Tunisie : un petit coup d’éponge sur la corruption ?
Amnistier, sous certaines conditions, les personnes poursuivies pour corruption et détournement de fonds publics ? Ce projet de loi est loin de faire l’unanimité…
Depuis les querelles sur la Constitution en 2012, jamais débat n’avait été aussi houleux en Tunisie. « Hors de question de passer l’éponge et d’absoudre ceux qui se sont enrichis sur le dos du pays ! C’est à la justice transitionnelle de trancher », assènent les opposants au projet de loi de réconciliation économique et financière déposé par la présidence de la République devant l’Assemblée des représentants du peuple.
Un texte inspiré du Maroc
Le texte, peu explicite par endroits, est pourtant simple : pour mettre fin à des affaires de corruption que la justice peine à clore, le palais de Carthage propose d’éteindre l’action publique par une procédure simplifiée qui concerne d’une part les hauts commis de l’État impliqués dans des abus financiers touchant à l’argent public, d’autre part les hommes d’affaires soupçonnés de corruption et les évadés fiscaux.
Que veulent tous ceux qui critiquent ? Que l’on coupe des têtes ? Personne n’y gagnerait
Inspiré de l’expérience marocaine, le projet prévoit, uniquement sur demande des requérants, qu’une commission spéciale examine les dossiers et statue sur la restitution des montants spoliés, assortie d’une amende à hauteur de 5 % de la valeur globale des acquis. À la clé, une amnistie qui devrait permettre à la Tunisie de récupérer entre 12 millions et 40 millions de dinars (de 5,5 millions à 18 millions d’euros), selon des estimations d’experts, mais aussi d’apaiser le climat des affaires et les réticences des investisseurs.
Vent de critiques
« La réconciliation ne fait pas partie des attributions de la présidence de la République, mais de celles de l’Instance vérité et dignité, chargée d’appliquer le processus de justice transitionnelle », estime Jaouhar Ben Mbarek, professeur de droit public à l’université de La Manouba.
Comme lui, de nombreuses voix appellent, via des pétitions ou des manifestations, au respect du processus démocratique, estimant que le projet de loi s’apparente plus à un arbitrage qu’à une réconciliation et craignant que l’amnistie ne récompense ceux qui ont financé des partis politiques. Des arguments somme toute assez minces, mais qui pourraient conduire à un débat public.
« Que veulent tous ceux qui critiquent ? Que l’on coupe des têtes ? Personne n’y gagnerait », affirme un élu de l’Union patriotique libre (UPL, libéral), qui ne serait pas contre un référendum. Présidence, gouvernement, partis… Tous ont finalement intérêt à tourner rapidement la page, d’autant que la démarche de réconciliation est inscrite sur la feuille de route qui engage la Tunisie vis-à-vis de ses partenaires étrangers.
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