Mali : le Front de libération du Macina, un nouveau Boko Haram ?
Dans la région du Macina, dans le centre du Mali, des milices d’autodéfense peules se sont radicalisées et leur rhétorique n’est pas sans rappeler celle des jihadistes nigérians. Qui sont-elles ?
C’était au mois de février. Le nom d’Amadou Koufa n’était pas encore sur toutes les lèvres, et le Front de libération du Macina (ou la Force de libération du Macina, on ne sait pas vraiment) n’avait que peu fait parler de lui. Mais déjà, l’ancien ministre de la Défense Soumeylou Boubèye Maïga mettait en garde : « Les Peuls s’organisent pour se défendre. Ils se radicalisent. C’est très inquiétant. »
Ses craintes étaient justifiées. Aujourd’hui, le Macina, cette région qui s’étend de la frontière mauritanienne à la frontière burkinabè et dont l’épicentre se situe autour de Mopti, est l’un des principaux théâtres des violences qui minent le Mali. Et ceux qui le peuplent, des Peuls pour la plupart, sont désormais au centre des préoccupations des autorités maliennes et des chancelleries étrangères.
On ne sait presque rien d’eux. On n’est même pas sûr que leur chef présumé soit encore en vie
Les offensives se multiplient
Les offensives contre les forces de l’ordre maliennes s’y sont multipliées ces derniers mois. Plusieurs villages ont été attaqués : Nampala, Ténenkou, Boulkessi… Début août, c’est un hôtel de Sévaré, une ville stratégique pour les militaires, qui a été pris d’assaut. Régulièrement, les témoins évoquent des hommes « noirs » échangeant « en pulaar ». On y a également enregistré une série d’assassinats ciblés. Le 13 août, l’imam de Barkérou, Aladji Sékou, un homme de 63 ans, a été exécuté par des motards armés. Pour son entourage, aucun doute : ce sont les jihadistes d’Amadou Koufa, auxquels il s’opposait, qui l’ont tué.
On ne sait rien ou presque de ce mystérieux Front de libération du Macina qui n’a jamais publié aucun document et qui laisse nombre de spécialistes dubitatifs. On ne sait pas s’il existe réellement. On ne sait même pas si son guide présumé, Amadou Koufa, est encore en vie.
Certains, parmi les mieux informés au Mali, jurent que c’est lui qui est derrière toutes ces violences. D’autres assurent qu’il a péri en janvier 2013 lors de l’offensive des jihadistes vers le sud qui avait provoqué l’intervention de l’armée française et qu’il aurait lui-même engagée dans le but de conquérir la ville de Mopti.
Les habitants de la région livrent bien quelques détails sur le parcours de ce prédicateur connu pour ses prêches enflammés, ses liens avérés avec Iyad Ag Ghaly, le leader d’Ansar Eddine, ses appels à faire de Mopti la capitale du futur califat, ou encore ses références à l’empire peul du Macina – un empire théocratique qui a prospéré au XIXe siècle, en même temps que le califat de Sokoto, auquel se réfèrent parfois les leaders de Boko Haram. Mais rien sur sa mort.
Aucune certitude sur ces milices, seulement des hypothèses
À Paris, dans les cercles censés être les mieux informés sur le Mali, ou à Bamako, au quartier général de la Minusma, on admet ne rien connaître à cette région depuis longtemps délaissée par l’État malien et la coopération française.
Et l’on en est réduit à émettre des hypothèses. « Soit Koufa est un homme d’Iyad, auquel cas il est plus ou moins contrôlable car Iyad est en mesure de raisonner, indique un collaborateur du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Soit c’est un nouvel Aboubakar Shekau et le Front de libération du Macina est un nouveau Boko Haram, et alors on peut s’inquiéter.
Vers un mouvement structuré ?
En attendant d’en savoir plus, il est une réalité difficilement contestable : les Peuls de cette région se sont armés et organisés, et il n’y a là rien de nouveau ni d’étonnant.
« Nous sommes dans une région marquée par de nombreux conflits communautaires, explique Boukary Sangaré, un anthropologue qui parcourt le Macina depuis sept ans. Les Peuls nomades, des bergers pour la plupart, ont souvent des problèmes avec les Touaregs ou les Dogons. Quand les rebelles puis les jihadistes sont arrivés en 2012 et que l’État a disparu, il n’y avait plus personne pour régler les conflits. Ils ont donc dû s’armer pour se défendre. Ils ont sollicité l’aide des autorités, mais après leur refus, ils se sont tournés vers les jihadistes et notamment vers le Mujao. » Dans le même temps, les idées salafistes gagnaient du terrain, les prêches dénonçant, comme au Nigeria, « l’éducation des Blancs » se multipliaient, et Koufa se rapprochait d’Iyad.
Après l’intervention française et la reconquête du Nord, le Macina a été la première région réoccupée par l’armée malienne. « Les soldats, qui rêvaient de revanche, y ont exprimé toutes leurs frustrations », indique une source française. Et les Peuls l’ont parfois payé de leur vie. Des ONG y ont enregistré des exécutions sommaires et des rafles, mais aussi des insultes et des vols de bétail. « Dans certains cas, les villageois servaient même de boucliers humains aux soldats, glisse une source onusienne. Cela a poussé les gens à reprendre les armes et à rejoindre l’ennemi : les groupes jihadistes. »
Selon cette même source, ce qui était perçu, au début, comme des « initiatives locales d’autodéfense » a pris les traits d’un « mouvement structuré » dont on ne sait rien. La grande crainte de Boubèye Maïga, en février, était que les Peuls du Macina s’allient avec d’autres Peuls qui avaient eux aussi pris les armes pour se défendre (tout près, à la frontière entre le Mali et le Niger, ou très loin, dans les forêts centrafricaines) et que des hommes politiques en mal de publicité au Mali ne fassent de la « pulitude » leur nouvel étendard.
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