Télévision : en Afrique, la bataille de la TNT fait rage
La date butoir pour le passage au numérique est dépassée d’un mois. Peu importe ! Fournisseurs d’infrastructures et groupes de médias s’affrontent pour remporter, dans l’urgence, les appels d’offres.
La bataille entre les grands groupes internationaux pour décrocher les marchés du passage au numérique en Afrique semble seulement commencer. Le 17 juin, date butoir fixée par l’UIT pour cette migration, seuls 5 pays (Malawi, Maurice, Mozambique, Rwanda, et Tanzanie) sur 54 avaient tenu leur engagement. Les autres, surtout les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, ne sont qu’au début de leur processus de basculement. Nombreux sont donc les marchés d’installation d’infrastructures et de fournitures d’équipements nécessaires à cette transition qui ne sont pas encore attribués. Or ils représentent plus de 90 % des investissements à réaliser par les États.
La Côte d’Ivoire et la RD Congo retiennent l’attention des grands acteurs internationaux. Dans ces deux pays, des appels d’offres pourraient être lancés très prochainement. Groupes de médias, de télécommunications, spécialistes des pylônes et d’émetteurs tentent d’avancer leurs pions. « C’est une bataille sournoise qui fait rage dans les coulisses. Toutes les entreprises se disent ouvertes aux appels d’offres, mais toutes négocient officieusement des contrats de gré à gré », confie un responsable d’un grand groupe international.
StarTimes, groupe chinois en tête pour déployer la TNT
Parmi les forces en présence, StarTimes vient en tête. D’après nos informations, ce groupe chinois dirigé par un ingénieur en électronique, Pang Xinxing, s’apprêterait à proposer à la RD Congo un marché d’un montant de… 470 millions de dollars (environ 430 millions d’euros) pour déployer la TNT sur l’ensemble du territoire. Des sources proches du groupe confirment qu’une offre est en préparation, mais refusent toute évaluation de son montant. Pour l’instant, dans ce pays, seule la capitale, Kinshasa, est dotée d’infrastructures pour la migration vers la TNT, et cette première phase a été réalisée par l’italien Teleconsult, partenaire de la RD Congo depuis plusieurs années.
Le groupe StarTimes s’est déjà imposé dans plusieurs pays anglophones, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique australe, grâce à sa puissance financière. Grâce surtout à une recette qui séduit les États africains : une solution clés en main, incluant le déploiement des infrastructures, la diffusion des programmes et même la fourniture de décodeurs permettant aux ménages d’accéder à la TNT, le tout financé et soutenu par Bank of China, China Eximbank ou encore China-Africa Development Fund. Le groupe chinois StarTimes, en accordant aux États africains des prêts qui échappent au contrôle du FMI et de la Banque mondiale, car sans garantie, pilote tout le processus de migration. En échange, il se rembourse sur une longue période (entre vingt-cinq et trente ans) grâce aux redevances payées par les usagers et à la gestion exclusive des multiplexes, en proposant des chaînes à accès payant. « La plupart des États africains se sont attaqués au chantier de la TNT tardivement, et très vite ils se sont rendu compte que cela allait leur coûter beaucoup d’argent. Ils se laissent donc tenter par l’offre chinoise », explique notre source.
Le consortium français comme rival de StarTimes
StarTimes, qui mène l’offensive dans plusieurs pays francophones, comme le Mali, se positionne aussi en Côte d’Ivoire, où le marché de la migration vers la TNT comprenant les infrastructures a été estimé à 32 milliards de F CFA (48,8 millions d’euros) par le gouvernement. StarTimes avait démarré des négociations exclusives en 2010 et était sur le point de signer un contrat avec l’État lorsque la crise postélectorale a contrarié cette ambition. En 2012, son PDG, Pang Xinxing, avait fait lui-même le voyage d’Abidjan pour relancer le dossier auprès du Premier ministre d’alors, Jeannot Ahoussou. Et depuis 2013, la filiale StarTimes Média Côte d’Ivoire est dans les starting-blocks. Mais le groupe doit faire face ici au consortium français formé par le spécialiste des réseaux de diffusion Thomson Broadcast (filiale du groupe français Arelis) et le fournisseur de terminaux communicants Sagemcom. Après avoir conduit au premier semestre 2015 la phase pilote de la migration vers la TNT à Abidjan, Thomson Broadcast et Sagemcom ont, d’après nos informations, fait une offre comprise entre 20 et 30 millions d’euros pour déployer la TNT sur l’ensemble du pays.
Le groupe chinois propose des abonnements aux chaînes à 2,70 euros quand l’offre d’entrée de Canal+ est d’environ 7,60 euros.
De plus en plus perçue comme principale rivale de StarTimes, l’association de ces groupes français remonte au début de cette année. Son objectif : contrer l’offre chinoise en présentant, en partenariat avec le groupe français Canal+, une solution incluant le déploiement technique, l’installation du réseau numérique pour la diffusion des chaînes gratuites, et des bouquets payants fournis par le groupe audiovisuel. Le consortium propose des solutions financières via des crédits à l’export garantis par la Coface (Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur). « Il s’agit de prêts à faible taux d’intérêt, entre 0,5 % et 1 %, remboursables sur une période de sept à huit ans », explique Olivier Marcillaud, directeur du projet TNT en Afrique chez Canal+.
Thomson et Sagemcom montent en force
Arrivés tardivement sur le marché africain de la TNT, Thomson et Sagemcom commencent à se faire une place. En mai, ils ont décroché pour 10 millions d’euros le marché des infrastructures de la TNT au Cap-Vert. Et ils entendent profiter de la réputation sulfureuse de StarTimes. « Les contrats de StarTimes sont surfacturés et, surtout, contiennent des clauses qui lui permettent de contrôler tout le secteur audiovisuel d’un pays pendant plus de vingt ans », dénonce un spécialiste du secteur, qui affirme que les montants nécessaires à la migration devraient se situer, en fonction de la taille des pays, entre 20 et 50 millions d’euros. « Nous proposons des solutions compétitives et cela ne plaît pas à nos concurrents, qui véhiculent des rumeurs malveillantes sur notre compte », se défend l’un des responsables Afrique de StarTimes, qui aime à rappeler qu’il compte 3 000 employés directs africains sur le continent et plus d’une centaine à son siège de Pékin. Il n’empêche : le chinois a vu son contrat annulé à Madagascar pour des entorses dans la procédure d’attribution, selon le régulateur du pays. En Zambie et au Ghana, les marchés attribués à StarTimes ont été annulés, la sincérité des offres ayant suscité des doutes, mais ils ont été par la suite reconduits.
Ainsi, le tandem français se positionne un peu partout en Afrique subsaharienne : au Cameroun, en RD Congo, ou encore au Bénin, qui vient d’obtenir de la BOAD 35 milliards de F CFA pour financer sa migration.
La bataille se joue sur les contenus
Au-delà de l’aspect technique de cette transition, c’est dans la production de contenus adaptés à la TNT que se joue la bataille. Et dans ce domaine, si les offres locales se multiplient avec l’essor d’acteurs africains comme la chaîne sud-africaine GoTV, on retrouve aussi les mêmes poids lourds internationaux. StarTimes, encore lui, a lancé au Nigeria une chaîne en haoussa, langue parlée par 60 millions de personnes. Et sur la côte est de l’Afrique, il développe avec des producteurs locaux des programmes en swahili. Le groupe chinois propose par ailleurs des abonnements aux chaînes à 3 dollars (2,70 euros) quand l’offre d’entrée de Canal+ est d’environ 7,60 euros. Mais la stratégie du groupe français, qui met en avant la qualité de son offre, semble la plus aboutie pour conquérir l’Afrique. Alors que StarTimes (5,5 millions d’abonnés) emploie des Africains qui traduisent dans diverses langues les programmes des 21 chaînes détenues en propre avant de les diffuser, Canal+, lui, développe de nouvelles chaînes. Comme A+, lancée en 2014 à Abidjan et dont la mission est de proposer des contenus adaptés au public. Par ailleurs, Canal+ s’apprête à lancer avant la fin 2015, à Pointe-Noire, au Congo, une offre TNT sous une nouvelle marque. Olivier Marcillaud explique qu’« elle sera très attractive, avec une sélection des meilleurs programmes nationaux et internationaux, autour d’une trentaine de chaînes. Ce sera un produit de grande consommation à un prix très accessible ».
Arris Group, un américain à Kinshasa
Alors que le chinois StarTimes et les français Thomson et Sagemcom jouent des coudes pour remporter le marché de la TNT en RD Congo, un autre acteur, peu connu en Afrique, est passé à deux doigts de remporter ce contrat. Il s’agit de l’américain Arris Group. Un projet d’appel d’offres aurait été taillé sur mesure pour ce fournisseur de technologies de diffusion (coté au Nasdaq avec 327 millions de dollars de bénéfices en 2014), avant d’être annulé au dernier moment par les autorités congolaises.
Arris Group, déjà partenaire de ZAP, fournisseur de services aux chaînes de télévision d’Afrique subsaharienne, aurait longtemps fait du lobbying pour que ce marché lui soit attribué de gré à gré.
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