Maroc – Hamid Barrada : « Comment Éric Laurent est entré au Palais »

En publiant, il y a vingt-deux ans, le livre d’entretiens avec Hassan II, « La Mémoire d’un roi », le journaliste français a pris la place d’un autre. Voici les faits.

Éric Laurent, journaliste et auteur français accusé de chantage par la monarchie marocaine. © Pierre Verdy / AFP

Éric Laurent, journaliste et auteur français accusé de chantage par la monarchie marocaine. © Pierre Verdy / AFP

Publié le 8 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

En août 1985, j’ai été associé au reportage Carnets du Maroc, de Jacques Bensimon, produit par la télévision canadienne. Il me revenait d’y traiter la question du Sahara. J’avais sollicité une interview du roi du Maroc, qu’il m’accorda sans peine. L’entretien s’est déroulé un dimanche après-midi, au palais de Skhirat. À l’issue de l’interview, Hassan II se retire, pour revenir peu après : « Si Barrada, où en est ton journal ? »

À l’époque, je caressais en effet l’idée de faire un journal au Maroc. Devant le roi, j’évoque les difficultés inhérentes à un tel projet et j’enchaîne : « Autant un journal est difficile, autant un livre est facile avec vous. » Et de citer l’exemple de l’ouvrage que je venais de réaliser, en collaboration avec deux confrères, avec Kadhafi. Je poursuis : « Si vous me donnez dix heures, je serai comblé. » Hassan II prévient Abdellatif Filali, ministre de la Communication, qui accourt : « Prévoyez pour moi dix heures en septembre, avec Si Barrada. » Filali, plus prudent : « On te fera signe dès que la date sera fixée. »

Entre deux swings, le roi me demande des précisions, avant de conclure : « Je te reverrai. »

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Ne voyant rien venir, j’adresse une note au roi pour suggérer un ouvrage sur le Moyen-Orient avec cet argument choc, après la disparition de Nahum Goldman, ancien président du Congrès juif mondial : « Vous êtes le seul à pouvoir parler aux Juifs et aux Arabes. » L’argument porte. Je suis convoqué à Marrakech et invité à suivre le roi pendant sa partie de golf. Visiblement, il a retenu la note dans ses moindres détails. Entre deux swings, il me demande des précisions, avant de conclure : « Je te reverrai. »

De l’effet d’une note

C’est dans son palais, plus précisément dans ses appartements, passé minuit, que je suis reçu, en compagnie de Mohamed Réda Guédira. Il se met à son bureau et engage un interrogatoire sur la note, en multipliant les critiques sur la politique israélienne. À un moment, je lui dis : « Majesté, c’est votre livre. Si vous ne le sentez pas, on n’est pas obligés de le centrer sur le Moyen-Orient. » Sans que cette question ne soit tranchée, le projet est retenu. Le roi envisage même de faire venir une sténo de Paris pour accélérer le travail.

Quand, en juillet 1986, Hassan II reçoit Shimon Peres à Ifrane, je comprends enfin l’effet de ma note. Ainsi que me le confirme Guédira, les préparatifs de la rencontre étaient menés dans le plus grand secret et on pensait que j’étais au courant. Le livre n’est pas abandonné. Youssef Bel Abbès, ambassadeur à Paris, est chargé de relancer le projet, avec un changement saugrenu. On m’octroie une compagnie pour mener les entretiens : Michel Droit, journaliste au Figaro, qui avait interviewé le général de Gaulle. Devant mon refus, l’idée est abandonnée.

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Livre de qualité

Pour demeurer positif, je propose, avec son accord, Michel Jobert, ancien ministre français des Affaires étrangères. L’ambassadeur approuve la suggestion. Le Palais aussi. Driss Basri, ministre de l’Intérieur et de l’Information, s’en mêle, ce qui n’est pas de bon augure. Quelque temps après, Michel Jobert me contacte pour me dire qu’il est convoqué à Rabat. Seul. Et me précise : « Quand je serai en face de Sa Majesté, ma première question sera : où est Hamid ? » Il fait le voyage. On le fait attendre longtemps devant le palais. Il rebrousse chemin et reprend l’avion sans prévenir personne.

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Finalement, c’est Éric Laurent, alors journaliste au Figaro, qui est choisi. Probablement au courant du projet initial, il m’apportera, en 1993, le manuscrit sous presse. Il me précise que c’est André Azoulay, conseiller du roi, qui l’a introduit au Palais. Après lecture, je trouve le livre de qualité. Le journaliste a fait le job. Et Hassan II est un excellent client.

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