La diaspora ivoirienne, tout dans les muscles…
De Paris à Bruxelles, tour d’horizon d’une diaspora Africaine engagée et ultraconnectée, déterminée à faire entendre sa voix pour les élections à venir à Abidjan, Conacry et ailleurs. Sur internet comme en plein Paris, pour certains Ivoiriens , engagement politique rime encore avec provocations et violences. Des dérives plutôt mal vues d’Abidjan.
Diaspora : si loin, si proche
Ils donnent de la voix à plusieurs milliers de kilomètres de leur pays et entendent bien peser sur le choix du prochain chef de l’État : Centrafricains, Comoriens, Congolais, Gabonais, Guinéens et Ivoiriens d’Europe, qui sont-ils ? De Bruxelles à Paris, autopsie d’un électorat ultra-connecté.
«Lorsqu’il pleut à Paris, Abidjan est mouillé… » La Côte d’Ivoire, Lazare Adje et sa sahélienne rouge et blanc l’ont quittée depuis plus de vingt ans. L’activisme de ce Franco-Ivoirien de 57 ans, arrivé en France en 1991, n’a pourtant pas pris une ride. Lazare Adje est membre du CRI-Panafricain (Conseil pour la résistance ivoirienne et panafricaine).
Créée en pleine crise postélectorale de 2010-2011, au sein même de la résidence de l’ex-ambassadeur à Paris Pierre Kipré, cette plateforme rassemble les plus ardents partisans de Laurent Gbagbo. « Nous devons continuer le combat pour montrer au monde entier que Gbagbo a gagné les élections », explique son président, Willy Bla.
Nous mobilisons les Ivoiriens pour leur expliquer pourquoi ces élections ne les concernent pas »
Mobilisation hors des frontières
Et en cette période préélectorale, le mouvement est particulièrement actif : « Nous mobilisons les Ivoiriens pour leur expliquer pourquoi ces élections ne les concernent pas. » Les partisans du boycott veulent croire que leur message a été entendu. La preuve, disent-ils, 20 000 personnes seulement se sont inscrites sur les listes électorales en vue du scrutin du 25 octobre, sur les 300 000 Ivoiriens (au moins, selon la Direction générale des Ivoiriens de l’extérieur) résidant en France – tous âges confondus.
De plus en plus qualifiée, et en forte augmentation selon l’OCDE (près de 4 000 nouveaux arrivants chaque année), cette population est très politisée. Les pro-Gbagbo sont les plus présents sur le terrain, les plus bruyants aussi : ils organisent en plein cœur de Paris, tous les samedis, des marches pour la libération de l’ex-président et distribuent des tracts dans les quartiers fréquentés par la diaspora, comme Porte de Clignancourt ou Château Rouge.
Ils ne sont pas les seuls à vivre l’actualité politique aussi passionnément. Chaque camp, bien sûr, revendique le plus d’aficionados, mais aucun chiffre récent ne permet de corroborer ces déclarations. En 2010, le scrutin en France a tout bonnement été annulé après plusieurs polémiques et de très fortes tensions. Des bureaux de vote avaient été saccagés.
L’ardente implication de la diaspora dans le débat politique tient notamment au contexte européen. L’information y est davantage accessible, la parole semble moins contrainte. « Cela facilite la critique et le sentiment d’impunité », ainsi que les débordements, estime Issiaka Konaté, à la tête de la Direction générale des Ivoiriens de l’extérieur (créée en 2012).
Violences et dérives
Johnny Patcheko peut en témoigner. Ce jour de fin août, à Paris, il avance méfiant, accompagné de son avocate. Un cocard à l’œil gauche, une main cassée, plusieurs coups de couteau : le jeune homme de 31 ans porte encore les stigmates de l’agression dont il a été victime dans la nuit du 21 au 22 août. Cet ancien gendarme des Forces de défense et de sécurité fut le garde du corps de l’ex-ministre de la Défense Michel Amani N’Guessan.
Quand Laurent Gbagbo est arrêté, le 11 avril 2011, il se cache quelques jours avant de rejoindre la Finlande. Depuis, il publie régulièrement sur YouTube des vidéos très critiques à l’égard du président Alassane Ouattara. Le discours est véhément, parfois même insultant. Ses clips font rapidement le tour de la diaspora. Sa page Facebook compte plus de 30 000 « like ».
« Je suis juste un citoyen qui dit ce qu’il pense », se défend celui qui assure ne pas être un militant du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo. Le week-end de l’agression, il participait à un clip de Janot H, un artiste très engagé. Tard dans la nuit, il se trouvait dans une salle de spectacle de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) quand, dit-il, une cinquantaine de gros bras armés de battes de baseball et de couteaux ont fait irruption, le laissant avec deux mois d’incapacité temporaire de travail.
Taliban Choco dans le viseur
L’enquête est en cours, mais Johnny Patcheko dit avoir reconnu parmi ses agresseurs une autre « figure » des réseaux sociaux ivoiriens : Taliban Choco, bonhomme au physique imposant rappelant celui du rappeur américain Rick Ross. Un ancien danseur du chanteur ivoirien Ben Chico, reconverti dans la sécurité privée (boîtes de nuit et protection de personnalités ivoiriennes de passage à Paris). Depuis près d’un an, c’est surtout par ses vidéos, dans lesquelles il menace de « régler leur compte » à ceux qui critiquent ou insultent Alassane Ouattara, qu’il s’est fait un nom. On le voit, parfois lourdement armé, souvent au volant d’une grosse berline. Dans plusieurs de ses vidéos, Johnny Patcheko est directement visé. Peu après l’agression, Taliban Choco est réapparu, se réjouissant presque du sort réservé à son adversaire…
Vues d’Abidjan, les dérives du militantisme d’une certaine partie de la diaspora sont accueillies froidement. L’ensemble des représentants officiels des partis à Paris les condamnent. L’un d’eux évoque « des actes de voyous que certains veulent politiser ». Alors, à l’approche du scrutin, la prudence est de mise. Les réunions sont plus discrètes, certains lieux réputés proches d’un parti ou de l’autre sont évités. Des précautions qui rappellent fortement celles prises lors des campagnes à Abidjan… mais en plein Paris.
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