Les banques centrales sont-elles vraiment indépendantes ?

Confrontés à la chute des prix des matières premières et à la dépréciation de leurs monnaies, les pays producteurs s’impatientent… Difficile pour ces institutions d’échapper aux pressions politiques.

La Banque des États de l’Afrique centrale est de plus en plus sollicitée par des États membres en difficulté. © Jean-Pierre Kepseu/Panapress/MAXPPP

La Banque des États de l’Afrique centrale est de plus en plus sollicitée par des États membres en difficulté. © Jean-Pierre Kepseu/Panapress/MAXPPP

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Publié le 2 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

«Il faut résister, monsieur le gouverneur ! » lance Charles Konan Banny à Lucas Abaga Nchama, le patron de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), lors du symposium sur l’indépendance des banques centrales, au centre de conférences de Sipopo, à Malabo.

En effet, ces derniers temps, plusieurs États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), tout comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou encore la RD Congo, solliciteraient beaucoup les gouverneurs des banques centrales. Producteurs pétroliers ou miniers, ils sont dans une situation financière préoccupante alors que le prix du baril a chuté jusqu’à moins de 50 dollars et que leurs monnaies se déprécient.

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Pressions et tensions politiques

« Il ne faut pas accepter qu’un État fasse pression sur le gouverneur », soutient Charles Konan Banny, l’ancien dirigeant de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), invité spécial de l’Association des banques centrales africaines à cet événement. « Lorsque les gouvernements sont en difficulté, que doit faire la Banque centrale ? répond le gouverneur. Surtout lorsque l’on a six États avec des situations budgétaires différentes… Je ne dis pas que je subis des pressions, mais il y a forcément des tensions. » En temps de crise, les interférences politiques se multiplient.

Depuis au moins deux décennies, en Afrique, l’indépendance de la plupart de ces institutions est pourtant consacrée. Mais le défi réside dans la capacité à maintenir ce statut dans les faits. « Les autorités me demandent d’adopter une attitude nationaliste », témoigne par exemple le Congolais Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC) depuis deux ans. Ainsi, le gouvernement lui a souvent demandé de baisser le taux directeur pour soutenir l’activité. Face à son opposition, ils ont tenté de modifier le statut de la BCC afin de rogner sa marge de manœuvre.

L’autonomie n’est qu’un garde-fou pour limiter une création monétaire excessive sous la pression politique

Autonomie plutôt qu’indépendance

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Pourtant, la relation entre indépendance et stabilité monétaire a été mise en évidence. Pour rompre avec le cycle d’hyperinflation et de dépréciation monétaire – respectivement 2 004,3 % et 75,1 % de moyenne annuelle – qui a caractérisé la décennie 1990, un consensus s’est fait jour en RD Congo pour laisser les mains libres à la BCC. Depuis, celle-ci peut choisir les objectifs et les instruments de sa politique monétaire. Résultat, l’inflation moyenne a été ramenée à 13,6 % sur les douze dernières années.

Toutefois, cette liberté s’accompagne de contreparties : l’obligation de rendre des comptes, la transparence des mesures adoptées et une bonne collaboration avec les pouvoirs publics. Lorsque la situation économique est difficile, « la concertation doit être de mise autour des mesures non conventionnelles et conjoncturelles prises par les banques centrales », affirme Charles Konan Banny. En théorie, dans tous les pays africains il existe des instances permettant au gouverneur et au ministre des Finances de s’accorder sur les orientations de la politique économique en général et de la politique monétaire en particulier.

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Désiré Avom, vice-doyen à la faculté de sciences économiques et de gestion de l’université de Yaoundé II, préfère au terme d’indépendance des banques centrales celui d’autonomie. Et, d’après lui, « cette dernière n’est qu’un garde-fou pour limiter une création monétaire excessive sous la pression politique ». Mais où placer la limite entre la liberté d’action des banquiers centraux et les sollicitations des gouvernements ?

Politiques controversées

En 2012 en Tunisie, Mustapha Kamel Nabli a été limogé pour s’être opposé à la mise en œuvre d’une politique monétaire expansionniste souhaitée par le gouvernement d’alors. À Malabo, en ce mois d’août, c’est le cas de Sanusi Lamido Sanusi, ex-gouverneur de la Banque centrale du Nigeria (CBN), qui a retenu l’attention. Pour avoir publiquement dénoncé la disparition d’une partie des revenus issus de la vente du pétrole, il a été suspendu en février 2014 par l’ancien président Goodluck Jonathan. Pis, il a été révoqué avant la fin de son mandat, qui s’achevait en juin, une première depuis l’indépendance du pays.

Par ailleurs, certaines initiatives lancées sous son gouvernorat, comme le plan de sauvetage de neuf banques sous-capitalisées, la création de la Société de gestion d’actifs Asset Management Corporation of Nigeria (Amcom) pour racheter des actifs toxiques du secteur bancaire, ont prêté à controverse quant à leur efficacité. Prises le plus souvent sans concertation suffisante avec les politiques, ces décisions ont surtout relancé le débat sur les prérogatives de la Banque centrale.

Mais Shamsuddeen Usman, ancien responsable de cette institution, défend son confrère : « Certaines mesures fondamentales et nécessaires prises par la Banque centrale, en particulier pendant les périodes de crise, n’auraient pas fonctionné si elles avaient été exposées au processus politique du Nigeria. » Et ce n’est pas Charles Konan Banny qui aurait renié l’attitude de l’inflexible Nigérian. « Une banque centrale a besoin d’un homme fort à sa tête », tranche l’Ivoirien.

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