Afrique du Sud : le long chemin vers la maturité

Confident de Nelson Mandela, porte-parole de Jacob Zuma jusqu’à sa retraite, en avril, Mac Maharaj, pilier de l’ANC, jette un regard sans concession sur le mouvement, ses illusions et ses dirigeants.

À 80 ans, il est l’un des derniers survivants de la légendaire génération de Robben Island. © Thembinkosi Dwayisa/Sunday Times/Gallo Images/Getty Images

À 80 ans, il est l’un des derniers survivants de la légendaire génération de Robben Island. © Thembinkosi Dwayisa/Sunday Times/Gallo Images/Getty Images

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 4 août 2015 Lecture : 5 minutes.

La scène se passe à Robben Island, au début de 1976. Alors que la plupart des prisonniers partent à la carrière casser leur lot de pierres quotidien sous un ciel de plomb, un grand Africain aux cheveux gris, la cinquantaine, et l’un de ses compagnons de lutte, un peu plus jeune, restent au cantonnement. Ces deux-là sont dispensés de travaux pénibles pour cause de maladie. Mais c’est une ruse. En fait, Nelson Mandela travaillait clandestinement avec « Mac » Maharaj sur ce qui allait devenir son autobiographie, Un long chemin vers la liberté. À la fin de cette année 1976, lors de sa libération, Mac allait faire sortir ce brouillon (qui sera publié en 1995) en le dissimulant dans ses affaires.

Pendant plus d’un demi-siècle, ce fils d’une famille hindoue originaire de la petite ville industrielle de Newcastle (dans le Kwazulu-Natal) a été plongé dans le chaudron de la politique sud-africaine. Encore récemment, il conseillait le président Jacob Zuma sur sa communication. Mais, au moment où je lui rends visite chez lui, à Durban, l’éternel bouillonnement semble s’être calmé. C’est sa première matinée à la maison, après une hospitalisation d’urgence pour un cancer du poumon. L’opération est une réussite, mais sa santé reste fragile.

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L’un des derniers survivants de la génération de Robben Island

À 80 ans, Mac est l’un des derniers survivants de la légendaire génération de Robben Island. Dans les années 1960, il a organisé des voyages clandestins, fabriqué des faux papiers, des explosifs, et a été torturé par la police (comme ce jour où on l’a suspendu par la cheville depuis le septième étage d’un immeuble) avant de passer douze ans sur l’île-pénitencier. Il a ensuite été le confident de trois des quatre derniers chefs du Congrès national africain (ANC) : Oliver Tambo (qui dirigeait le mouvement en exil), Nelson Mandela et, jusqu’en avril, Jacob Zuma.

La guerre froide a été un désastre pour l’Afrique. L’argent affluait, mais pour soutenir des alliés, pas le développement

Avec ce dernier, il a dû ferrailler sur des sujets plus pitoyables qu’il n’aurait pu l’imaginer lorsqu’il s’est lancé dans la lutte, dans les années 1950. « À cette époque, on se disait : “Débarrassons-nous de la mainmise étrangère et tout se passera comme sur des roulettes”, se souvient-il. Nous imaginions que le développement
serait une promenade de santé. Nous étions des novices…» Lorsque le père de l’indépendance guinéenne, Ahmed Sékou Touré, prend le pouvoir, le jeune Mac
Maharaj, alors au Royaume-Uni, s’extasie. « Un Premier ministre qui se déplaçait à vélo ! Un homme qui disait : “Nous n’avons pas d’argent, mais nous allons nous développer grâce à notre capital humain” », se souvient-il. Mais s’il le cite, c’est pour souligner à quel point on peut faire erreur, puisque Sékou Touré devint l’un des pires dictateurs du continent.

Réaliste plutôt que romantique

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Mac n’est pas un romantique. Selon lui, la guerre froide a été un désastre pour l’Afrique. L’argent affluait, mais pour soutenir des alliés, pas pour le développement. Et les problèmes n’ont pas été réglés « de manière fondamentalement durable ». Je lui demande alors avec malice s’il n’aurait pas été préférable que l’Afrique du Sud obtienne son indépendance dans les années 1990 plutôt que dans les années 1960. « Exactement », lance-t-il avant de s’interrompre pour préciser : « Mais je ne suis pas d’accord avec [Desmond] Tutu lorsqu’il dit que les souffrances subies par Mandela étaient une bonne chose parce qu’elles en ont fait un réconciliateur. » Puis de reprendre le fil des années 1960.

Il se souvient que l’ANC rêvait alors de faire comme Fidel Castro ou Mouammar Kadhafi et de vaincre l’apartheid par les armes, mais que Mao était plus réaliste et disait à Walter Sisulu (un proche de Mandela) que l’Afrique du Sud n’était pas prête pour une révolution. « Lorsque nous avons commencé la lutte armée [en 1961], nous pensions vaincre en six mois ! »

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Dans les années 1980, la pensée de l’ANC mûrit à mesure que l’influence soviétique décline. « Nous avons abandonné nos conceptions simplistes. La réalité était que l’Afrique n’était pas développée. Chaque pays avait d’énormes problèmes à régler chez lui. » Et, lorsque Mandela prête serment, en mai 1994, Mac Maharaj reconnaît que l’ANC n’était pas prête à passer d’une politique d’opposition aux responsabilités du pouvoir.

Nouvelle puissance émergente : du chemin parcouru

Deux décennies plus tard, l’Afrique du Sud n’est plus la même. L’ancien paria de la communauté internationale est devenu la base de lancement des multinationales vers le reste du continent. Nouveau membre du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), Pretoria est désormais à la table des puissances émergentes. « Nous, Sud-Africains, avons pensé, comme le reste du monde, que notre transition était un miracle et que les problèmes se résoudraient progressivement, constate Mac Maharaj. Mais, aujourd’hui encore, avons-nous conscience des problèmes et avons-nous leurs solutions ? » Selon lui, l’ANC n’est pas non plus allé au bout de sa transformation, et un nombre croissant de ses membres pensent d’abord à s’enrichir rapidement.

Et l’affaire de la résidence privée de Zuma, qui aurait bénéficié indûment de travaux pour un montant de 246 millions de rands (17,7 millions d’euros) payés par l’État ? « C’est devenu la principale faiblesse de ce gouvernement, déplore l’ancien conseiller. Dès le début, j’ai dit : “Monsieur le président, préparez-vous à
rembourser. Si vous éprouvez des difficultés, je pense que, dans votre position, vous n’aurez aucun mal à récolter des fonds.” Il a répondu: “Non. Ce sont des travaux de sécurité. Je ne les ai pas demandés. Je ne paie pas.” Chacun d’entre nous peut s’entêter. Mais, quelle que soit la fin de cette histoire, il est important que l’on se forge une culture de responsabilité face à nos actes. »

Même s’il n’ira pas jusqu’à le soutenir officiellement, Mac est également proche du vice-président, Cyril Ramaphosa. « C’est un très grand négociateur, dit-il de lui. Il a l’énorme atout de pouvoir gérer dix problèmes en même temps. Il fera probablement un bon président. Mais je ne peux pas affirmer qu’avec lui il n’y aura pas plus d’erreurs. »

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