Sénégal : le boomerang Karim Wade

Leur pays les a définitivement condamnés. Mais le fils de l’ancien président et son principal coaccusé ont saisi plusieurs juridictions internationales et Macky Sall risque fort d’en réentendre parler.

Manifestation pour la libération de Karim Wade en octobre 2013 à Dakar. © AFP

Manifestation pour la libération de Karim Wade en octobre 2013 à Dakar. © AFP

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Publié le 8 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

«L ‘affaire Karim Wade est une patate incandescente et indigeste pour l’État du Sénégal ! » Pour audacieuse qu’elle soit, la métaphore de Me Ciré Clédor Ly, l’un des avocats du fils de l’ancien président, n’est pas pour autant une rodomontade. Car si la justice sénégalaise en a officiellement fini avec ce dossier ultramédiatisé, depuis la confirmation du jugement par la Cour suprême, en août, la troisième mi-temps de l’affaire vient tout juste de débuter.

Juridictions internationales saisies

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De Washington à Abidjan, quatre instances supranationales sont actuellement saisies de recours visant à faire désavouer le jugement rendu par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Au terme d’une instruction et d’un procès controversés, cette juridiction spéciale avait condamné Karim Wade et sept coaccusés à des peines de cinq à dix ans de prison, assorties de très lourdes amendes et de la confiscation de tous leurs biens.

La compétence de la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan n’est pas à exclure

Dans le cas d’Ibrahim Aboukhalil (alias Bibo Bourgi), un homme d’affaires fortuné, héritier d’une dynastie d’origine libanaise, la condamnation équivaut à une dépossession pure et simple des sociétés dont il est actionnaire. Depuis le mois de juin, ses avocats ont donc saisi trois juridictions arbitrales internationales.

Au cœur de ces recours, le placement sous administration provisoire des sociétés de la galaxie Aboukhalil par les juges d’instruction de la Crei – lequel s’est perpétué depuis le jugement. Une violation du droit sénégalais comme de l’acte uniforme de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada), estiment leurs avocats. Une version contestée par Me El Hadji Diouf, l’un des conseils de l’État du Sénégal, selon qui « aucun arbitrage civil ou commercial ne saurait s’appliquer en matière pénale » – or la confiscation des sociétés des frères Aboukhalil émane d’une juridiction pénale.

Bras de fer

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« La compétence de la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan n’est pas à exclure, relativise toutefois un avocat français extérieur au dossier. Car en matière d’administration provisoire, le juge compétent aurait dû être le juge commercial. » Un raisonnement défendu avec vigueur par Me Corinne Dreyfus-Schmidt, qui défend les intérêts de Bibo Bourgi. « Les expropriations de sociétés entrent parfaitement dans le cadre de la saisine des juridictions arbitrales internationales », affirme l’avocate, selon qui « ces pratiques gravement attentatoires au droit de propriété n’envoient pas un signal positif aux investisseurs ».

Du côté de Karim Wade, c’est à Genève que se poursuit le bras de fer. En déclarant « arbitraire », en avril, sa privation de liberté, tout en demandant aux autorités sénégalaises « de prendre les mesures nécessaires pour remédier au préjudice subi », le groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire avait planté une première banderille dans le dossier emblématique de la traque aux biens mal acquis chère à Macky Sall.

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Le 1er septembre, les avocats de l’État du Sénégal se trouvaient à Genève pour y plaider leur cause – à huis clos – auprès du groupe de travail. Avec un handicap : n’ayant pas fait parvenir en temps voulu ses observations, l’État du Sénégal s’est privé du droit à exposer ses arguments mais aussi de la possibilité de solliciter aujourd’hui la révision du cas Karim Wade. « Ces recommandations ne s’imposent pas à l’État car elles sont infondées et injustifiées », martèle Me Diouf, selon qui l’avis du groupe n’a pas tenu compte de la souveraineté de la justice sénégalaise. « Si nous n’avons pas la prérogative de contraindre un État à suivre nos avis, nous pouvons en revanche informer publiquement le Conseil des droits de l’homme de l’ONU qu’un État ne s’y est pas conformé », tempère Sètondji Roland Adjovi, deuxième vice-président du groupe de travail. Alors que le Sénégal s’apprête à intégrer en 2016 le Conseil de sécurité, une telle perspective ferait mauvais genre.

>> Passez votre souris sur les ronds noirs pour en savoir plus sur les différentes instances où ont été déposés les recours pour désavouer le jugement rendu par la Crei

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