Sénégal : Habré et les amis de ses amis

Le procès de l’ancien président tchadien, dont le décès a été annoncé le 24 août, s’était ouvert en juillet 2015 à Dakar. À l’époque, et alors même qu’il avait quitté le pouvoir vingt-cinq ans plus tôt, Hissène Habré comptait encore de fidèles soutiens au Sénégal.

Le 20 juillet, lors de la première comparution de Hissène Habré devant les juges. Il avait déjà dû être amené de force au tribunal. © ALIOU MBAYE/PANAPRESS/MAXPPP

Le 20 juillet, lors de la première comparution de Hissène Habré devant les juges. Il avait déjà dû être amené de force au tribunal. © ALIOU MBAYE/PANAPRESS/MAXPPP

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Publié le 17 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

[Article initialement publié le 17 septembre 2015]

« Au président Hissène Habré, toujours prêt à défendre la dignité de l’homme africain, au besoin jusqu’au sacrifice de sa personne, en hommage. » Rédigée en janvier 1993 par le défunt Kéba Mbaye, alors président du Conseil constitutionnel du Sénégal, la dédicace à la gloire de l’ancien président tchadien ornait la page de garde d’un exemplaire de son livre Les Droits de l’homme en Afrique, paru un an plus tôt.

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À l’époque, deux ans après sa chute et son exil contraint au Sénégal, Hissène Habré était encore auréolé de ses faits d’armes face au Libyen Mouammar Kadhafi. « Pour ma génération, il incarnait un guérillero ayant mené une lutte de libération victorieuse », résume Babacar Touré, l’ancien patron du groupe Sud Communication, aujourd’hui président du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA).

S’il invoque un devoir de réserve du fait de ses nouvelles fonctions, l’ancien journaliste reconnaît que Hissène Habré est « un ami personnel ». « Lorsque j’ai eu de sérieux problèmes de santé, il venait me rendre visite. Un ami, vous pouvez lui suggérer de se repentir, mais vous ne le lâchez pas », ajoute Babacar Touré, qui affirme « respecter la mémoire de toutes les victimes tchadiennes ».

Au sein des médias, des confréries maraboutiques, de la classe politique ou de la communauté léboue de Ouakam, le quartier de Dakar où il a longtemps résidé, Hissène Habré peut encore compter sur de nombreux fidèles, malgré les graves crimes qui lui valent de comparaître depuis le 20 juillet devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises.

Le secrétaire général du gouvernement, l’ancien journaliste Abdou Latif Coulibaly, a longtemps fait office de chargé de communication officieux de l’ancien maître de N’Djamena. D’anciens ministres d’Abdoulaye Wade, comme Madické Niang, Souleymane Ndéné Ndiaye ou Amadou Tidiane Wone, ont été ses avocats ou soutiennent ouvertement sa cause.

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Un ancien Premier ministre de Macky Sall, Abdoul Mbaye (fils de Kéba Mbaye), a accueilli dans la banque qu’il dirigeait à l’époque le trésor de guerre du président tchadien exilé. Des tidjanes aux layènes en passant par les mourides, les principales confréries du pays ont eu à intercéder en faveur de ce pieux musulman auprès des autorités.

À Ouakam, Hissène Habré n’hésitait pas à financer la construction d’une mosquée

Le professeur Oumar Sankharé, universitaire respecté, pourfend à intervalles réguliers la « collusion [de la justice sénégalaise] avec l’impérialisme occidental », tandis que le journaliste sénégalo-guinéen Moriba Magassouba lançait officiellement à Dakar, mi-août, son livre Tchad-Sénégal. La machination : acte II, une ode à Habré qui étrille au passage les associations de victimes tchadiennes et l’ONG Human Rights Watch, qui soutient leur combat pour la justice.

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Bien sûr, la générosité de l’ancien président, arrivé à Dakar avec, dans ses bagages, 3 milliards de F CFA (4,6 millions d’euros) puisés dans les caisses du Trésor tchadien, a pu alimenter certaines amitiés, des médias aux confréries. À Ouakam, Hissène Habré n’hésitait pas à financer la construction d’une mosquée, à subventionner le club de foot local ou à offrir des moutons aux nécessiteux pour la tabaski.

Mais la désapprobation d’une frange de l’intelligentsia et de l’opinion sénégalaises face à ce procès tant attendu va au-delà d’un simple renvoi d’ascenseur. « Les Sénégalais ne sont pas favorables à l’impunité, mais encore faut-il que la justice ne soit pas burlesque », analyse le politologue Babacar Justin Ndiaye, cité comme expert au procès et qui s’indigne de la comparution forcée de Habré, « porté par ses gardes tel un bagage jeté d’un car rapide ».

Parmi ses supporters sénégalais, dont l’un admet en privé « sa responsabilité », en tant qu’ancien président, dans les crimes qui lui sont reprochés, le fait que Macky Sall soit revenu sur l’asile politique accordé au Tchadien par Abdou Diouf en entérinant la tenue du procès à Dakar est une pilule qui ne passe pas.

« C’est un Ouakamois qu’on va juger », confiait à J.A., en 2013, le diaraf Youssou Ndoye, autorité morale de la communauté léboue de Ouakam. « Hissène Habré s’est sénégalisé et les gens l’ont adopté comme un des leurs », confirme Babacar Touré.

« Les Sénégalais ont le sentiment d’une justice à deux vitesses, estime l’écrivain Boubacar Boris Diop. Pourquoi Habré et pas Déby ? » « Dans le contexte tchadien de l’époque, tout le monde est allé chez le coiffeur et tout le monde a été coiffeur », ironise encore Babacar Touré, qui voit dans le procès Habré la marque d’une « justice de vainqueurs ». « Pour tourner la page de ces années-là, une thérapie collective ne serait-elle pas préférable ? » s’interroge l’ancien patron de presse.

À en croire un proche de Macky Sall, le sentiment de sympathie pro-Habré qui touche une partie de la classe politique nationale n’épargnerait pas l’actuel chef de l’État, bien que celui-ci ait rendu possible ce procès demandé par l’Union africaine, qu’Abdoulaye Wade avait tout fait pour retarder. « Il est arrivé au président de rappeler à ses ministres, avec un certain respect, le parcours de combattant de Hissène Habré. »

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