Reportage : Le Caire, éternelle Mère du monde
De la cité médiévale aux dédales des vieux souks du Caire, du flot affairé des avenues coloniales au havre des harams… Bienvenue dans une capitale joyeuse, puissante et bourrée de charme. Reportage et images.
Égypte : le grand retour
Deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi, voyage à l’intérieur d’un pays qui se cherche un avenir.
Le Caire. On y passe quand l’avion n’atterrit pas au pied des temples de Louxor ou devant les plages de la mer Rouge. On s’y arrête un jour ou deux pour arpenter les étages de son mythique musée et aller faire le tour des trois pyramides. Mais on y reste peu. L’Égypte rêvée, c’est celle des fonds blancs et des pharaons. Plus que dans ces décors minéraux, c’est pourtant au Caire, cité fondée en 969 sous le signe de Mars (« Al-Qahir » en arabe, qui a donné son nom à Al-Qahira, « La Victorieuse »), que bat le pouls puissant de l’Égypte. Jadis fantasmée par les voyageurs pour les chefs-d’œuvre érigés par les gouvernements arabe, kurde, mamelouk, ottoman et européen qui s’y sont succédé, elle est désormais négligée. Il faut prendre le temps de l’écouter et de la comprendre pour se laisser enivrer par son charme.
Crasseuse, encombrée, polluée et bruyante, la belle est de prime abord agressive et décourageante. Mais en marchant le long des immeubles néogothiques, néoclassiques ou Art déco de ses avenues coloniales, on oublie le goût des façades bien léchées de Paris ou de Rome. Cette poussière qui les recouvre, c’est le souffle des déserts Libyque et Arabique, la respiration carbonique de la plus grande métropole d’Afrique. Ces câbles et ces tuyaux qui les parcourent, il faut les voir comme les veines saillantes d’un visage buriné par le temps. On en vient presque à regretter la campagne de ravalement qui, partie de la place Tahrir, s’étend maintenant aux quartiers bâtis entre la ville médiévale et le Nil par les Européens au siècle dernier, faisant renaître les couleurs vives et les motifs imaginés par les architectes italiens et français.
Galaxie urbaine
« Comment Le Caire pourrait-elle être autrement, puisqu’elle est la mère du monde ? » disait Shéhérazade en contant ses Mille et Une Nuits, dont nombre de récits sont nés sur les bords du Nil. La Mère du monde (« Oum el-Dounia ») est resté le surnom que les Cairotes préfèrent donner à leur ville. Il résume orgueilleusement cette galaxie urbaine. Des hauts immeubles en brique qui poussent anarchiquement dans ses faubourgs aux villas cossues d’Héliopolis, des tours babyloniennes qu’on érige sur les bords du Nil aux dédales des vieux souks…
« La foule grouillante des Cairotes ressemble aux flots tumultueux de la mer, et la ville est presque trop exiguë pour la contenir, bien qu’elle soit très étendue », écrivait déjà au XIVe siècle le grand voyageur tangérois Ibn Battuta. Ils sont aujourd’hui 18 millions d’habitants, 22 millions banlieusards compris – plus que les populations réunies de la Tunisie et de la Libye -, animés d’une bonne humeur qui résiste aux crises économique et sécuritaire. « Les Cairotes sont gais et joyeux et aiment à se distraire », rapportait aussi Ibn Battuta. Certes, des dizaines de soi-disant employés du ministère des Antiquités s’abattent sur les rares touristes baguenaudant autour du musée ou des mosquées de l’université Al-Azhar mais, passés ces « périmètres à risque », ce ne sont que sourires de bienvenue et invitations à la discussion. La grande mode du moment étant de prendre des selfies avec les khawaga (« étrangers »).
Une merveille du monde islamique
« J’entrais dans la métropole de l’univers, le jardin du monde, la fourmilière de l’espèce humaine, le portique de l’islam, le trône de la royauté », écrivait quant à lui le philosophe tunisois Ibn Khaldoun, contemporain d’Ibn Battuta, en abordant la cité médiévale. Couronnée de coupoles et de minarets ciselés, déroulant ses façades de pierre polychromes le long de rues grouillantes d’animation, ce Caire des califes et des sultans reste une merveille du monde islamique. On y pénètre par Bab el-Foutouh, porte fortifiée massive et puissante, autour de laquelle se déploient les derniers pans de remparts qui la protégeaient.
Derrière Bab el-Foutouh, un havre de paix. La mosquée Al-Hakim, dont la paire de minarets aux bulbes cannelés semble deux joyaux posés sur une enceinte dépouillée. Une cour entourée de hauts portiques en ogives sur laquelle flottent des voiles bleu sombre distille une atmosphère de douceur infinie. Assises en rond sur le sol poli comme un miroir, des familles s’y reposent d’une longue marche, tandis que leurs gamins font claquer leurs pieds nus sur la grande dalle. Appuyées à un pilier, deux femmes ont laissé tomber leur voile sur les épaules sans susciter de puritaines indignations. Toutes les nations de Dieu sont les bienvenues dans les harams (enceintes sacrées) d’Égypte.
De la mosquée très arithmétique et minérale d’Ibn Khaldoun aux décors d’opéra de celle d’Al-Rifaï, les mosquées et écoles coraniques du Caire éveillent chacune des méditations différentes. Par les rues bordées de palais, par le hasard des souks débordant de marchandises et de souvenirs, il faut aller de l’une à l’autre explorer leurs dédales silencieux, leurs salles tamisées alors que, dehors, le tumulte règne. Un voyage hors du temps dans le giron de la plus belle et vénérable cité de l’Islam.
Portfolio de photos du Caire, par Laurent de Saint Périer
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