Pourquoi ArcelorMittal rétropédale en Afrique

Expansion gelée au Liberia, acquisition annulée en Guinée… Face à la chute du prix du minerai de fer, le géant de l’acier revoit ses ambitions à la baisse.

La mine libérienne de Yekepa a produit 5 millions de tonnes de fer en 2013. © Arcelor Mittal

La mine libérienne de Yekepa a produit 5 millions de tonnes de fer en 2013. © Arcelor Mittal

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 5 août 2015 Lecture : 5 minutes.

La fête est finie pour le numéro un mondial de la sidérurgie. ArcelorMittal est désormais en pleine réflexion sur la stratégie à suivre au sein de sa division minière. Alors que celle-ci a fait son bonheur lors des années fastes pour les cours du fer (entre 2010 et 2013), lui garantissant des prix contenus pour approvisionner ses gigantesques aciéries, elle plombe aujourd’hui ses résultats.

En dépit d’une production de fer de 63,9 millions de tonnes en 2014 – en hausse de 9,4 % par rapport à 2013 -, la division a vu ses marges rétrécir de 73,8 % entre les premiers trimestres 2014 et 2015. Et le sidérurgiste est dans le rouge, avec une perte de 1,1 milliard de dollars (près de 905 millions d’euros) en 2014 pour l’ensemble du groupe. « Nous avons subi entre mars 2014 et mars 2015 des baisses de 43 % des cours du fer acheté en Chine et d’environ 20 % de ceux du charbon, et ce alors que la production mondiale continuait de progresser », expliquait fin juin à Jeune Afrique William « Bill » Scotting, alors directeur général de la branche minière du groupe. Pendant un an, cet Australien a raboté ses investissements et fait la chasse aux coûts, particulièrement en Afrique.

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Le géant a vu trop grand

Car si le groupe dirigé depuis le Luxembourg par la célèbre famille indienne Mittal compte ses plus grandes aciéries en Europe et en Asie, il avait aussi misé sur le continent – et notamment sur l’Afrique de l’Ouest – pour y extraire du fer. Après une première mauvaise expérience au Sénégal, où il a finalement renoncé au gisement de Falémé, le sidérurgiste était devenu le premier grand investisseur au Liberia depuis la fin de la guerre civile. Installé à Monrovia dès 2004, il avait repris en 2005 la mine de Yekepa (dans le nord du pays), à l’arrêt depuis plus de dix ans. Après la rénovation des infrastructures ferroviaires et portuaires et la relance de cette ancienne exploitation, en 2011, le site avait produit 5 millions de tonnes de fer en 2013, soit près de 8 % du total comptabilisé par le groupe au niveau mondial. Un niveau qui s’est maintenu en 2014 en dépit de l’épidémie d’Ebola.

Début 2013, le sidérurgiste voyait grand pour la suite, annonçant une seconde phase de développement de ses gisements au Liberia, avec 1,9 milliard de dollars d’investissements prévus, notamment pour transformer sur place le fer selon les spécifications de ses clients finaux. En août 2014, il avait même annoncé un accord en vue du rachat du gisement guinéen d’Euronimba (à quelques kilomètres de Yekepa), propriété de BHP Billiton, Areva et Newmont. Dotée de 935 millions de tonnes de réserves de fer, cette acquisition était estimée à 500 millions de dollars. Une fois couplée à la mine de Yekepa et aux infra-structures libériennes, elle aurait dopé sa production africaine. On annonçait également une prospection d’ArcelorMittal dans la Côte d’Ivoire voisine, là encore pour des gisements de fer.

Espoirs déçus

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Un an plus tard, tous ces plans miniers ont volé en éclats. L’expansion du projet libérien a été gelée. Le directeur général de la division mines se refuse à donner une date pour sa relance, devenue hypothétique. Quant à l’acquisition d’Euronimba, elle n’est plus d’actualité, indiquait Bill Scotting. « Nous l’avions conditionnée à l’autorisation du gouvernement guinéen de faire transiter son fer par la voie ferrée et le port de Buchanan, que nous gérons au Liberia. Nous ne l’avons pas obtenue dans les temps impartis. Nous avons donc abandonné ce projet et décidé de nous concentrer sur le Liberia », confiait le directeur général d’alors, visiblement soulagé qu’une clause de l’accord lui ait permis de revenir sur cette acquisition.

Même si, à Yekepa (2 000 salariés, sous-traitants compris), Bill Scotting affirmait avoir réussi à baisser ses coûts d’exploitation de 40 % en un an tout en maintenant sa production, les sites africains d’ArcelorMittal n’ont plus les faveurs de la direction générale. Selon la plupart des analystes, le groupe va privilégier le développement de projets extractifs au Canada – lesquels, contrairement à ceux du Liberia, ont été confirmés. « En 2013, la production de la filiale canadienne est passée de 13 millions à 24 millions de tonnes, et doit atteindre les 30 millions à l’horizon 2017 », explique Ewa Gebala, la directrice des relations publiques de la division minière d’ArcelorMittal.

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Ses implantations sidérurgiques sur le continent, principalement en Algérie et en Afrique du Sud, sont également dans le collimateur de la direction. Le groupe veut concentrer ses efforts sur les produits en acier à haute valeur ajoutée fabriqués en Europe ou en Asie, où sont installés ses plus grands clients industriels, qui font du volume – ce qui laisse de côté les usines sidérurgiques africaines, jugées peu compétitives dans ce cas de figure. Le complexe algérien d’El Hadjar (lire ci-dessous), où Arcelor compte 4 500 salariés, est tourné exclusivement vers le marché local. Touché par un conflit social, il souffre des importations d’acier à bas prix venant d’Europe du Sud, tout comme la Société nationale de sidérurgie (Sonasid) au Maroc, dont ArcelorMittal est un actionnaire minoritaire.

En Algérie, Annaba s’inquiète

Plus de six mois après l’annonce de l’ouverture de lignes de crédit de 600 millions de dollars (environ 494 millions d’euros) pour la relance du complexe minier d’El Hadjar, près d’Annaba (à environ 600 km à l’est d’Alger), les 4 500 salariés s’interrogent toujours sur l’avenir du site. « Depuis l’accord de prêt de la Banque extérieure d’Algérie [BEA], aucun des grands travaux prévus n’a été réalisé. Faute d’investissements, la production chute et de nombreux salariés quittent l’entreprise, qui perd son savoir-faire », se désole le député Smaïn Kouadria, ancien syndicaliste et employé.

En 2001, ArcelorMittal avait repris 70 % des parts du site, qui incluait deux mines (proches de la frontière tunisienne), une aciérie et l’usine de tubes d’acier. Depuis, la situation a toujours été tendue entre la direction et les salariés, avec des résultats souvent catastrophiques sur le plan financier et des actionnaires se rejetant la responsabilité d’investir dans l’outil de production. En juillet 2013, pour sortir de l’impasse, l’État algérien en est redevenu l’actionnaire principal via la Sider, laissant 49 % à ArcelorMittal. Avec pour objectif d’atteindre 2,2 millions de tonnes d’acier, contre 300 000 actuellement. Reste que, selon Smaïn Kouadria, « les fréquents changements de ministres et la lenteur de l’administration ont retardé la relance. L’État préfère s’occuper de nouveaux projets industriels – telles les usines automobiles de Renault et PSA – plutôt que de faire vivre les installations existantes ». Et les tensions sociales sont réapparues, en particulier à la tuberie d’Annaba, encore propriété d’ArcelorMittal à 70 %.

Fin juillet, une grève s’y poursuivait depuis le 29 avril.

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