Énergie : en Afrique, les groupes électrogènes carburent à la crise
Ils sont chers, bruyants, polluants… mais indispensables. Le marché des générateurs électriques, méconnu, croît de 10 % à 20 % par an.
Ils ronronnent à travers tout le continent. Aux portes des maisons, devant les épiceries, dans les usines, les groupes électrogènes délivrent cette électricité qui manque tant d’un bout à l’autre de l’Afrique.
Au Nigeria, première puissance économique du continent et premier marché pour ces appareils, plus de la moitié des ménages en possède un pour faire face aux coupures intempestives d’électricité ou, tout simplement, pour accéder à l’énergie. La place qu’ils y occupent illustre la situation dramatique des infrastructures énergétiques. « On estime qu’au Nigeria, les groupes électrogènes représentent une capacité totale de 10 à 15 gigawatts (GW), tandis que les centrales électriques classiques en état de fonctionner ne dépassent pas les 4 GW », souligne Adam Kendall, responsable de la pratique électricité Afrique au sein du cabinet McKinsey.
La marché des générateurs est énorme
Dans ce pays comme sur le reste du continent, les ménages, entreprises et administrations se résignent à cet investissement en dépit de son coût, deux à trois fois plus élevé que celui de l’électricité délivrée – ou du moins promise – par le réseau électrique national. Car au-delà de l’achat initial, il faut payer le combustible, du diesel principalement. « Le groupe électrogène est l’instrument le plus basique, le plus fiable et le plus facile à utiliser pour résoudre un problème électrique », observe Patrice Chevalier, patron de Projet Production International (PPI), leader de la distribution de ces engins à Ouagadougou, au Burkina Faso (13 milliards de F CFA, soit 19,8 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014).
Quelque 70 % des Africains ne sont pas connectés au réseau électrique et les 30 % qui le sont souffrent d’un service erratique. Le marché des générateurs est donc immense. « L’Afrique importe pour 1,2 milliard de dollars [1 milliard d’euros environ] par an de groupes électrogènes, soit environ 90 000 machines. Mais pour avoir une vision globale du marché, il faut aussi prendre en compte les importations non répertoriées, les productions locales, les flux illégaux aux frontières ou les réparations de vieux moteurs », souligne PowerGen Statistics, un organisme qui réalise des analyses dans le domaine à l’échelle mondiale.
Un secteur méconnu
Le secteur est cependant mal connu. Contrairement à celui de la location aux sociétés publiques, il est peu structuré et « atomisé » entre des milliers d’acteurs, depuis les grands distributeurs jusqu’aux vendeurs locaux de machines de seconde main. Il est donc difficile d’en définir clairement les contours et la progression. Mais PowerGen Statistics parle sans hésiter d’une croissance « à deux chiffres », portée à la fois par le déficit de production et par la nécessité de renouveler des machines qui rendent leur dernier souffle après cinq à dix ans de service. Certains distributeurs sont euphoriques, comme CFAO qui évoque une progression de l’activité de 20 % par an. « Mais il y a des disparités très grandes entre les pays, souligne Frédéric Nonet, directeur de l’équipement chez CFAO. Parmi nos plus gros marchés, on compte le Tchad, le Congo ou le Ghana. »
Le groupe français, qui distribue des produits plutôt haut de gamme (ceux du japonais Yamaha et du français JCB), réalise 25 % de son chiffre d’affaires de cette activité – il ne souhaite pas communiquer le montant – sur la maintenance. Il affirme également miser sur des produits moins bruyants et moins gourmands en carburant, deux aspects auxquels les consommateurs sont sensibles (pour certaines entreprises de télécoms, le diesel est un des trois premiers postes de dépense, d’après McKinsey).
Trois catégories constituent ce marché
Le marché se divise en trois catégories. D’abord, les petits moteurs portables de 1 à 8 kilo-voltampères (kVA), principalement destinés aux habitations, où ils peuvent alimenter quelques ampoules et un téléviseur. Un segment dominé par les constructeurs asiatiques, principalement chinois et indiens (Tiger, Firman ou Elemax) et où les premiers prix démarrent autour de 50 euros. « Le low-cost doit représenter entre 60 % et 70 % des unités vendues en Afrique, mais leur valeur n’est pas très importante », poursuit Frédéric Nonet.
Donc pas de quoi intéresser les grands constructeurs (les américains Cummins et Caterpillar ou le français SDMO) ni leurs distributeurs respectifs, qui préfèrent se concentrer sur la clientèle des entreprises, laquelle représente 80 % de leurs revenus. En haut de l’échelle : les engins de plusieurs milliers de kilovoltampères, capables d’alimenter une brasserie ou une cimenterie, et dont la facture peut atteindre 200 000 euros l’unité.
Enfin, le gros des ventes concerne les machines de taille moyenne, destinées aux petites industries ou aux entreprises de services. En tête, les hôtels, les télécoms (les tours, souvent isolées, doivent être alimentées vingt-quatre heures sur vingt-quatre), ou les banques, qui doivent assurer en permanence la sécurité de leurs milliers d’agences.
Une priorité pour l’investissement
L’investissement dans les infrastructures électriques est désormais une priorité partout. Sonnera-t-il le glas de ce secteur ? Pas forcément. Selon certains, les ventes ont encore de belles décennies devant elles. « Ce marché sera toujours en pleine croissance car la résolution des problèmes énergétiques n’est pas pour demain, sauf peut-être en Côte d’Ivoire », estime Ismael Adjovi, directeur commercial chez Matforce, qui distribue les moteurs Cummins en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Mali.
Au Nigeria, nombreux sont ceux qui doutent que le marché s’amenuise, tant l’économie liée aux groupes électrogènes est puissante. « Il y existe un groupe d’importateurs de machines et de carburant appelé
Mais pour le français SDMO, l’Afrique ne sera « pas un eldorado ». « Le marché va se développer, mais pas de manière exponentielle », estime Patrick Le Guen, vice-président chargé des ventes de cette société basée à Brest qui a réalisé 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013 et dont l’Afrique est le premier continent à l’export. « Avec le développement des infrastructures, le réseau sera plus fiable dans les pays les plus avancés et les zones urbanisées, le nombre de groupes électrogènes tournant en permanence diminuera. Il s’agira plus d’un marché de produits de secours. Le renouvellement régulier du parc sera moins nécessaire. »
Les subventions aux produits pétroliers, courantes en Afrique, constituent une autre variable. Très fortes dans les pays producteurs, elles sont de plus en plus contestées en raison de leur poids dans le budget des États. Un carburant plus cher aura sans doute un impact sur les ventes.
Solaire cherche appui
CFAO y voit « la grande tendance » des années à venir : de nombreux spécialistes des énergies renouvelables proposent désormais des solutions hybrides, alliant panneaux solaires et groupes électrogènes, afin d’assurer un service électrique constant.
Dans les zones isolées, le développement des centrales solaires est en effet confronté à l’intermittence de leur source d’énergie, accessible seulement le jour. Elles ne peuvent en outre augmenter rapidement en puissance pour répondre aux pics de consommation. Mais pour l’instant, les vieux générateurs sont encore loin devant les renouvelables (solaire ou éolien) dans les zones isolées : ils totalisent 95 % de la production électrique.
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