Jupiter : « Je serai peut-être député » de la RDC
Après plus de trente ans d’aventures scéniques, le charismatique leader du groupe kinois Jupiter and Okwess International revient sur sa carrière. Et évoque l’avenir de la RD Congo et du rôle qu’il entend y jouer.
Les écouteurs enfoncés dans les oreilles, la guitare à la main : avec Jupiter, la musique n’est jamais bien loin. Celui que l’état civil congolais a vu naître en 1963 sous le nom de Jean-Pierre Bokondji sillonne avec ses musiciens les scènes européennes aux côtés du mythique groupe de brit-pop Blur. Une aventure qu’il doit au leader du groupe britannique, Damon Albarn, qui a repéré Jupiter and Okwess International dans le cadre de son programme Africa Express (lire encadré ci-dessous).
On avait pu découvrir sa voix rocailleuse en 2006 dans le documentaire de Renaud Barret et Florent de La Tullaye La Danse de Jupiter. Un film qui a permis également l’explosion d’un autre phénomène de la musique congolaise, Staff Benda Bilili. Près de dix années plus tard, le groupe, devenu Jupiter and Okwess International, annonce pour la fin de l’année un nouvel album, arrangé par Damon Albarn. De passage à Paris, le grand et charismatique Jupiter revient sur son épopée musicale et évoque l’avenir de son pays. Avec une pointe de mysticisme.
Jeune Afrique : Faire les premières parties de Blur vous a donné une nouvelle exposition. Comment s’est passée votre rencontre avec Damon Albarn ?
Jupiter : Ma collaboration avec Damon Albarn [le leader de Blur] ne date pas d’aujourd’hui. Nous nous sommes rencontrés aux alentours de 2007 à Kinshasa, et le courant est tout de suite très bien passé. À l’époque, j’ignorais tout de lui. Nous avons échangé sur la musique, et ce n’est que plus tard que j’ai su qui étaient Damon et Blur ! Maintenant, c’est un pote. Il m’a toujours offert des opportunités qui m’ont permis de tourner à travers le monde et ici, en Europe.
Nos parents ont mal géré le pays après l’indépendance »
L’Europe ne vous est pourtant pas inconnue. Vous avez passé votre enfance à Berlin, avant de revenir vous installer en RD Congo.
Je suis parti en Europe, à Berlin, à l’âge de 7 ans, car mon père était diplomate. C’est en Allemagne que j’ai grandi : j’ai commencé à écouter James Brown, les Jackson Five, Abba, Boney M, Kool and the Gang. J’étais un adolescent noir avec l’esprit d’un petit Blanc. En rentrant au pays, dans les années 1980, j’avais 17 ans. Le déclic est venu quand j’ai saisi un tam-tam que ma grand-mère m’avait laissé. J’ai commencé à jouer. C’était naturel, automatique. Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère, qui était guérisseuse, m’emmenait avec elle assister à des cérémonies de guérison. Je ne l’avais pas oublié. À mon retour à Kinshasa, je me suis mis à jouer lors des cérémonies traditionnelles et je suis devenu célèbre dans ce milieu. C’est ce qui m’a amené à m’intéresser de près à la musique congolaise, et j’ai compris qu’en fait tous les sons que j’écoutais en Occident dans mon enfance étaient présents dans la musique traditionnelle. On nous avait piqué notre musique !
C’est-à-dire ?
Quand on parle de musique congolaise, on pense surtout à la rumba. Or, après des années d’études, on a compris que la rumba était partie du Congo en même temps que les esclaves, et nous était ensuite revenue avec les colonisateurs avec un mélange de musique afro-cubaine. Mais au fin fond des villages, ce n’était pas la rumba qui était jouée, mais la musique traditionnelle du Congo : celle des ethnies, beaucoup plus riche, avec beaucoup plus de sons. C’est vraiment ça la musique congolaise, et c’est ce que j’ai voulu faire.
Sur scène comme dans vos chansons, on vous sent investi d’une mission : faire vivre la culture traditionnelle congolaise.
Vous savez, le Congo compte plus de 450 ethnies ! Et toutes sont présentes à Kinshasa. Quand je jouais lors des cérémonies de deuil, je pouvais faire le tour du Congo à travers la capitale. C’est comme ça que j’ai acquis la musique traditionnelle. À cette époque, en 1983, je me suis retrouvé avec des amis pour former un groupe, Bongofolk. Ça veut dire « Le peuple du tam-tam ».
On vous a un temps accusé de faire de la musique pour plaire à l’étranger. Que répondez-vous à ça ?
On était mal compris. Au début, on faisait plus du reggae. Un jour, un Blanc nous a dit que si les producteurs de reggae voulaient cette musique, ils iraient la chercher en Jamaïque. À cet instant, j’ai compris que je devais tenter de moderniser la musique traditionnelle congolaise avec des guitares.
Les violences dans le pays ont poussé certains membres de votre groupe à quitter la RD Congo. Vous, vous avez choisi de rester. Pourquoi ?
C’est vrai, je ne voulais pas repartir en Europe. Quand j’y vivais comme un petit prince avec mon père, je voyais bien quelle était la situation des Congolais là-bas. Je ne voulais pas me retrouver dans leur situation. J’ai préféré rester à Kin. Nous avons une richesse culturelle immense et inexploitée ! Mon but, c’est de partager mon expérience avec les générations futures. Je m’occupe d’une poignée de groupes qui suivent mon parcours. Je leur conseille de travailler à partir de la culture de leur ethnie comme j’ai travaillé sur la mienne, celle des Mongos. C’est tellement vaste !
J’ai eu beaucoup de vies, je suis un homme curieux. Mais finalement, la musique m’a toujours rattrapé »
Vos chansons laissent également transparaître des messages plus politiques. Quel est votre sentiment sur l’état du pays ?
La situation évolue. Nous ne sommes plus à l’époque de l’esclavage ou des colonisateurs, ni de l’indépendance. Nous sommes déjà à l’époque de la mondialisation, internet est passé par là. Je pense que les générations futures pourront bénéficier des richesses du Congo. Notre mission, c’est de poser les bases pour eux. Par exemple, avec mon tour du monde, on va s’apercevoir qu’il y a des artistes en RD Congo. J’espère que des producteurs vont venir les chercher ! Pour nous, c’est déjà foutu. Nous sommes une génération sacrifiée : nos parents ont mal géré le pays après l’indépendance. Maintenant, les choses commencent à reprendre.
Vous abordez la situation politique du Congo au travers de vos chansons. Vous considérez-vous comme un artiste engagé ?
Ce sont les médias qui parlent d’artistes engagés, on nous appelle souvent les leaders d’opinion. La politique, elle est sous nos yeux, on ne peut pas la fuir. Je dis ce que je vois, j’aime ma liberté. Mais je suis un homme universel, avec mes pensées. Je préfère regarder la politique mondiale, puisque c’est elle qui tire les ficelles.
On vous sent frileux à l’idée de vous exprimer sur la situation politique congolaise. Mais en tant qu’artiste, comment réagissez-vous à l’arrestation à Kinshasa, en mars dernier, de quatre militants – dont deux musiciens – prodémocratie ?
Vous me parlez du Congo, mais que se passe-t-il dans les autres pays ? Il faut regarder ce qui se passe à travers le monde ! L’Afrique veut prendre son élan. Mais tout comme au moment où la femme va accoucher, il y a toujours de la souffrance. Alors que quand l’enfant naît, la souffrance disparaît. Nous attendons cette naissance. Chez les Mongos, on dit toujours : « Le jeu de l’arbre, il faut laisser ça au singe. » Je ne peux pas me prononcer sur cette affaire dont je ne connais pas les tenants et les aboutissants. La justice s’exprimera sur le sujet.
Comment percevez-vous votre rôle dans la société congolaise ?
Mon rôle, c’est de changer les mentalités en chantant. Bien sûr que je m’intéresse à la vie de mon pays ! Seulement, chacun a sa façon de jouer le jeu. Peut-être que plus tard je serai député, on verra. Rien n’est figé !
Un engagement politique n’est donc pas exclu ?
À l’époque de Mobutu, je m’étais engagé dans le mouvement politique Condor. Mobutu parlait à ce moment-là de démocratie. J’ai même été secrétaire particulier d’un de ses ministres. J’ai eu beaucoup de vies, je suis un homme curieux. Mais finalement, la musique m’a toujours rattrapé.
PÉPINIÈRE À PÉPITES
Africa Express a été lancé officiellement en 2006, lorsque Damon Albarn, le chanteur de Blur et de Gorillaz, s’envole pour le Mali avec pour objectif de créer une structure qui permette une collaboration entre musiciens occidentaux et musiciens africains. Une idée née de l’expérience de Mali Music (2002) enregistré à Bamako avec des artistes locaux, dont le maître de la kora, Toumani Diabaté. Depuis, le programme a fait son chemin et a posé ses valises dans d’autres pays, comme la RD Congo. Plusieurs albums sont nés de ces voyages et collabo-rations, dont Kinshasa One Two (2011) ou Maison des Jeunes (2014), salué par la critique. Signe que le projet passionne toujours Damon Albarn : lors d’une tournée avec Africa Express au Danemark, le 4 juillet, le chanteur a été ferme-ment convié à quitter la scène… après cinq heures de concert.
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