonctions.
« L’État islamique » n’est plus seulement une secte islamiste et une maladie de l’islam ; il est en passe de devenir une maladie de la jeunesse mondiale.
Raison pour laquelle s’en occupent fébrilement les services de sécurité des États-Unis et de l’Europe. À n’en point douter, ils n’ont pas manqué de glisser parmi les jeunes qui rejoignent les rangs de « l’État islamique » quelques agents informateurs…
Ses dirigeants sont des sunnites irakiens, enfants de Saddam Hussein, convertis à l’islamisme le plus sectaire
Outre ces deux atouts décrits ci-dessus qui font son originalité, « l’État islamique » a pour caractéristique principale d’avoir comme dirigeants et corps central des Irakiens (et des Syriens) héritiers du Saddam Hussein des toutes dernières années.
Défait militairement d’abord par l’Iran (1980-1988), puis à deux reprises par les États-Unis (1990-1991 et 2003), Saddam s’est senti seul et démuni.
Il s’est tourné vers le Coran, qu’il brandissait à tout bout de champ, et vers l’islamisme, dont, faute de mieux, il a fait sa dernière arme. Après sa chute, en 2003, son parti, le Baas, et son armée furent démantelés par les Américains ; les plus jeunes et les plus aguerris de leurs éléments se sont alors lancés dans l’insurrection contre l’occupant américain et contre le pouvoir chiite qu’il avait installé.
« L’État islamique » proclamé en 2014 en est le produit : ses dirigeants sont des sunnites irakiens, enfants de Saddam Hussein, convertis à l’islamisme le plus sectaire.
Leurs ennemis, nombreux et puissants, sont ceux de Saddam Hussein : l’Amérique et ses satellites arabes – l’Arabie saoudite, le Koweït et les Émirats -, les chiites d’Irak et leur protecteur iranien.
L’Égypte s’alliera à l’Arabie saoudite contre lui. Bien que gouverné depuis un quart de siècle par une dictature militaro-islamiste, le Soudan préférera l’orbite américaine aux aléas d’un rapprochement avec « l’État islamique ».
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Ne restent ouverts à celui-ci que deux pays arabes : la Libye et la Somalie.
Mais l’une et l’autre ne sont plus ni des États ni des nations, se trouvent en Afrique et ont pour voisins des nations perméables au salafisme et au jihadisme.
Au Maghreb, c’est la Tunisie ; en Afrique de l’Ouest, le Mali, le Niger, le Burkina et le Nigeria et, en Afrique centrale, le Tchad et le Cameroun.
Chacun de ces pays est la cible de ce jihadisme inspiré par « l’État islamique » et armé par lui.
En 2015 et 2016, ce dernier sera donc un facteur de déstabilisation pour le Maghreb (le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie ne sont pas à l’abri), l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
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Mais, fort heureusement pour eux, ces pays africains ne sont pour « l’État islamique » qu’un théâtre d’opérations secondaire.
C’est le Moyen-Orient qui l’intéresse au premier chef ; sa guerre principale est dirigée contre les chiites d’Iran et d’Irak, contre l’Amérique, l’Arabie saoudite et les pays du Golfe.
Il se dit l’ennemi d’Israël, mais l’État hébreu ne fait pas partie de ses priorités. Quant à ce dernier, il considère « l’État islamique » comme un facteur de division supplémentaire du monde arabo-musulman et, surtout, comme l’implacable ennemi de ses deux grands ennemis : l’Iran et le Hezbollah libanais…
Il ne faut donc pas compter l’Israël de Benyamin Netanyahou parmi les adversaires actifs de « l’État islamique ». Son hostilité à la politique qui a conduit le président Obama à réconcilier son pays avec l’Iran demeurera l’axe principal de l’action extérieure d’Israël.
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Si nous ne le contenons pas, il s’étendra encore davantage, car il s’agit d’une sauvagerie que n’arrête aucune frontière.
Pour venir à bout de cet « État islamique », qui, sans le reconnaître, se pose en successeur de Saddam Hussein, les États-Unis ont besoin de l’Iran, et l’Iran a besoin des États-Unis.
Tous deux ont fini par dialoguer et esquisser le même genre de rapprochement qu’un prédécesseur du président Obama, un certain Richard Nixon, avait amorcé en 1972 avec la Chine de Mao.
Le 9 juillet, sous la plume de son ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, l’Iran a dit pourquoi les États-Unis et la République islamique devaient, à leur tour, enterrer la hache de guerre et instaurer entre eux une alliance qui ne dit pas son nom.
« L’Iran est prêt à signer un traité équilibré et juste qui ouvrira de nouveaux horizons et nous permettra de faire face ensemble à des défis d’une énorme importance.
Nous sommes ensemble sous la menace d’un extrémisme brutal qui gangrène le Moyen-Orient et menace l’Europe. Si nous ne le contenons pas, il s’étendra encore davantage, car il s’agit d’une sauvagerie que n’arrête aucune frontière.
L’Iran est déjà engagé dans cette guerre, mais il faut que d’autres s’y mettent.
Signer un accord avec l’Iran sur le nucléaire est, de la part de nos cocontractants, un choix historique : celui de la coopération et non de la confrontation. Nous pourrons ainsi, ensemble, transférer nos moyens là où ils seront utiles. »
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Vous le voyez : cet appel de l’Iran à la réconciliation est une offre explicite d’alliance avec les États-Unis contre « l’État islamique ».
Dès le 14 juillet, les États-Unis de Barack Obama ont répondu qu’ils acceptaient l’offre de l’Iran et saisissaient la main qui leur était tendue.
Mais une brouille-séparation de trente-cinq ans ne s’efface ni aisément ni rapidement : les États-Unis et l’Iran ne se retrouveront que peu à peu.
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