En Italie, le bulldozer Renzi veut réformer le pays coûte que coûte

Président du Conseil depuis un peu plus de dix-huit mois, Matteo Renzi a entrepris de réformer son pays à marche forcée et de relancer une économie exsangue. Les résistances qu’il rencontre sont fortes. Sa détermination aussi.

Le premier ministre Matteo Renzi à l’exposition universelle de Milan, le 17 août 2015 © Giuseppe Aresu/AP/SIPA

Le premier ministre Matteo Renzi à l’exposition universelle de Milan, le 17 août 2015 © Giuseppe Aresu/AP/SIPA

Publié le 14 septembre 2015 Lecture : 6 minutes.

Avec plus de 2 millions de followers, Matteo Renzi (40 ans) est l’un des responsables politiques européens les plus actifs sur Twitter. Mieux, après plus de dix-huit mois d’exercice du pouvoir, sa popularité est intacte.

Dans sa jeunesse, le président du Conseil fut un gentil boy-scout. Par la force des choses, il est aujourd’hui beaucoup moins gentil. D’ailleurs, ses détracteurs le surnomment « Il Rottamatore », qu’on pourrait traduire par « démolisseur » ou « bulldozer ». Plus que jamais, il veut réformer son pays en profondeur afin de le sortir du marasme économique dans lequel il se débat depuis les années 1980.

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Ancien maire de Florence, Renzi a été porté à la tête du gouvernement en février 2014, au terme d’un véritable « putsch » au sein du Parti démocrate (PD), la formation qu’il dirigeait à l’époque.

Tous ses opposants ont été écartés sans états d’âme, à commencer par Enrico Letta, son grand rival démocrate–chrétien. Passé maître dans le petit jeu des alliances et des consensus improbables, il poursuit depuis sa fulgurante ascension.

Sa grande chance est que, derrière le PD, le Parlement compte deux partis de force presque égale : le mouvement Cinque Stelle, que dirige l’humoriste anarchisant Beppe Grillo, et Forza Italia (droite), le parti créé par Silvio Berlusconi. Ce dernier étant pris dans une interminable tourmente judiciaire qui l’oblige à se tenir en retrait de la politique et fragilise son parti, Renzi, pour s’assurer une majorité parlementaire, choisit habilement de se rapprocher de lui.

Mais pas de quartier : au mois de janvier, lors de l’élection par les députés du président de la République, il a froidement barré la route du Quirinale au candidat berlusconien en lançant contre lui Sergio Mattarella (74 ans), un juriste à la réputation sans tache qui l’a emporté haut la main. Le président du Conseil ne se montre d’ailleurs pas plus tendre avec l’aile gauche de son parti ni avec les syndicats, qu’il néglige souvent de consulter.

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Renzi est un politicien retors, adepte de l’effet de surprise et des intrigues de couloir. « Je suis le premier à reconnaître qu’il n’est pas fiable, mais il est aux commandes et il doit gouverner », commente, fataliste, Sergio Staino, grande figure de la gauche et célèbre auteur de bandes dessinées.

Tout le monde n’est pas aussi indulgent. « Il s’était engagé à révolutionner le pays avec une réforme par mois. Or la simplification administrative n’est pas allée plus loin que la suppression de quelques départements, et l’apurement de la dette de l’administration publique [plus de 60 milliards d’euros] est loin d’être achevé », grince Giuseppe Sarcina dans le quotidien Corriere della Sera.

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Dans les faits, tout ne va pas si mal, même si, Renzi le reconnaît volontiers, les choses ne vont pas assez vite. « Je n’accepte pas le chantage, dit-il. Ce gouvernement doit aller de l’avant, cela fait trop longtemps que le pays attend les réformes que nous mettons en œuvre. »

Son Jobs Act a permis de réduire de 93 000 le nombre des demandeurs d’emploi

Il a au moins tenu le premier de ses engagements : la réforme du système électoral. Avec la suppression programmée du Sénat, le bicaméralisme vit en effet ses dernières heures. Mais Renzi a surtout montré à ses compatriotes que la relance économique est bien sa priorité : à peine promulgué, en février, son Jobs Act a permis de réduire de 93 000 le nombre des demandeurs d’emploi et de faire passer le taux de chômage de 13 % de la population active (fin 2014) à 12,4 % quatre mois plus tard.

Cette réforme de l’emploi consiste en une redéfinition des modalités de licenciement et d’embauche et en l’introduction de contrats uniques offrant des avantages fiscaux aux entreprises. « Il a eu le courage d’affronter un problème sur lequel la droite s’était cassé les dents », savoure Luciano Miotto, un représentant du patronat.

Reste que toutes ces réformes suscitent une résistance acharnée, qu’il s’agisse de la réduction de la dépense publique ou de la refonte du système fiscal (toujours en attente d’approbation au Parlement). En Italie comme ailleurs, réformer l’État n’a rien d’une sinécure. Renzi se sait très attendu sur la réforme de la justice – son objectif est de simplifier les procédures afin d’en réduire la durée, notamment en matière de divorce – et sur une modification de la Constitution censée déboucher (notamment) sur une réduction des pouvoirs du Sénat.

En attendant, comme pour se faire la main, il a porté le fer de la réforme au sein de la Radiotelevisione Italiana (RAI). Après de houleux débats à l’Assemblée, le mode de fonctionnement de la vénérable institution publique va être bouleversé, et l’influence des partis politiques réduite.

Renzi est un équilibriste né. Avant d’engager une réforme de l’enseignement, il prend soin de jouer la carte sociale en octroyant une prime spéciale pour la naissance du premier enfant. De même, pour prendre de vitesse les syndicats, il met en ligne une vidéo de dix-sept minutes pour expliquer le contenu de son projet de loi budgétaire dite de stabilité.

Quant au projet d’union civile entre personnes du même sexe, inspiré du modèle allemand (reconnaissance du couple, sans possibilité d’adopter un enfant), il risque d’avoir du mal à passer en raison de l’opposition des catholiques du Nouveau Centre droit, parti membre de la coalition gouvernementale.

Au second semestre de 2014, sa présidence du Conseil de l’Union européenne n’a pas eu le relief escompté, bien qu’il ait réussi à faire adopter un document important sur la flexibilité en matière budgétaire et qu’il ait réussi à imposer Federica Mogherini comme haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

Il n’a pas réussi une quelconque avancée sur le dossier des migrants

Mais il est vrai qu’il n’a pas réussi une quelconque avancée sur le dossier des migrants, question ultrasensible en Italie, où près de 104 000 clandestins ont été accueillis depuis le début de l’année. La politique de Renzi est globalement humaniste et a d’ailleurs reçu le soutien du Vatican.

Elle suscite la farouche hostilité des xénophobes de la Ligue du Nord et des provocateurs du mouvement Cinque Stelle, qui ne ménagent pas leurs efforts pour fragiliser le PD au Parlement et dans les municipalités. « Le clivage n’est pas entre le PD et la droite, mais entre les humains et les monstres, explique Renzi. Il faut trouver des solutions, la Méditerranée est au centre de tout, d’autant qu’en Syrie et en Libye la communauté internationale a commis bien des erreurs. »

Certains critiquent son rapprochement avec Angela Merkel sur le front économique, mais aussi ses atermoiements dans la crise grecque. « Rome aurait pu jouer un rôle de médiateur entre Athènes, Bruxelles et Berlin », déplore Matteo Salvini, de la Ligue du Nord. Le retour en force de ce parti à la faveur des élections régionales du mois de mai et la ténacité des Cinque Stelle freinent indiscutablement la marche en avant de Renzi.

Raison de plus pour ce dernier de réussir sa rentrée. Il va notamment lui falloir faire oublier les accointances de certains membres de son parti avec la mafia, à Rome, ainsi que le scandale des voitures de fonction dont bénéficiaient les ministères. En gage de frugalité retrouvée, 210 de ces véhicules ont été ostensiblement vendus aux enchères sur eBay. L’ennui est qu’ils ont aussitôt été remplacés par 170 véhicules neufs !

Mais qu’importe, Renzi semble avoir la baraka. Deux trimestres consécutifs de croissance, une reprise de la consommation de 0,6 %… On n’avait pas vu ça depuis 2005. Ses choix s’en trouvent confortés, ce qui va lui permettre de s’attaquer à une grande réforme du secteur tertiaire et d’entreprendre une mise au pas de l’administration, réputée dispendieuse et corrompue.

« Il y a deux Italie, explique « le bulldozer ». Une qui fait tout pour s’en sortir, l’autre qui ne fait que se plaindre. Dans le Sud comme dans le Nord, beaucoup de choses doivent changer. Or on me paie pour ça ! »

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