Congo-Brazzaville – Football : le fétichisme, tabou des Diables rouges

Au sein de l’équipe nationale comme dans la plupart des sélections sur le continent, le fétichisme fait plutôt bon ménage avec le football.

Dessin Dom. © Dom

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Alexis Billebault

Publié le 19 août 2015 Lecture : 3 minutes.

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Plus ils y sont sensibles, moins ils en parlent. La simple évocation d’un article sur les fameux grigris fait fuir les interlocuteurs, y compris les habitués des médias et ceux qui ne sont pas nés ou ne vivent pas sur le continent.

Ainsi, plusieurs joueurs congolais ont poliment décliné l’invitation qui leur avait été faite de parler (même sous le couvert de l’anonymat) de l’impact des différentes croyances au sein de la sélection. « Voyez plutôt avec untel, il est beaucoup plus à l’aise sur la question… » Et untel, bien sûr, ne décrochera jamais.

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« Cela ne m’étonne pas vraiment, s’amuse Claude Le Roy, le sélectionneur des Diables rouges. Ils sont presque tous très croyants et le fétichisme reste assez présent, mais ils gardent cela pour eux, c’est quelque chose de très personnel. Les grigris font partie de la culture africaine, même si j’ai parfois le sentiment que le phénomène a un peu perdu du terrain au profit de la religion. »

Et le Français d’ajouter : « Je pars toujours du principe qu’en Afrique je ne suis pas chez moi et que je dois m’adapter à la culture du pays où je vis. Même si l’entraîneur que je suis doit aussi veiller à ce que ces choses personnelles ne perturbent ni mon travail ni la vie du groupe. »

Si un joueur écoute uniquement son marabout, cela peut avoir des effets désastreux. »

Le Roy, qui connaît l’Afrique par cœur pour avoir trimbalé sa longue tignasse blonde au Cameroun (deux fois), au Sénégal, en RD Congo (deux fois), au Ghana et, depuis la fin 2013, au Congo, assure n’avoir jamais empêché un joueur d’avoir recours aux services de son marabout.

« À une condition, précise-t-il. C’est que l’on ne m’impose pas cette personne dans mon staff technique. Je ne dis pas cela au hasard, car je sais que c’est déjà arrivé… Et si un joueur se met à écouter uniquement son marabout, cela peut avoir des effets désastreux. »

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Depuis Bamako, où il entraîne désormais le prestigieux Stade malien, Kamel Djabour (qui a dirigé la sélection congolaise en 2012-2013) se souvient du ballet incessant qui rythmait les veilles de match des Diables rouges. « Les joueurs reçoivent beaucoup de visites. Et ce ne sont pas seulement des membres de la famille… Mais ils sont très discrets. Il peut y avoir un féticheur par joueur. J’ai cependant remarqué que ces pratiques concernaient davantage ceux qui sont nés au Congo. Les “Européens” y sont beaucoup moins sensibles, pour des raisons de culture, mais aussi parce qu’ils n’ont pas les réseaux sur place. »

Beaucoup de superstitions

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S’il n’a jamais rien vu, le technicien franco-algérien affirme qu’il y a encore beaucoup de superstitions. « Ils sont très discrets, mais je sais que certains joueurs cachent de petits objets fétiches dans les shorts, les chaussettes et les chaussures avant d’entrer sur le terrain. »

À Pointe-Noire, où joue souvent la sélection nationale, « des gens viennent bénir le stade, et cela n’est pas gratuit », souligne par ailleurs Kamel Djabour, rappelant que si ces pratiques constituent un véritable business, le recours au fétichisme se fait en tête à tête, dans l’intimité d’une chambre ou dans un coin de vestiaire. « C’est tout le contraire pour la religion, constate Claude Le Roy. On dit que c’est quelque chose de très personnel mais, dans de nombreuses équipes de football, les joueurs prient avant les matches, et parfois même avant les entraînements. Ils se réunissent entre eux et font une prière collective. »

L’influence des Églises évangéliques

Comme d’autres pays africains à forte majorité chrétienne, le Congo connaît aussi, depuis une quinzaine d’années, l’influence grandissante des Églises évangéliques, souvent plus démonstratives dans leurs pratiques, notamment au sein des courants pentecôtistes et baptistes.

Jeune retraité de 36 ans et ex-membre éminent de la sélection congolaise, Oscar Ewolo, qui a longtemps été capitaine des Diables rouges et défenseur de clubs français (Brest, Amiens, Lorient, Laval), est d’ailleurs devenu pasteur évangélique en Bretagne.

« Il y a aussi eu une mode venue du Brésil. Pendant la Coupe du monde de 2002, on voyait beaucoup les joueurs brésiliens prier à genoux, tous ensemble, au milieu de la pelouse », rappelle Le Roy, qui ignore la proportion réelle d’évangéliques au sein de son effectif.

« On compte aussi quelques musulmans, des non-croyants, et en tout cas aucun problème confessionnel, souligne-til. Celui qui ne croit pas en Dieu et ne veut pas participer à la prière ne sera pas mal considéré par les autres. » S’il laisse chacun vivre ses croyances et sa foi comme il l’entend, le coach ne tolère cependant aucun prosélytisme dans son vestiaire. « Mieux vaut que je ne le sache pas… »

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