Tunisie : Tahar Ben Ammar, l’autre père de l’indépendance

Victime d’une cabale orchestrée par Bourguiba, ce pionnier du mouvement national a vu son rôle minimisé par l’histoire officielle. Une injustice en passe d’être réparée.

Tahar Ben Ammar, président du Conseil tunisien, signe le protocole de l’Indépendance. À g., Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères. À dr., Mongi Slim, ministre de l’Intérieur tunisien, et Ahmed Mestiri, chef de cabinet de Mongi Slim. Au Quai d’Orsay, à Paris, le 20 mars 1956. © Archives J.A.

Tahar Ben Ammar, président du Conseil tunisien, signe le protocole de l’Indépendance. À g., Christian Pineau, ministre français des Affaires étrangères. À dr., Mongi Slim, ministre de l’Intérieur tunisien, et Ahmed Mestiri, chef de cabinet de Mongi Slim. Au Quai d’Orsay, à Paris, le 20 mars 1956. © Archives J.A.

Publié le 30 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.

En refermant la biographie de Tahar Ben Ammar (1889-1985), récemment publiée par son fils, Chedly, on n’en mesure que mieux l’injustice faite à un grand patriote tunisien qui fut un acteur clé de l’indépendance. À partir de documents inédits, d’enregistrements jalousement conservés et d’un minutieux travail de recherche, Chedly Ben Ammar retrace le parcours de celui qui ratifia avec la France le protocole d’accord sur l’autonomie interne, le 3 juin 1955, puis le traité donnant aux Tunisiens leur indépendance, le 20 mars 1956. Rien de moins.

Pourtant, dans la mémoire collective, façonnée par l’histoire officielle, la paternité de l’indépendance est attribuée au seul Bourguiba. Or, sans rien lui ôter de son rôle, le Combattant suprême n’a pas fondé seul l’État tunisien moderne. Une petite entorse à l’Histoire dont Tahar Ben Ammar s’était accommodé, puisque l’action militante déterminante qu’il a menée pendant près de quarante ans s’inscrivait d’abord dans le mouvement de la lutte nationale avec une volonté et des objectifs politiques communs. Le sort qui fut le sien n’en paraît dès lors que plus inique.

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Un artisan de l’indépendance digne et combatif

Fondateur, en 1920, du Destour avec, entre autres, Abdelaziz Thaalbi, Ahmed Essafi et Ali Kahia, ce propriétaire terrien aisé mit à profit son entregent pour promouvoir les revendications d’autodétermination du pays. Ben Ammar, qui affirmait que le « peuple tunisien doit se sentir attaché à la France par d’autres liens que ceux de la contrainte », avait élargi et assis son audience à partir d’instances telles que la Chambre d’agriculture du Nord. Entre 1954 et 1958, années charnières pour la Tunisie, ses réseaux, sa crédibilité et sa pondération en firent à l’unanimité le grand vizir du bey, puis le premier chef de gouvernement de la Tunisie indépendante.

Menottez-moi donc cette main qui signa l’indépendance.

Mais en 1958, Tahar Ben Ammar, alors député, est la cible d’une cabale orchestrée par Bourguiba et Wassila Ben Ammar, future première dame, en raison de son refus de témoigner contre l’ancien souverain, Lamine Bey, accusé de trahison et d’intelligence avec la France. Arrêté avec son épouse, il est inculpé pour malversation fiscale, recel de bijoux appartenant à la famille beylicale et hostilité à l’ordre nouveau. Déféré devant la Haute Cour de justice, il dira au policier qui lui passe les menottes à l’issue d’une audience : « Menottez-moi donc cette main qui signa l’indépendance. » Plusieurs personnalités politiques, dont Mohamed Masmoudi, Chedly Zouiten et Béchir Ben Yahmed, fondateur de Jeune Afrique, ainsi que Pierre Mendès France, Edgar Faure et Pierre July s’élèvent contre l’injustice faite à cet homme, d’autant que les multiples témoignages font tomber un à un tous les chefs d’accusation. Même le président de la Haute Cour, Mohamed Farhat, qui, selon ses dires, se bornait à appliquer les instructions de Bourguiba, n’en mena pas large face à un Tahar Ben Ammar digne et combatif, qui, réfutant toute collusion avec le bey, martelait : « Mais qui a signé le protocole d’indépendance ? »

Les secrets de l’époque dévoilés

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Libre après cinq mois d’incarcération, Tahar Ben Ammar écope au final d’un redressement fiscal symbolique et se retire de la vie publique. Plusieurs années plus tard, en 1969, il recevra le Grand Cordon de l’Ordre de l’indépendance… et les regrets de Bourguiba, qui ne l’en humilia pas moins en lui accordant une grâce amnistiante alors que son innocence avait été établie.

Au-delà du parcours d’un homme d’honneur, Chedly Ben Ammar brosse un tableau détaillé d’une époque où les intrigues de palais s’imposaient au microcosme politique tunisien. Documents à l’appui, il rétablit nombre de vérités, démontrant, au passage, que l’ébauche du code du statut personnel (CSP), promulgué par Bourguiba et qui conféra aux Tunisiennes de larges droits, avait été élaborée sous la direction de son père par un groupe de juristes et d’oulémas, en 1951. Autant d’éléments qui devraient conduire, à moins d’un an du 60e anniversaire de l’indépendance, à une réhabilitation de Tahar Ben Ammar et, surtout, à une relecture de l’histoire officielle au nom du devoir de mémoire. Et de vérité.

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Tahar Ben Ammar : le combat d’un homme, le destin d’une nation, Chedly Ben Ammar.

Tahar Ben Ammar : le combat d’un homme, le destin d’une nation, Chedly Ben Ammar.

Tahar Ben Ammar : le combat d’un homme, le destin d’une nation, Chedly Ben Ammar, 740 p., en arabe, édition à compte d’auteur, 2015

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