Maroc, les jeunes en politique : toc toc, on peut entrer ?
Sous prétexte qu’ils manquent d’expérience, les jeunes sont souvent tenus à l’écart de la vie publique. Mais certains ne l’entendent pas de cette oreille et poussent la porte.
Le Maroc à l’heure locale
Les villes s’aménagent, les services s’améliorent, le quotidien des habitants aussi, y compris en milieu rural. Le pays a-t-il trouvé la clé du développement solidaire ? Réponse au fil des territoires du royaume, à quelques semaines des élections communales, provinciales et régionales prévues le 4 septembre.
Comme l’a prouvé le Mouvement du 20-Février (M20F), la jeunesse marocaine n’est pas indifférente à la politique. Pourtant, les chiffres ne reflètent pas cette tendance. « Lors des législatives de 2003, on comptait 3 millions de 18-25 ans inscrits sur les listes électorales. Or, pour les législatives de novembre 2011 [organisées à la suite du référendum constitutionnel], ils n’étaient plus que 1 million », explique Zouhair Ait Benhamou, doctorant en économie des pays de la zone Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena) et président de l’association Cap démocratie Maroc (Capdéma).
« En 2002, dernière année où le corps électoral a augmenté, les 26-35 ans représentaient 21 % des inscrits et les 18-25 ans seulement 7 %, alors qu’ils forment le tiers de la population, précise-t-il. Élargir la catégorie des jeunes à la tranche 18-35 ans fausse la donne, car cela gomme la singularité des 18-25 ans, plus nombreux mais moins impliqués en politique. » Le constat, au Maroc comme presque partout ailleurs, est que l’engagement dans la vie publique intéresse de moins en moins les jeunes. À preuve, l’échec des mesures imaginées par le ministère de l’Intérieur, qui, en ouvrant les inscriptions sur les listes électorales en ligne en avril dernier, tablait sur 10 millions de nouveaux inscrits… et n’en compte finalement que 1 million.
Les jeunes plus intéressés par le business que la politique?
« Il est très difficile de convaincre les jeunes de participer à la vie politique dans un contexte d’individualisme ambiant, souligne Omar Balafrej, directeur général du Technopark de Casablanca. Ils sont bien plus intéressés par le business. Et ceux qui s’engagent en politique le font de façon opportuniste ; à l’instar de leurs aînés, ils l’utilisent comme un outil d’ascension personnelle… » Balafrej sait de quoi il parle.
Lui-même a été jeune élu local à Ifrane, de 2003 à 2009, sous les couleurs de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qu’il a quittée en 2010, déçu par le fonctionnement du parti. Depuis, il a fondé son mouvement, Clarté Ambition Courage (CAC), qui, en vue des élections communales de septembre, tente un rapprochement avec le Parti socialiste unifié (PSU), de Nabila Mounib. « Le choix ne peut pas se réduire au Parti de la justice et du développement [PJD] et au Parti Authenticité et Modernité [PAM]. Une troisième voie existe, celle née du Printemps arabe », répète Balafrej.
Clarté Ambition Courage (CAC) : partir du local pour percer au niveau national
Cette alternative que le déçu du parti de la rose tente d’incarner passe par les jeunes, majoritaires au sein de son mouvement, et par la démocratie directe. « C’est dans le contact avec les citoyens que la politique prend son sens, c’est là que se fait le changement », ajoute-t-il. Le discours a beau être rodé et le sourire impeccable, la sincérité reste palpable chez celui qui sera tête de liste PSU à Rabat Agdal-Ryad. Partir du niveau local pour percer au niveau national, voilà le pari de Balafrej, qui prend le contre-pied des partis marocains, dont l’organisation est calquée sur celle de l’État.
« Beaucoup de jeunes rejoignent le PJD, mais, comme ce fut le cas pour l’USFP à ses débuts, en 1998, ils succombent surtout à l’attrait de la nouveauté. Une fois qu’ils auront compris que ce parti n’a rien de différent des autres, ils partiront, commente Mouaad Rhandi, un ancien journaliste politique. Ils sont également nombreux à rejoindre le PAM, pour d’autres raisons : c’est une formation qui a beaucoup d’argent et qui publie un grand nombre d’études sur des questions techniques. C’est ce qui séduit les jeunes du système. »
Pourtant, même au sein de ces partis, le terrain local n’est pas une alternative au niveau national car la distribution des cartes se fait à Rabat. « Ce sont les bureaux exécutifs qui présentent les candidats aux communales. Si un jeune veut avoir une chance d’être choisi, il doit d’abord militer au niveau national, se trouver un parrain et attendre des années avant d’espérer être parachuté dans une ville qu’il ne choisira même pas », poursuit Mouaad Rhandi. En attendant le nouveau découpage des régions, la politique locale reste donc une reproduction, à l’échelle des territoires, de ce qu’elle est au niveau national : une arène où les jeunes ne sont pas vraiment les bienvenus.
Trois portraits de jeunes engagés.
ADAM BOUHADMA, 25 ans, candidat aux communales à Agadir pour Clarté, Ambition, Courage (CAC)
C’est une rencontre avec Omar Balafrej (lire ci-dessus), en 2011, qui l’a convaincu de s’engager. « Seule la politique permet de concrétiser ses idées au Maroc. Et quoi de mieux que d’en faire avec des gens dont ce n’est pas le métier ? » confie Adam Bouhadma. Pour lui, CAC a l’avantage de n’avoir aucun des défauts communs aux « éléphants politiques » : cette association politique de gauche est en majorité constituée de jeunes et se concentre sur le terrain. « Au Maroc, beaucoup font de la politique pour devenir ministre, s’agace-t-il. Pourtant, il n’y a qu’au niveau local qu’on apprend à connaître la réalité. C’est moins prestigieux, mais c’est là que le travail se fait. »
Son programme se fonde sur son quotidien de jeune entrepreneur (il dirige à temps plein la plateforme d’orientation et de soutien scolaire en ligne qu’il a créée quand il était étudiant, et qui compte aujourd’hui neuf salariés). « Dans la ville d’Agadir, la jeunesse est majoritaire, souligne-t-il. Il faut y installer des lieux pour la culture, le divertissement, appliquer une vraie politique de transports en commun, et surtout créer des emplois dans de nouveaux secteurs, comme celui des TIC [technologies de l’information et de la communication]. » Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même …
BADREDDINE EL ABBADI, 22 ans, membre du bureau régional du Parti Authenticité et Modernité (PAM) d’Al Hoceima
Voilà cinq ans que Badreddine El Abbadi s’est engagé auprès du PAM dans sa région. « Je venais d’avoir mon bac et je voulais faire quelque chose de différent, de nouveau. En 2010, le PAM faisait le buzz, il était sorti vainqueur des communales l’année précédente, alors je me suis dit pourquoi pas… » Deux ans plus tard, Abbadi est le plus jeune membre de son parti à se faire élire au sein d’un bureau exécutif régional.
Et il ne compte pas en rester là : « J’ai fini mes études d’ingénieur et je vais pouvoir consacrer plus de temps à la politique. Si je trouve un emploi à Rabat, je pourrai même m’engager au niveau national. » Malgré les quotas mis en place par le PAM, il reconnaît qu’en politique être jeune n’est pas un avantage. « On intègre un monde qui n’est pas pensé pour nous, où l’on nous rappelle tout le temps que l’on n’est pas assez âgés, pas assez expérimentés, etc. Nous ne sommes pas encore les égaux des « adultes »… »
RANIA EDDAKHCH, 21 ans, membre du bureau local Rabat Hassan-Agdal-Ryad de la Jeunesse du Parti de la justice et du développement (PJD)
À 21 ans, Rania Eddakhch voue une admiration sans borne au chef du gouvernement. « De tous les dirigeants de parti, c’est Abdelilah Benkirane (voir photo ci-dessus) qui communique le mieux avec le peuple, souligne-t-elle. D’ailleurs, il ne cesse de répéter qu’il est au service du pays, des citoyens et des jeunes. » C’est donc tout naturellement vers le PJD que l’étudiante en master finances publiques et fiscalité à l’Université Mohammed-V s’est tournée, il y a un an et demi.
« J’ai été rapidement repérée comme membre actif et on m’a proposé de faire partie du bureau local de la jeunesse dans mon quartier. » Fière de son engagement, la jeune fille ne compte pas s’arrêter de militer, « même une fois mariée ». « La politique est un devoir. Si les jeunes ne s’engagent pas, d’autres le feront à leur place. Soutenir un parti sans y adhérer, ça n’a pas de sens ! » Adepte des slogans et des phrases chocs, Rania a déjà le sens de la communication politique, une des marques de fabrique de son parti.
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