Tchad : Goukouni Weddeye, guerrier assagi

Alors que son tombeur, Hissène Habré, est jugé à Dakar, que devient celui dirigea le pays de 1979 à 1982 ? Nous l’avons rencontré à N’Djamena, où il se présente désormais en homme de paix.

L’ancien chef de l’État tchadien dans sa résidence de N’Djamena (le 22 juin). © Alfredo Caliz pour J.A.

L’ancien chef de l’État tchadien dans sa résidence de N’Djamena (le 22 juin). © Alfredo Caliz pour J.A.

Publié le 12 août 2015 Lecture : 6 minutes.

Il ne traînera pas sa frêle silhouette à la barre du tribunal de Dakar. Il ne croisera donc pas le regard de son ennemi intime, qu’il n’a plus revu depuis près de trente-cinq ans. Goukouni Weddeye a refusé – pour on ne sait quelles raisons – de témoigner au procès de Hissène Habré, qui s’est ouvert le 20 juillet au Sénégal avant d’être ajourné au 7 septembre. Mais il n’a pas perdu une miette de ses préparatifs. Comment pourrait-il s’en désintéresser, lui dont le destin a longtemps été lié à celui de son aîné de deux ans, un Toubou comme lui – même s’ils ne sont pas issus de la même branche.

Habré le Téda et Weddeye le Daza ont guerroyé pendant près de vingt ans : ensemble, entre 1972 et 1976, dans ce que l’on appelait alors la « deuxième armée » ; puis l’un contre l’autre jusqu’à la fin des années 1980. Chacun leur tour, ils ont connu les soutiens ambigus et intéressés des puissants de ce monde, les défaites militaires, le désespoir certainement. Mais aussi le pouvoir. La chute : la fuite, la traversée nocturne du fleuve Chari et le passage en terre camerounaise avec le dernier carré des fidèles. Et enfin l’exil, au Sénégal pour Habré, en Libye puis en Algérie pour celui que tout le monde appelle Goukouni.

Nous sommes dans une ère nouvelle. On ne peut plus se permettre de faire la guerre »

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Aujourd’hui, à 71 ans, c’est comme s’il voulait ne plus y penser. Dans l’immense salon de la villa que lui a allouée l’État après son retour au pays en 2009, dans le quartier de Farcha, dans l’est de la capitale – celui-là même d’où il organisait les opérations lors de la seconde bataille de N’Djamena, en 1980 -, Goukouni ne rechigne pas à parler de Habré, de leurs luttes épiques et de leur séparation.

Sans rancune

Il ne lui en veut pas d’ailleurs, et en parle comme on évoque un ami d’enfance depuis longtemps perdu de vue. « Je n’ai aucune rancune contre lui, dit-il. Je ne le considère pas comme un ennemi. À l’époque, chacun d’entre nous avait son idée. » Mais il ne prend pas non plus de plaisir particulier à se remémorer ces temps obscurs où la guerre semblait être le seul moyen de conquérir le pouvoir au Tchad.

C’est en homme de paix qu’il se présente désormais : « Nous sommes dans une ère nouvelle. On ne peut plus se permettre de faire la guerre. » Le voilà même médiateur. Depuis le mois de mai, il est censé renouer les fils du dialogue au Burundi – un pays qu’il découvre – au nom de la Ceeac. Pas une mince affaire, surtout pour cet homme du désert plus habitué au silence des nomades qu’au tumulte des Grands Lacs. « Je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai été choisi, convient-il. Mais je ferai en sorte de remplir ma mission. »

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Sa relation à la Libye

Il s’y était déjà essayé (sans succès) en Libye, un pays qu’il connaît bien mieux pour y avoir passé une partie de sa vie et pour y compter de nombreux parents. C’était fin 2014. Les heurts entre les Toubous et les Touaregs se multipliaient à Oubari et à Sebha. « Des représentants des deux groupes sont venus prendre contact avec le chef de l’État tchadien. À la suite de ces deux entretiens, Idriss Déby Itno, ne voulant pas personnellement s’engager, a souhaité que je rencontre ces deux groupes, que je les écoute et, si possible, que je les réconcilie. » Le dialogue a fait long feu.

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Certes, au bout de trois jours de discussions dans la propre villa de Goukouni, les deux délégations, de Toubous et de Touaregs, s’étaient entendues sur un projet d’accord. Mais personne n’était mandaté pour faire la paix. Et les interférences étrangères (des pays du Golfe notamment) étaient trop fortes pour que N’Djamena règle le problème tout seul. « Depuis, constate Goukouni avec amertume, un groupe négocie à Tobrouk, un autre à Dubaï, un troisième au Qatar, et une rencontre est prévue en Tunisie… Ils sont tellement divisés que nous n’arrivons pas à comprendre ce qui se passe. »

Le chaos libyen le désole mais ne l’étonne pas. Celui qui a longtemps été soutenu par Mouammar Kadhafi, qui fut même accusé d’être sa marionnette (accusation maintenue, encore aujourd’hui, par le clan Habré), sait de quoi il parle : « C’était prévisible. Kadhafi avait lui-même dit : “Après moi, ce sera le chaos.” Ce régime a tenu pendant quarante ans en divisant les tribus. »

Pour autant, il ne fallait pas bombarder Tripoli et encore moins tuer Kadhafi, pense-t-il. « Quand sa mort a été annoncée, la plupart des Toubous étaient contents. Pas moi. Kadhafi nous a beaucoup aidés. Il nous a cassés aussi, il a tenté de m’éliminer physiquement. Mais un adage toubou dit : “ Ne jette pas de caillou dans un puits dont tu as bu l’eau.” »

Le Tchad va bien. Nous volons même au secours des autres, au Mali, au Nigeria.

Un homme assagi

L’homme s’est assagi, c’est une évidence. Il est loin le guerrier des années 1970 qui décidait avec ses camarades (dont Habré) d’enlever des Européens pour obtenir des armes et d’exécuter le Français qui était venu négocier leur libération – il est vrai que le commandant Pierre Galopin était un agent de l’ennemi juré, le président François Tombalbaye, et qu’il avait provoqué la mort de deux de ses frères quelques années plus tôt. Il est loin aussi le rebelle qui déclarait en 1991 que Déby, tout juste arrivé au pouvoir, avait « intérêt à [le] ménager ». C’est qu’il a perdu la main depuis longtemps. « Il fait partie d’une autre époque, glisse l’un de ses anciens combattants. Il reste un homme important pour nous, mais la jeunesse a d’autres guides. »

Aujourd’hui, Goukouni est derrière Déby. « À sa botte », disent ses détracteurs. La seconde épouse de Habré, Fatimé Raymonde, le qualifie quant à elle d’« idiot utile » du président actuel. Selon un Français qui connaît bien Goukouni, il en va ainsi de toute la famille, issue d’une lignée de notables du Tibesti. Certes, le Toubou au bouc et au boubou blancs ne cache pas son opposition à une intervention militaire en Libye, alors que « son » président en est l’un des plus chauds partisans : « Qui va-ton combattre ? Ils sont tellement divisés. On ne va pas refaire les erreurs du passé », dit-il. Mais sur le reste, il n’a aucun reproche à faire à Déby. « Le Tchad va bien. Nous volons même au secours des autres, au Mali, au Nigeria. Pendant qu’ils étudiaient, nous nous entraînions à faire la guerre. C’est autant une force qu’une faiblesse.« Parole de sage.

CHRONOLOGIE – DE LA RÉBELLION À LA MÉDIATION

1944 – Naissance à Zouar

1968 – Goukouni rejoint le Front de Libération nationale du Tchad (Frolinat)

1972 – Création de la « deuxième armée », une dissidence du Frolinat avec Hissène Habré

1976 Rupture avec Habré

1979 – Chef du gouvernement d’union nationale de transition (Gunt), avant d’être renversé par Habré en 1982

1983 – Goukouni reprend Faya et Abéché et contrôle le nord du pays

1987 – Défait par les forces armées nationales du Tchad (Fant), il s’exile en Algérie

2009 – Retour à N’Djamena

2015 – Nommé médiateur de la Ceeac au Burundi

LA LIBYE, UNE AFFAIRE DE FAMILLE

La mission de Goukouni Weddeye dans le sud de la Libye a pris fin dès qu’Idriss Déby Itno l’a décidé, il y a quelques mois. Le chef de l’État tchadien n’était pas très à l’aise avec ce dossier pollué par de multiples interférences, dont celle du Qatar, un pays dont il se méfie. La famille Weddeye, qui s’inquiète de voir le Sud libyen en proie au chaos et dont l’influence dans le monde toubou reste importante, n’en a pas pour autant fini avec cette médiation. C’est l’un des frères de Goukouni (même père) qui a pris la relève.

Âgé de 44 ans, Khadafi Weddeye a passé une partie de sa jeunesse en Libye, où il est né, puis en Algérie, avant de faire sa vie en France. Aujourd’hui, il fait le lien entre les Toubous du sud de la Libye et les médiateurs en tous genres. En avril, il a vu à Dubaï le chef de guerre Barka Wardougou, qui joue toujours un rôle important dans la zone. Un mois plus tard, c’est en Tunisie qu’il s’est rendu pour y rencontrer des délégués toubous et touaregs. « C’est un conflit complexe, instrumentalisé par les groupes qui se battent dans le nord de la Libye, mais qui n’a pas de raison d’être car les Touaregs et les Toubous ont toujours vécu en bonne intelligence », explique-til.

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