Mauritanie : dialogue en pointillés entre le pouvoir et l’opposition

Au fil de plusieurs rencontres, le pouvoir s’est montré prêt à écouter l’opposition. Mais d’une oreille distraite, et sans apporter de réponse claire à ses revendications.

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Publié le 9 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Un an après la réélection de Mohamed Ould Abdelaziz, la conjoncture économique est difficile et le climat social tendu. © Patrice Terraz/Signatures
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Mauritanie : en noir et blanc

Un an après la réélection de Mohamed Ould Abdelaziz, la conjoncture économique est difficile et le climat social tendu. De quoi remettre en lumière la diversité, les contradictions et les faiblesses du pays aux mille poètes.

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Depuis deux ans, le pouvoir et l’opposition jouent au chat et à la souris. Le premier a besoin de mettre la seconde dans son jeu pour prouver le caractère démocratique d’un régime né d’un coup d’État. Pour autant, il n’entend pas lui mettre le pied à l’étrier. L’opposition, elle, a besoin de revenir dans le processus électoral qu’elle a boycotté, ce qui l’a marginalisée. Toutefois, elle n’entend pas cautionner le président et attend de celui-ci des preuves de sa bonne volonté pour aller vers ce qu’elle appelle « un État de droit ».

Le nouveau round de ce « dialogue » à tâtons a eu lieu, cette année, en trois rencontres : le 18 avril, le 9 mai et le 26 mai. Le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), qui regroupe 17 partis et formations d’opposition, a remis à son interlocuteur une feuille de route qui répertorie les « mesures de rétablissement de la confiance », ainsi que les garanties qu’il attend de voir précisées dans un accord-cadre.

Parmi les mesures attendues figure la libération de tous les prisonniers politiques

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Mesures attendues

Parmi les « mesures » attendues figurent la libération de tous les prisonniers politiques (Biram Ould Dah Ould Abeïd, Kawtal Ngam Yellitaare, ou encore le rappeur Hamada Ould Sidi, du groupe Oulad Leblad), mais aussi l’arrêt de la répression des manifestations pacifiques, le respect de la Constitution, qui limite à deux le nombre des mandats du chef de l’État, la transformation du bataillon de la sécurité présidentielle (Basep) en unité « normale » de l’armée nationale, l’ouverture des médias publics à tous les courants d’opinion, l’annulation des licenciements de syndicalistes ou des exclusions d’étudiants, la baisse des prix des carburants, l’engagement d’une vraie répression de l’esclavage, la régularisation des pièces d’état civil ou la déclaration du patrimoine du chef de l’État.

« Nous avons très vite constaté que le pouvoir souhaitait médiatiser nos contacts, mais qu’il ne voulait pas vraiment d’un dialogue, commente Me Mahfoud Ould Bettah, président de la Convergence démocratique nationale (CDN) et ancien ministre de la Justice, qui présidait la délégation du FNDU. Le choix était difficile : ou bien constater l’attitude peu sérieuse des représentants du pouvoir et suspendre les discussions, ou bien les écouter. J’ai choisi cette dernière option. »

À défaut de pouvoir rencontrer l’un des membres de la délégation de la majorité présidentielle pour connaître ses positions (sous prétexte que le mois d’août était un mois de vacances ou que le protocole n’avait pas été respecté…), force est de se contenter des témoignages de l’opposition.

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Réclamations

« Ils ont été d’accord pour lutter contre l’esclavage, régulariser les pièces d’état civil ou publier le patrimoine du président Ould Abdelaziz, mais ils ont refusé la libération des prisonniers politiques », témoigne Me Ould Bettah. « Ils ont donné leur aval à l’organisation d’élections consensuelles, à l’impartialité des médias publics, à la fin de la chasse aux sorcières dans l’Administration, mais ils ont prétendu que le Basep était déjà une unité normale de l’armée, alors que nous le considérons comme une garde prétorienne qui a été le fer de lance de deux coups d’État », ajoute Mohamed Ould Maouloud (lire interview ci-contre), président de l’Union des forces de -progrès (UFP).

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En fait, ce ne sont pas tant les refus ou les réponses jugées biaisées de la partie adverse qui ont rebuté le FNDU que l’absence de mise par écrit de celles-ci. « Lors de notre dernière réunion du 26 mai, ils nous ont dit : « Si vous nous écrivez pour nous demander des réponses écrites à vos demandes, nous vous écrirons. » Nous attendons toujours la réponse, mais tout nous laisse à penser que cette mise en scène n’est que de la poudre aux yeux », conclut Me Mahfoud Ould Bettah.

Le parti islamiste modéré Tawassoul, qui est le chef de file de l’opposition officielle au Parlement avec seize députés et quatre sénateurs tout en étant membre du FNDU, est sur la même longueur d’onde. « Nous refusons de nous contenter de réponses orales, déclare Hamdy Ould Brahim, secrétaire général de Tawassoul et député de Nouakchott. Quand Mohamed Ould Abdelaziz a pris le pouvoir, il a brandi un programme de lutte contre la corruption et a promis des réformes. Finalement, rien n’en est sorti. C’est un militaire comme les autres et la situation politique et économique est mauvaise. De toute façon, chaque fois que les militaires arrivent au pouvoir chez nous, ils marginalisent la classe politique. »

À l’évidence, l’opposition se trouve coincée dans la position du demandeur, et c’est le pouvoir – ou plus précisément le président – qui a la main. Il a décidé de fixer au 7 septembre le lancement officiel du dialogue avec qui voudra. Objectif 2019.

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