Tunisie : Le ciel s’assombrit pour Mohamed Frikha

S’il a troqué son costume d’homme d’affaires pour celui de député, le fondateur de Syphax Airlines en reste actionnaire. Et alors que la compagnie pique du nez, il tente de la sauver coûte que coûte.

À Tunis, devant le technocentre de Telnet Holding. Il vient de revendre 22,32% de ses actions dans le groupe. © Nicolas Fauque

À Tunis, devant le technocentre de Telnet Holding. Il vient de revendre 22,32% de ses actions dans le groupe. © Nicolas Fauque

Publié le 2 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

«Quand je flaire que cela pourrait marcher, je ne recule plus. Je vais jusqu’au bout », claironnait Mohamed Frikha en 2008, fêtant les quatorze ans et la success-story de Telnet Holding, une société offshore produisant, outre ses services de conseil en ingénierie et en nouvelles technologies, des logiciels pour les secteurs des télécommunications, de l’automobile, de l’avionique, de la sécurité et de l’électronique.

Avec ce seul navire amiral, l’entrepreneur a atteint des revenus de 33,6 millions de dinars (17,2 millions d’euros) en 2011. Mais tout cela, c’était avant. Avant la révolution tunisienne et la fin de la mainmise du pouvoir de Ben Ali sur le monde des affaires.

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Un entrepreneur qui ne doute de rien

En 2012, alors que l’incertitude politique règne dans le pays, les indicateurs économiques piquent du nez. Mais Mohamed Frikha se sent pousser des ailes et lance Syphax Airlines, une compagnie aérienne basée à Sfax, sa ville natale. Pour lever les fonds nécessaires à ce projet, il avait quelques mois auparavant introduit Telnet Holding en Bourse et levé au passage pas moins de 40 millions de dinars. Un record dans une conjoncture économique complexe.

Tout semble alors sourire à cet homme d’affaires, qui apporte personnellement 25 % du capital – soit 10 millions de dinars – et affirme avoir acheté deux Airbus A319 pour 82,5 millions de dinars, alors que ceux-ci ont en réalité été loués. Le 16 avril 2012, il organise en grande pompe le vol inaugural de la compagnie en présence du président de la République, Moncef Marzouki. Et, un an plus tard, il fête le premier anniversaire de celle-ci en l’introduisant en Bourse.

Reste que cet ingénieur de 51 ans, qui a fait ses armes en France, notamment auprès de France Télécom, de la Société générale et d’Alcatel, ne semble pas avoir pris toute la mesure de son projet aérien. Il ne doute de rien, impose à sa compagnie ses propres directives, dont l’interdiction de la vente d’alcool à bord, qui relèvent de positions personnelles plus que d’une véritable gestion.

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Le patron multiplie les effets d’annonce, comme le désenclavement de Sfax, premier pôle économique de la Tunisie, qui deviendrait un hub aéroportuaire grâce à Syphax Airlines. Il promet de desservir de multiples destinations en Europe et au Moyen-Orient et de réaliser des long-courriers vers l’Amérique du Nord, région que Tunisair n’a jamais desservie.

Difficultés affrontées

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Les premières difficultés ne tardent pas à apparaître. Mais Mohamed Frikha garde le silence. Moins de trois ans après son lancement, Syphax est au bord de la faillite. En 2013, ses pertes atteignent 205 millions de dinars. Riadh Sifaoui, ingénieur issu de Polytechnique et fondateur du blog El Kasbah, relève alors certaines anomalies : « Il n’est pas normal que le Conseil du marché financier (CMF) ait exempté Syphax de présenter son bilan 2012 ainsi que celui du premier semestre 2013, dûment visés par un commissaire aux comptes. Par ailleurs, les parts sociales qui devraient être à 5 dinars sont « mises à prix » à 10 dinars… »

En fait, il n’échappe à personne que l’ancien membre de la Commission de veille technologique du ministère des Télécommunications et du Comité d’experts pour l’étude stratégique sur les technologies en Tunisie a le bras long. Au lendemain de la révolution, il se fait le chantre de sa région et s’affiche aux côtés d’hommes politiques.

Sous la troïka, Mohamed Frikha fait acheter par Syphax le Falcon 900 de Sakhr el-Materi, l’un des gendres de Ben Ali, qui servira à leurs déplacements ! En 2014, il se rapproche du parti islamiste Ennahdha, accompagne ses leaders lors de voyages et se découvre une nouvelle passion : la politique.

Du business à la politique

Pour s’y consacrer, il quitte la direction de Telnet Holding et de Syphax, dont il reste l’actionnaire principal. Mais l’annonce de sa candidature aux législatives d’octobre aux côtés d’Ennahdha, pour la deuxième circonscription de Sfax, fait l’effet d’un canular qui se retourne contre Syphax. Les appels au boycott de la compagnie font chuter de moitié la valeur de son titre à la Bourse de Tunis. Qu’importe, cet ambitieux va plus loin en briguant la présidence. Il est évincé de la course dès le premier tour, mais est élu à l’Assemblée des représentants du peuple grâce à l’appui des islamistes, dont Sfax est un fief.

Ce député assidu est protégé par son immunité parlementaire quand le CMF, gendarme de la Bourse, gèle la cotation de Syphax en novembre 2014. Mais Mohamed Frikha tente tout pour freiner la chute et met même en danger Telnet Holding. Actionnaire de la compagnie, ce dernier la renfloue en contractant un crédit de 6 millions de dinars auprès d’Attijari bank. En vain.

Le 29 juillet dernier, l’Association internationale du transport aérien (IATA) suspend ses activités avec Syphax et demande aux autres compagnies et voyagistes agréés auprès d’elle de faire de même. Dès lors, le transporteur ne répond plus et laisse en plan 5 324 passagers.

Syphax : une faillite dissimulée ?

S’il garde le silence, Mohamed Frikha suscite de nombreux doutes dans le milieu des affaires et auprès des actionnaires. Début août, le CMF, qui a fermé les yeux sur le manque de transparence des comptes de la compagnie, s’inquiète et reproche à Syphax de ne pas avoir publié ses états financiers de 2014 et d’avoir donné des chiffres inexacts pour 2013. Il lui impose, au grand dam des petits porteurs, d’organiser à partir du 21 septembre une offre publique de retrait (OPR) à 3,9 dinars l’unité pour les 2 402 671 actions cotées.

En coulisses, l’actionnaire principal demande l’intervention du gouvernement et réclame l’application de la loi 95 portant sur les sociétés en difficulté financière. Il serait ainsi protégé de ses créanciers. Mais la décision, qui relève du bureau d’assistance des entreprises en difficulté, dépendant du ministère de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines, aura aussi un volet judiciaire pour lancer un éventuel plan de redressement.

Mohamed Frikha, qui a dû se défaire de 22,32 % de ses actions dans Telnet Holding, y croit encore : « Pour Syphax, je suis serein, l’entreprise va être sauvée. » Rien n’est moins sûr alors que le Falcon 900 vient d’être saisi et les comptes de la compagnie bloqués.

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