Obama au Kenya : le come-back du fils perdu
Pour la première fois en tant que président, Barack Obama s’apprête à se rendre au Kenya, le pays de son père. En dépit des espoirs placés en lui, il est loin d’avoir révolutionné les relations avec le continent.
La scène se passe en mai 2011, au sommet du G8, à Paris. À l’issue de la traditionnelle photo de famille, Nicolas Sarkozy fonce droit sur Barack Obama, sous le regard du Sénégalais Abdoulaye Wade. De la main droite, le président français fait signe à Karim Wade, qui se trouve en coulisses, de monter sur scène. Ce dernier accourt et se plante devant l’Américain, qui, coincé, n’a d’autre choix que de lui serrer la main devant les caméras du monde entier.
À l’époque, ces images avaient suscité l’indignation d’une partie de la presse sénégalaise, Abdoulaye Wade étant fortement soupçonné de préparer son fils à lui succéder. Et l’on redoutait que la présentation de Karim à l’homme le plus puissant du monde soit un pas dans cette direction. C’était bien mal connaître Obama. Comme la suite l’a montré, cette approche au culot est restée sans effet, si même elle n’a pas été contre-productive. Non seulement Washington ne modérera pas son hostilité aux projets de révision constitutionnelle d’Abdoulaye Wade, mais Obama n’hésitera pas à recevoir Macky Sall, son successeur démocratiquement élu l’année suivante, à la Maison Blanche, puis, en 2013, à lui rendre visite à Dakar, dans le cadre de sa première – et à ce jour unique – tournée en Afrique subsaharienne.
Certains n’ont pas voulu voir qu’il était avant tout américain »
On commence à mieux le savoir, le président américain est un animal à sang froid. Un cérébral qui déteste mélanger politique et affectif. La familiarité et les liens personnels avec les chefs d’État africains ? Très peu pour lui. Ceux qui ont cru que cet homme d’origine kényane (par son père) allait favoriser l’Afrique se berçaient de douces illusions. « Il y a eu un malentendu au moment de son élection, analyse Mamadou Diouf, le directeur de l’Institut des études africaines de l’université Columbia, à New York. Certains n’ont pas voulu voir qu’il était avant tout américain, et que, à ce titre, il ne pouvait pas ne pas faire siens les intérêts stratégiques traditionnels de son pays. Ensuite, il a été contraint de consacrer beaucoup de temps au redressement de l’économie américaine, qu’il a trouvée à son arrivée dans un état déplorable. Il n’a donc eu d’autre choix que de déléguer largement la politique étrangère à ses secrétaires d’État, Hillary Clinton, puis John Kerry. Et l’Afrique n’a pas fait exception. »
D’autant que les procès en sorcellerie qui lui ont été intentés par les ultraconservateurs concernant l’authenticité de sa nationalité et sa loyauté envers l’Amérique l’ont contraint à la prudence : impossible de prendre le risque inconsidéré de s’engager trop activement en faveur de l’Afrique subsaharienne. Au total, Obama s’y est donc rendu moins souvent que ses prédécesseurs. Son voyage à venir au Kenya et en Éthiopie ne sera que le troisième en plus de six ans, après le Ghana en 2009 et sa tournée de 2013 – le quatrième si l’on y ajoute son voyage en Égypte, en juin 2009, marqué par le célèbre discours du Caire, « A New Beginning » (« un nouveau départ »), censé contribuer à l’amélioration des relations avec les musulmans.
« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes »
Les entreprises américaines continuent de se désintéresser souverainement du potentiel de développement africain, à l’exception notable, bien sûr, des hydrocarbures. Et les initiatives d’Obama en ce domaine sont sensiblement moins concrètes que le plan présidentiel d’urgence de lutte contre le sida (Pepfar) lancé par George W. Bush, ou la loi pour la croissance et les opportunités en Afrique (Agoa) de Bill Clinton. Obama s’est certes attaqué à un problème majeur – l’immense déficit énergétique – avec un plan ambitieux baptisé Power Africa. Mais l’ampleur du défi est telle qu’il ne peut même pas rêver de le relever seul. Il est toutefois le premier à avoir réuni les chefs d’État du continent lors du sommet de Washington en 2014.
L’impact de son initiative en direction des « jeunes leaders africain », dont certains sont invités chaque année à la Maison Blanche (et reçoivent des soutiens de tous ordres, y compris financiers), pourrait en revanche avoir été sous-estimé. Nombre de ces jeunes responsables se retrouvent aujourd’hui à la tête de mouvements contestataires. De quoi inquiéter certains chefs d’État africains.
Tout cela n’a rien de surprenant si l’on se souvient de son passé de travailleur social dans les quartiers déshérités de Chicago. Fidèle à son discours d’Accra, en 2009 – « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » -, Obama a davantage soutenu les sociétés civiles que les pouvoirs en place. Et la diplomatie américaine s’oppose clairement aux chefs d’État tentés de se maintenir au pouvoir en changeant la constitution. « C’est vrai, mais lui, personnellement, évite d’engager son image, relève un diplomate français, excellent connaisseur des relations avec l’Afrique. Dans son discours au sommet de Washington [2014], il s’est gardé d’aborder le sujet de front. »
Après la mort de son père, à l’âge de 27 ans, le jeune Barack est allé seul à Nairobi pour renouer avec sa famille kényane
À vrai dire, cette attitude distante avec les hauts responsables étrangers ne concerne pas uniquement les Africains. De manière générale, « il s’en tient à de strictes relations de travail », écrivait le New York Times en mars. Selon plusieurs analystes, ses difficultés à coopérer avec le Congrès s’expliquent d’ailleurs, en partie, par son incapacité à tisser des liens personnels avec les parlementaires les plus influents. « C’est aussi un choix de vie, renchérit Mamadou Diouf. Quand vous êtes président et que vous vous engagez à passer beaucoup de temps chaque jour avec votre famille, cela laisse peu de place pour les mondanités. »
De ce point de vue, l’attitude du président américain est aux antipodes de celle de son propre père. Premier Africain admis à l’université de Honolulu (Hawaii) grâce à une bourse, Barack Obama Sr était un intellectuel doublé d’un homme à femmes que les engagements matrimoniaux contraignaient peu. Il jugera par exemple superflu d’informer Stanley Ann Dunham, la mère de Barack, de l’existence de son autre famille, au Kenya. Plus tard, après la naissance du futur président, il partira étudier à Harvard, où il fondera une nouvelle famille et délaissera définitivement la précédente.
Faut-il chercher dans cette enfance marquée par l’absence du père l’explication de sa relative indifférence à l’égard de l’Afrique ? La thèse est tentante mais simpliste. D’abord parce que Obama n’a pas grandi avec une mauvaise image paternelle. Comme il l’explique dans son autobiographie – dont le titre, Les Rêves de mon père, est à lui seul un hommage -, sa mère comme ses grands-parents ont toujours insisté sur l’intelligence et l’affabilité de cet homme venu de loin et parti de rien. Et Obama n’a d’ailleurs jamais renié ses racines africaines. Retrouver cette part d’identité fut même, chez lui, une volonté consciente et un travail de longue haleine. Après la mort de son père, à l’âge de 27 ans, le jeune Barack est allé seul à Nairobi pour renouer avec sa famille kényane.
Depuis son entrée à la Maison Blanche, force est de reconnaître que ces liens se sont néanmoins distendus. La branche kényane de la famille est, il est vrai, nombreuse et géographiquement éloignée. Et ceux de ses membres qui résident aux États-Unis ne sont pas toujours en règle avec le département de la Sécurité intérieure. Lors du décès à Boston, en avril 2014, de Zeituni Onyango, la demi-sœur de son père, Barack a contribué financièrement aux obsèques mais n’a pas assisté à la cérémonie. Ce qui apporte un éclairage particulier au récit qu’il fait dans Les Rêves de mon père de sa rencontre avec sa « tante ».
« “Prends bien soin de Barry, a dit tante Zeituni à Auma. Et assure-toi qu’il ne se perde pas de nouveau.” Sur le chemin du retour en voiture, j’ai demandé à Aumace que Zeituni avait voulu dire. Elle a haussé les épaules. “C’est une expression habituelle par ici, a-t-elle dit. Par exemple, quand un mari ou un fils s’installe en ville ou en Occident […] ils commencent par écrire toutes les semaines. Puis, tous les mois. Puis, plus du tout. On dit alors qu’ils se sont perdus, même si on sait très bien où ils sont.” »
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