Économie : Les ambassadeurs, nouveaux VRP de la France
Plus que jamais, l’essor des entreprises françaises à l’étranger est une priorité pour le Quai d’Orsay. En Afrique, ses diplomates sont missionnés pour défendre leurs intérêts.
Pas de protocole, pas de coupes de champagne et encore moins de petits fours. Mardi 25 août, dans les anciens ateliers de l’Imprimerie nationale à Paris, 169 ambassadeurs français venus des quatre coins du monde inaugurent un speed dating d’un nouveau genre. Installés sur des tables en formica, avec un petit panneau pour indiquer le pays où ils sont en poste, ils prêtent l’oreille à quelque 500 patrons de PME venus les consulter.
Une cinquantaine par salle, serrés les uns contre les autres, ils enchaînent des entretiens de quinze minutes, chaque fois clos par le bruit assourdissant d’un gong. On est ici loin des lambris de la République qu’ont connus tous ces hauts fonctionnaires, qui cumulent des dizaines d’années au service de la République. Très loin des entretiens discrets avec des opposants prêts à en découdre ou avec le pouvoir en place, des ministres aux chefs d’État, qui ont longtemps permis de humer l’air du temps sur le continent et de sentir le vent du changement.
La priorité des entreprises françaises à l’étranger
Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international, est venu en personne leur rappeler que l’époque a changé : « Il faut créer un courant continu entre les entreprises et les ambassadeurs. Nous sommes au service de l’économie française. » Depuis son arrivée en 2012 au Quai d’Orsay, l’ancien Premier ministre de François Mitterrand a érigé le développement des entreprises françaises à l’étranger au rang de priorité. Les ambassadeurs sont désormais sommés de se transformer en VRP des intérêts tricolores.
« La situation économique de la France exige que tout soit mis en œuvre pour créer des emplois », décrypte Rémy Rioux, ex-directeur de cabinet de Pierre Moscovici à Bercy, nommé il y a un an secrétaire général adjoint du Quai d’Orsay chargé des affaires économiques. En Afrique subsaharienne, la baisse des parts de marché de la France à l’export, de 10,1 % en 2000 à 4,5 % en 2014, ainsi que la réussite de la diplomatie chinoise, tout entière dévouée à ses entreprises, incitent aussi à l’action.
Du côté des chefs d’entreprise, le discours séduit. « Il y a trois ans, j’ai approché des ambassadeurs au Congo et au Cameroun. Ils m’ont répondu que l’appui aux sociétés n’était pas dans leurs attributions. Je viens voir si le changement annoncé est effectif. Nous travaillons en Afrique centrale et nous avons besoin d’informations sur les situations politiques, mais aussi sur les appels d’offres en cours », explique Constant Moukouba, directeur associé de Statim Conseil, une société distribuant des logiciels SAP et des solutions satellites.
Et de poursuivre : « Les entreprises allemandes ont depuis longtemps davantage de soutien, j’ai pu le constater en RD Congo. » Même attente pour Christophe Laguerre, patron d’une entreprise familiale rouennaise spécialisée dans la chimie qui a déjà gagné des marchés en Algérie et en Côte d’Ivoire : « Au-delà des grands groupes, les PME ont aussi besoin de soutien. »
Les ambassadeurs au diapason
S’il sait faire preuve d’une certaine inertie, le Quai d’Orsay s’est visiblement mis au diapason des attentes de Laurent Fabius. « Le ministère a la culture de la soumission, car quand une tête dépasse, on la coupe », glisse un ancien de la maison. « Nous avons toujours consacré une partie de notre temps aux affaires économiques, mais c’est vrai que nous plaçons maintenant cet objectif en tête de nos priorités, admet André Parant, ex-« Monsieur Afrique » de Nicolas Sarkozy, en poste au Caire depuis un an.
L’Égypte est une puissance où l’économie est en grande partie administrée. Beaucoup de décisions en matière d’investissement dépendent des autorités publiques. Grâce à nos contacts avec les décideurs politiques, nous pouvons aider les entreprises. » Ainsi, de Rabat à Pretoria, pas un jour ne passe sans que les diplomates ne reçoivent une délégation d’affaires en prospection, les dirigeants d’une entreprise déjà implantée ou n’aillent visiter un projet, participer à un salon professionnel.
Arrivé en Algérie il y a un an, Bernard Émié incarne lui aussi le virage économique du ministère des Affaires étrangères. Faciliter les contacts, identifier des partenaires potentiels ou les solutions de financement font partie de son quotidien. « Il est proactif et cela est très apprécié de part et d’autre de la Méditerranée », se réjouit Latifa Liot, dont la société accompagne les entreprises hexagonales dans leurs projets industriels. Bernard Émié avoue également s’assurer que les évolutions législatives et réglementaires ne nuisent pas aux intérêts français.
« Récemment, je me suis impliqué personnellement pour demander au ministre algérien de l’Industrie s’il était envisageable de repousser l’entrée en vigueur de la loi sur les équipements de sécurité (airbags, ABS…). En gagnant trois mois, nous avons fait économiser des centaines de millions d’euros aux constructeurs français qui avaient déjà embarqué des véhicules préparés aux anciennes normes sur des porte-conteneurs », dévoile-til. Sur les rives de la lagune Ébrié, Georges Serres est lui très heureux d’avoir pu convaincre Air Côte d’Ivoire de commander des Airbus plutôt que des Boeing.
Impliquer les diplomates auprès du secteur privé
Dès 2013, des réformes ont été prises afin d’impliquer davantage les diplomates aux côtés du secteur privé, comme la création de la Direction des entreprises et de l’économie internationale. Et en 2014, la tutelle du secrétariat au Commerce extérieur a été transférée de Bercy au Quai d’Orsay. Des mesures complétées en début d’année par la création de la fondation AfricaFrance, imaginée par Lionel Zinsou, proche de Laurent Fabius et devenu depuis Premier ministre du Bénin.
Les ambassadeurs n’ont de toute façon pas le choix, puisqu’ils sont désormais tenus d’envoyer périodiquement à Paris des rapports avec des indicateurs chiffrés sur les actions engagées dans ce domaine. « Les Britanniques fixent même des objectifs financiers. Mais nous n’en sommes pas là », dédramatise un haut fonctionnaire. « Moi je me bats pour que les entreprises françaises ne se barrent pas. C’est moins glamour que de conquérir des marchés, mais c’est mon quotidien. Ça, les chiffres ne le disent pas », affirme « en off » un ambassadeur en poste dans un pays en proie à une guerre civile.
Les collaborateurs de Laurent Fabius travaillent également à ce que la France existe hors de son pré carré francophone. À Nairobi, Rémi Maréchaux sait qu’il n’a pas la puissance de frappe des Britanniques ou des Américains, mais il consacre plus de la moitié de son temps aux affaires économiques. « Le suivi de la politique intérieure n’est pas une priorité. Quand je constate que les vaches kényanes ne produisent que 6 litres de lait par jour contre 35 en France, je me dis qu’il y a un créneau », avoue-t-il.
Vendre l’attractivité française
À Abuja, Denys Gauer, qui peut compter sur les investissements du pétrolier Total pour avoir l’oreille des autorités, s’est fixé pour mission d’identifier des partenaires potentiels pour les exportateurs tricolores, dans un pays qui compterait déjà 35 milliardaires en dollars. « Vendre l’attractivité de la France à des investisseurs locaux fait aussi partie de nos nouvelles attributions », ajoute Élisabeth Barbier, en poste en Afrique du Sud.
« En quelques années, les ambassadeurs ont très nettement changé d’attitude. Avant, ils s’intéressaient tout juste aux grands contrats ; maintenant, ils trouvent les petits excitants. En revanche, quand deux entreprises françaises sont en compétition, ils sont complètement paralysés », sourit l’un des responsables sur le continent de Business France, née du rapprochement d’Ubifrance et de l’Agence française pour les investissements internationaux, chargée d’aider les sociétés hexagonales à l’export.
Critique de la priorité à l’économie
Pour Laurent Bigot, ancien sous-directeur Afrique occidentale au Quai d’Orsay, faire du développement économique le premier objectif de la diplomatie est cependant une erreur.
« L’influence de la France est concentrée sur les pays d’Afrique francophone, et si nous y avons une place particulière, c’est d’abord parce que nous apportons un supplément d’âme, celui de la culture et de la démocratie. En plus, c’est une stratégie qui s’accompagne d’effets délétères où l’on privilégie les bonnes nouvelles. Tout va bien au Niger, en Guinée. Certains diplomates se censurent », jure-t-il.
Au ministère, on balaie rapidement ces critiques. La France entend conserver une diplomatie globale qui ne met de côté ni la politique, ni la sécurité, ni la culture. Mais c’est un constat : aujourd’hui, la puissance d’un État est fondée sur son économie. « On peut vouloir être les amis du Nigeria, mais si nos entreprises y sont absentes, on a peu de chances d’être entendu. Et cela passe par les PME », explique un haut fonctionnaire. Message reçu cinq sur cinq, répondent les ambassadeurs.
AU QUAI, DEUX CAPITAINES SUR LE PONT
Marc Bouteiller, directeur général adjoint Afrique et océan Indien
Sa nomination en avril au ministère des Affaires étrangères et du Développement international est la dernière marque de l’importance prise par la diplomatie économique sur le continent. Cet ancien élève de l’Institut d’études politiques de Paris et de l’ENA (promotion « Droits de l’homme ») de 59 ans a été chef des services économiques en Algérie puis du service économique régional à Alger, avant de prendre le poste d’ambassadeur en Islande. Début juillet, trois mois après son retour au sein de l’administration centrale, il a mis en place le Comité des opérateurs en Afrique, qui rassemble des opérateurs publics (comme l’Agence française de développement, Business France, le Quai d’Orsay, Fondation Africa France), des compagnies consulaires (CCI, Maison de l’Afrique) et le secteur privé…
Rémy Rioux, secrétaire général adjoint chargé des affaires économiques
Mis au placard par Arnaud Montebourg, l’ancien directeur de cabinet de Pierre Moscovici au ministère de l’Économie et des Finances a retrouvé des couleurs en devenant secrétaire général adjoint au Quai d’Orsay. Sa mission : mettre en musique la diplomatie économique voulue par Laurent Fabius. Ce normalien et énarque de 46 ans, fils de l’historien Jean-Pierre Rioux, est familier des affaires africaines. Pendant la crise ivoirienne de 2010-2011, alors qu’il était sous-directeur à la direction générale du Trésor, il avait étroitement travaillé avec Charles Koffi Diby, ministre de l’Économie de l’époque, pour asphyxier financièrement le système Gbagbo. En 2012, Pierre Moscovici l’avait in extremis rattrapé alors qu’il venait de décrocher l’un des postes de vice-président de la Banque africaine de développement.
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