Fahiraman Rodrigue Koné : « Certains mauvais réflexes n’ont plus lieu d’être » en Côte d’Ivoire

Le sociologue ivoirien analyse l’ambiance préélectorale, où les arguments identitaires paraissent aujourd’hui complètement décalés.

Publié le 12 août 2015 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : La question de l’éligibilité du président, que l’on pensait réglée depuis la crise de 2010, réapparaît dans le discours de l’opposition. Cela ne risque-t-il pas de réveiller le vieux démon de l’ivoirité ?

Fahiraman Rodrigue Koné : L’opposition fait en effet feu de tout bois pour remettre ce thème sur le devant de la scène. D’abord par défaut, car elle n’a pas réussi à définir une stratégie commune, cohérente et efficace pour conquérir le pouvoir et que, du coup, elle se rabat sur un sujet polémique qui est l’un des rares à pouvoir mobiliser l’électorat radical du FPI [Front populaire ivoirien] et les anti-Ouattara de tous bords. Un électorat que nombreux cherchent aujourd’hui à séduire.

Je ne pense pas qu’il y aura de dérapages violents comme en 2010, le contexte politico-militaire a complètement changé

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La deuxième raison est qu’il s’agit là d’un réflexe pour une partie de la classe politique ivoirienne, tous partis confondus, qui, d’un point de vue générationnel, est en déphasage complet avec la société ivoirienne actuelle. D’un côté, nous avons une population très jeune (77 % de moins de 36 ans) confrontée à des défis socio-économiques mal pris en charge par l’offre politique. De l’autre, la plupart de nos politiques étaient déjà présents sous Félix Houphouët-Boigny, et ils restent très nostalgiques de cette période, de l’émotion et des discours identitaires.

Si ces derniers sont en « déphasage » par rapport aux préoccupations de la société, cela veut-il dire que le débat sur les critères d’éligibilité n’intéresse plus les Ivoiriens ?

Après la crise postélectorale, beaucoup s’attendaient à ce qu’il y ait des réformes, notamment constitutionnelles, afin que l’espace sociopolitique soit purgé de cette question génératrice de conflits depuis plus de vingt ans. Cela n’a pas été le cas. Tout comme d’autres causes profondes de la crise, d’ailleurs, comme l’impunité, qui n’ont pas encore été suffisamment traitées. La question est donc toujours une source de fractures et de tensions, mais, de là à dire qu’il faut résumer l’actualité politique et la future campagne à ce thème, il y a un pas que beaucoup ne franchissent pas.

Cette radicalisation des discours peut-elle conduire à des dérapages violents, comme en 2010 ?

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À l’heure actuelle, je ne le pense pas, car le contexte politico-militaire a complètement changé. En 2010, la situation était explosive, avec deux blocs aux moyens considérables, quasiment deux armées, et une société chauffée à blanc par une décennie de crise. Aujourd’hui, un seul acteur domine la scène nationale : le pouvoir actuel. Il contrôle l’appareil d’État, l’armée, dispose de ressources globales suffisantes et est donc capable d’imposer sa vision en dernier recours.

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