Algérie : l’étrange limogeage d’Amara Benyounès

Brutalement démis de ses fonctions, le ministre du Commerce était pourtant un soutien d’Abdelaziz Bouteflika. Une décision surprenante prise alors qu’il dénonçait les pratiques financières du secteur automobile.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 5 août 2015 Lecture : 4 minutes.

La surprise a été totale. Le 23 juillet, soit quelques semaines seulement après le remaniement gouvernemental du mois de mai, trois ministres algériens ont subitement été limogés. Parmi eux, Amara Benyounès, 57 ans, qui gérait le portefeuille du Commerce. L’homme était pourtant considéré comme un soutien indéfectible d’Abdelaziz Bouteflika.

Secrétaire général du Mouvement populaire algérien (MPA), un parti créé en 2012, et plusieurs fois ministre depuis 1999, Benyounès a soutenu la candidature du président algérien à un quatrième mandat en avril 2014 en faisant campagne pour sa réélection. C’est à lui qu’on doit la phrase devenue célèbre : « Un président n’a pas besoin de son pied, mais plutôt de sa tête pour diriger », en réponse aux opposants de Bouteflika.

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Formé à l’économie internationale et du développement en France, à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne, celui qui était numéro deux du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RDC, parti laïc d’opposition) avant d’en être exclu est aussi réputé proche de Saïd Bouteflika, frère cadet du chef de l’État et conseiller spécial à la Présidence.

Ses relations avec le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, étaient difficiles.

Une éviction brutale et inattendue

Qu’est-ce qui a donc bien pu lui valoir cette éviction aussi brutale qu’inattendue ? Il est vrai que ses relations avec le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, étaient difficiles. Celui-ci l’a désavoué à plusieurs reprises sur divers dossiers, dont la libéralisation du commerce en gros des boissons alcoolisées.

Début 2015, le désormais ex-ministre du Commerce avait tenté, via une circulaire, de supprimer l’obligation (instaurée en 2006 par le ministre du Commerce d’alors, El Hachemi Djaaboub) d’obtenir une autorisation préalable avant d’exercer cette activité, suscitant la colère du camp islamiste. Le Premier ministre avait alors sursis à l’application de la circulaire.

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Il est aussi vrai qu’au sein du gouvernement Benyounès n’était pas souvent sur la même longueur d’ondes que certains de ses collègues. Et qu’il y était perçu comme intéressé avant tout par sa propre carrière politique. Mais alors qu’on ne donnait pas cher de sa tête, le ministre avait été reconduit dans ses fonctions en mai.

« Benyounès paie-t-il pour s’être attaqué à certains dossiers jugés très sensibles, touchant aux intérêts de puissants hommes de pouvoir ? » s’interroge un diplomate en poste à Alger. Ces derniers temps, Benyounès s’est fait remarquer par ses sorties. Début juin, il s’en est pris aux importateurs et aux distributeurs d’automobiles en Algérie. « C’est parmi les plus grands vendeurs de voitures qu’il y a le moins de déclarations d’impôts », avait-il affirmé à l’occasion du Trophée Export 2014, qui récompense la meilleure entreprise algérienne hors hydrocarbures.

Au-delà de l’automobile, c’est à tous les importateurs de biens qu’Amara Benyounès semblait vouloir s’en prendre.

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Benyounès s’était attaqué à des sujets sensibles

Une dizaine de jours plus tard, son ministère rendait public un rapport détaillé sur les activités des concessionnaires automobiles entre 2013 et 2014. Réalisé à partir de données fournies par les douanes algériennes et d’analyses des bilans déposés par ces concessionnaires auprès du Centre national du registre du commerce (CNRC), le document révélait que, en dépit d’un bénéfice de 18 milliards de dinars (environ 166 millions d’euros) réalisé en 2013, huit concessionnaires avaient déclaré des « déficits importants ».

Le rapport du ministère du Commerce dénonçait ainsi « certaines pratiques financières utilisées par les concessionnaires pour transférer plus de capitaux vers l’étranger en augmentant les charges pour équilibrer leur comptabilité et échapper au contrôle financier et fiscal du pays ». La démarche a été d’autant plus appréciée par l’opinion qu’avec la chute des cours de l’or noir l’Algérie voit ses recettes fondre à grande vitesse et doit chercher de nouvelles sources de revenus.

Conflit d’intérêt ?

Cette dénonciation a-t-elle heurté des intérêts ? « Il ne faut pas oublier que le lobby des importateurs est très puissant et qu’il a un accès direct au cœur du pouvoir algérien », rappelle un bon connaisseur du secteur. Pour donner une idée de l’enjeu : en dix ans, le chiffre d’affaires global des importations d’automobiles s’est envolé de 821 %, passant de 76 milliards à 700 milliards de dinars entre 2003 et 2012, précise le rapport du ministère du Commerce. En 2014, les importations ont intégré une hausse des prix de près de 9 %, alors que le taux de change nominal dollar/dinar ne s’est déprécié que de 1,1.

Par ailleurs, la filière automobile enregistre une régression de ses ventes à l’échelle mondiale, qui doit se traduire, a priori, par une baisse des prix à l’importation, souligne le document. Et sur ce très lucratif marché, les marques étrangères, françaises (Renault et Peugeot) et asiatiques (Hyundai) notamment, se taillent la part du lion : elles détiennent plus de la moitié des parts de marché (52 %) en 2014. Mais des acteurs locaux tels que Sovac s’y montrent également actifs.

Au-delà de l’automobile, c’est à tous les importateurs de biens qu’Amara Benyounès semblait vouloir s’en prendre. Dans l’affaire de la libéralisation du commerce en gros des boissons alcoolisées, les importateurs étaient concernés au premier chef. L’ancien ministre avait d’ailleurs dénoncé dans la presse locale la pression de certains grands vendeurs qui mettaient tout en œuvre pour préserver leur monopole. Si une bonne partie de la bière et du vin consommés localement sont produits sur place, tous les autres alcools sont en effet importés. Selon les médias nationaux, le pays a importé en 2014 pour 82 millions de dollars (67,5 millions d’euros) de boissons alcoolisées, soit une progression de plus de 40 % en deux ans. Une activité florissante.

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