Élections régionales au Maroc : qui remportera la guerre des villes ?
Le 4 septembre, PAM et PJD vont s’affronter sur le ring des communales et des régionales. L’heure de vérité pour les deux grandes formations politiques ?
La rentrée politique s’annonce chaude. Le 4 septembre, plus de 14 millions de Marocains inscrits sur les listes seront appelés à élire les 24 655 membres des conseils communaux.
La guerre des phrases cinglantes a débuté bien avant le lancement de la campagne, le 22 août, et les petits jeux d’alliances et de grandes manigances risquent de se poursuivre après le scrutin, quand il faudra voter pour les présidents des communes de plus de 35 000 habitants, ainsi que pour ceux des six conseils de ville (Casablanca, Rabat, Salé, Tanger, Fès et Marrakech) et, enfin, pour les conseils régionaux. Une nouveauté du projet de régionalisation avancée qui constitue la pierre de touche de l’agencement territorial version Mohammed VI.
Pour pimenter le plat et égayer les papilles des votants, rien ne vaut la personnalisation des enjeux. De duels et de piques, de passes d’armes et de rebondissements, le scrutin ne sera pas avare. Les élections des chambres professionnelles, le 7 août, ont donné le coup d’envoi des hostilités. L’affiche est celle d’un remake : Parti Authenticité et Modernité (PAM) contre Parti de la justice et du développement (PJD).
PAM vs PJD
Le PAM, créé en 2008 par Fouad Ali El Himma avec l’objectif avoué de redessiner la carte politique du pays et de couper l’herbe sous le pied des islamistes, a encore une fois montré toute la puissance de sa machine à recruter des notables en raflant 408 sièges (18,7 % du total) au sein des chambres d’agriculture, de commerce, de l’industrie et des services, de l’artisanat et des pêches maritimes.
Le PJD, lui, a remporté 196 sièges (près de 9 %). Une forte progression par rapport aux précédentes élections (81 sièges), mais il a tout de même été devancé par l’Istiqlal (16,1 %), le Rassemblement national des indépendants (RNI, 14,9 %), le Mouvement populaire (MP, 9,3 %) et par les candidats sans appartenance politique (SAP, 11,8 %).
Les dirigeants du PAM se sont empressés de conclure que ces résultats préfiguraient leur triomphe lors des communales à venir. Numéro deux du parti, mais omniprésent dans le rôle de premier opposant, Ilyas El Omari profite de leur annonce, le 8 août, pour taquiner le chef du gouvernement – qui l’avait comparé à « Ben Ali » et à un « mafioso » : « Nous aurions voulu qu’Abdelilah Benkirane fasse preuve de fair-play et nous félicite pour notre victoire, puisque nous l’avons félicité pour ses résultats. »
Il n’en fallait pas plus pour réveiller le bagarreur qui sommeille en Benkirane. Lors d’un meeting à Témara, le 16 août, le zaïm du PJD a répliqué avec une grande violence que « le PAM était mort avec le Printemps arabe », ajoutant que ce « courant était contre les intérêts du pays et de la monarchie » et lui promettant des « surprises désagréables lors des prochaines élections malgré l’usage de l’argent sale et de l’intimidation ».
Un scrutin qui manque de crédibilité ?
Ces accusations ne sont pas nouvelles et relancent d’anciennes suspicions sur le financement des campagnes, ce qui pourrait entacher la crédibilité du scrutin à venir. Le ministère de l’Intérieur, qui supervise avec celui de la Justice le déroulement des élections, a fixé des règles strictes : un plafond de 150 000 dirhams (13 820 euros) de dépenses par candidat aux régionales et de 60 000 dirhams aux communales.
Des chiffres à comparer aux budgets prévisionnels annoncés par les partis. Ainsi, le PAM prévoit de dépenser 30 millions de dirhams, dont le tiers provient de subventions du ministère de l’Intérieur. Le RNI se veut plus modeste avec 12 millions de dirhams, dont près de 6,5 millions d’aides de l’État, soit quelques centaines de dirhams par candidat… Des sommes très en deçà des dépenses réelles.
Même si un contrôle est effectué a posteriori, la pratique de l’achat des voix, via le recrutement de relais de campagne dans les quartiers, l’organisation de meetings et de banquets, voire par des dons en nature ou en numéraire, reste répandue.
Découvrez ci-dessous les détails des six principales grandes batailles qui se jouent à l’occasion de ces élections régionales.
Coup de jeune à Rabat, duel à Kénitra
Changement assuré au sommet de la capitale administrative du royaume, puisque le maire socialiste sortant, Fathallah Oualalou (USFP), n’est pas candidat à un second mandat. C’est dans la circonscription huppée d’Agdal-Hay Ryad que se concentrent les noms connus. Très proche du chef du gouvernement, Abdelali Hamieddine (PJD) s’y confronte à deux figures montantes de la scène politique : le parlementaireMehdi Bensaïd (PAM), actuel président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, et Omar Balafrej, transfuge de l’USFP qui a rejoint les listes de la Fédération de la gauche démocratique.
À Témara, l’autre jeune député pamiste Younès Sekkouri conduit la liste du « tracteur », tandis qu’à Kénitra le ministre de l’Équipement et du Transport, Abdelaziz Rebbah, brigue un second mandat. Il est aussi numéro un de la liste du PJD pour les régionales. Face à Rebbah, on trouve le notable Driss Radi, élu (UC) à la Chambre des conseillers, qui vise aussi la mairie de Kénitra et la présidence du conseil régional.
Choc en vue
La grande région couvrant une large portion du nord du pays était la surprise du nouveau découpage. Comme taillée sur mesure pour les ambitions d’Ilyas El Omari. L’influent numéro deux du PAM conduit la liste de son parti pour la mairie d’Al Hoceima ainsi que pour les régionales. Une candidature qui a déjà provoqué des levées de boucliers au sein des principales formations de la région (Istiqlal, RNI, PJD, USFP), qui dénoncent la manière dont se sont déroulées
les récentes élections des chambres professionnelles.
À Tanger, le maire sortant Fouad El Omari – frère d’Ilyas – se présente dans la circonscription de Mghogha. Face à lui, Bachir Abdellaoui (PJD). Avec sa liste indépendante, l’ex-PAM Aziz Benazzouz pourrait jouer le faiseur de roi. Dans cette circonscription, le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane prévoit de tenir un meeting qui s’annonce déjà électrique.
Inflation de poids lourds à Casa
Gros risque d’embouteillage dans la capitale économique et dans sa région immédiate. La faute aux nombreuses personnalités qui s’y bousculent. Dotée
d’un conseil de la ville, Casablanca a pour maire sortant Mohamed Sajid. Récemment élu à la tête de l’UC, il se présentera à Aïn Chock où il affrontera
Chafik Benkirane, du RNI. L’ex-ministre Moncef Belkhayat (RNI) se présente à Sidi Belyout tandis que son ancienne camarade du gouvernement, Yasmina
Baddou, de l’Istiqlal, se lance à Anfa. Son parti peut compter sur Karim Ghellab pour rempiler dans l’arrondissement de Sbata.
Le PAM brigue la présidence de la région pour son secrétaire général, Mustapha Bakkoury, qui se présente aux communales dans sa ville natale de Mohammedia. Candidat à Hay Mohammadi, le ministre Abdelaziz El Omari mène la liste du PJD aux mêmes régionales.
Le match est-il joué d’avance ?
La maire de Marrakech, Fatima Zahra Mansouri, brigue un second mandat dans une ville où son parti a réalisé une montée fulgurante. Le PAM a déjà la présidence de cette région à travers Ahmed Touizi et, au prochain scrutin, il présentera pour ce même poste l’un de ses gros calibres : Ahmed Akhchichen, ancien ministre de l’Éducation nationale. Les islamistes du PJD, qui ont promis une opposition farouche au PAM, misent sur Larbi Belcaid, qui mènera la liste régionale.
Quant à l’Istiqlal, dont la «cité ocre» représentait l’un des fiefs historiques, il compte sur Abdelatif Abdouh, Hassan Naouar et Younes Boussekssou pour rehausser son image. Le RNI espère pour sa part décrocher la présidence du conseil communal de Marrakech avec Abdelaziz El Banine.
Qui sera le nouveau patron à Fès ?
Pour Hamid Chabat, pas question de perdre son fief. Élu maire de Fès en 2003, le patron de l’Istiqlal a besoin de cette tribune pour garder une audience nationale. Et pour continuer sa guerre d’usure contre le gouvernement d’Abdelilah Benkirane, son ennemi juré. Depuis des semaines, le parti de la « balance »
enregistre des défections en série dans la région et le PJD maintient sa pression.
Pour se mesurer à Chabat, le parti islamiste a préféré mettre en avant Driss El Azami El Idrissi. Ce natif de Fès est, depuis 2012, ministre délégué au Budget. Son profil technocratique, son ton mesuré et son goût pour les exposés chiffrés, tout en lui tranche avec le style Chabat.
Pour la présidence de la région de Fès-Meknès, tous deux devront compter avec la candidature de Mohammed Ouzzine. L’ex-ministre de la Jeunesse et des Sports, démis de ses fonctions en janvier, se présente dans son village de Oued Ifrane ainsi qu’en première position sur la liste
du Mouvement populaire pour les régionales.
Tout est possible à Agadir
Si le PJD ne devait gagner qu’une seule grande ville, ce serait celle-là. Elle viendrait s’ajouter à Tétouan et Kénitra, arrachées en 2009 face au barrage d’alliances érigé pour contrer le parti islamo-conservateur dans les autres grandes villes. En plus d’y avoir réalisé de bons scores, les élus du PJD avaient permis l’élection du maire sortant, Tariq Kabbage. Une alliance surprenante entre islamistes et socialistes, mais qui a bien fonctionné durant tout le mandat.
Depuis, Kabbage a claqué la porte de l’USFP pour former un nouveau parti : Alternative démocratique, qui n’a pas reçu à temps l’accréditation du ministère de l’Intérieur pour ces élections. Le maire sortant se présente donc en candidat indépendant. Il trouvera sur son chemin Lahcen Bijdiguen, ancien président du Hassania d’Agadir et de la chambre des pêches maritimes, investi par le RNI, ainsi que Hamid Ouahbi, frère du dirigeant du PAMAbdellatif Ouahbi. Cette forte compétition pourrait donc profiter au PJD, qui avait très largement remporté les législatives de 2011àAgadir.
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