Japon : tout fout le camp, même la mafia
Affaiblis par la répression policière et l’irruption d’une criminalité d’un nouveau genre, les yakuzas ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils furent. Dans leurs rangs, les arrestations se multiplient.
Yakuza. Le nom est évocateur de tatouages – dragons ou geishas – et d’auriculaires coupés. Tout un univers terrifiant qui pourrait bientôt disparaître et se retrouver relégué dans les studios de cinéma. C’est ainsi : le redoutable syndicat du crime japonais périclite. Ses membres étaient plus de 85 000 en 2009. Ils n’étaient plus que 53 500 l’an dernier.
Selon la police, ce déclin est dû au renforcement de l’arsenal législatif antimafia mis en place en 1992. Cette politique sans concession aurait permis de couper les gangs de leurs financements traditionnels.
Les yakuzas jouissent dans la population d’une stupéfiante réputation de protecteurs des faibles
Le temps de l’impunité est révolu
Longtemps, les arrestations de yakuzas furent l’exception. Désormais, elles se multiplient. C’est un spectaculaire coup de filet qui, fin 2010, a tout changé. Il a permis de mettre hors d’état de nuire Kiyoshi Takayama et Tadashi Irie, deux gros bonnets membres du clan Yamaguchi-gumi. Leurs petites spécialités ? La finance et la drogue.
En juin, les arrestations de Shinichi Matsuyama, parrain légendaire du Kyokuto-kai inculpé de fraude fiscale, et d’Isao Seki, son adjoint, tombé pour divers actes de violence, l’ont confirmé : le temps de l’impunité est révolu.
Depuis le XVIIe siècle, la pègre tire en coulisses les ficelles de la politique et de la finance locales. En 2007, par exemple, le Yamaguchi-gumi ordonna à ses 40 000 membres d’apporter leur soutien logistique et économique au Parti démocrate du Japon (PDJ). Deux ans plus tard, ce parti de centre gauche remportait une victoire historique aux législatives… Par soutien logistique, il faut entendre diverses choses. Certaines légales, comme le prêt de salles de meeting ou l’organisation de soirées de soutien. Et d’autres beaucoup moins, comme les « retraits du jeu », aimable euphémisme pour désigner un assassinat.
Rien de secret dans tout cela : au Japon, la mafia opère au grand jour. Ses membres possèdent des bureaux où, à l’occasion, ils n’hésitent pas à donner des interviews. Ils ont même des cartes de visite, des fan-clubs et des sites internet.
Une réputation de protecteurs des faibles
Les yakuzas jouissent en outre dans la population d’une stupéfiante réputation de protecteurs des faibles. Il est vrai que, au lendemain du tremblement de terre de Kobe, en 1995, ce sont eux qui, avant les autorités, organisèrent les premiers secours. Eux encore qui, après le tsunami de 2011, engagèrent la reconstruction des zones sinistrées.
Tout cela justifie à leurs yeux le sokaiya, ce racket institutionnalisé des entreprises qu’on pourrait comparer à une taxe féodale. Mais pas d’angélisme : il va de soi que cette aide humanitaire sert de paravent à de juteux contrats avec des entreprises du bâtiment et à diverses malversations. Une enquête de la télévision a ainsi révélé que les ouvriers envoyés à Fukushima pour décontaminer la centrale nucléaire n’étaient pas tous volontaires !
Reste que les grandes heures des yakuzas sont bel et bien révolues. « Il y a encore quelques années, on s’en sortait très bien entre le sokaiya, la spéculation immobilière et le management d’artistes de variété ou de lutteurs de sumo, confie l’un d’eux au Tokyo Reporter. Aujourd’hui, le moindre écart mène droit en prison. »
Climat morose
Alors, chacun s’adapte comme il peut. Certains clans ont carrément renoncé au trafic de drogue et à la fraude bancaire pour se reconvertir dans des activités moins risquées, comme les paris et les casinos clandestins.
Ce climat morose est encore aggravé par l’irruption de voyous d’un nouveau genre : les bosozoku. Ces criminels ont pris le contrôle de secteurs traditionnellement négligés par les yakuzas : braquages, petite prostitution, rackets de commerces, etc. Le moins que l’on puisse dire est que leurs méthodes sont fort radicales et ne s’embarrassent pas d’un quelconque code d’honneur.
« S’il faut être violent pour régler un problème, nous n’hésitons pas, explique l’un d’entre eux dans les colonnes du Shukan Post. On ne vit plus au temps des samouraïs, plus personne ne veut devenir yakuza ! » Décidément, les traditions se perdent. Même dans la mafia.
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