Tunisie : Sihem Ben Sedrine, femme de discorde

À la tête de l’Instance vérité et dignité, elle est censée œuvrer à la réconciliation en Tunisie. Mais entre démissions et soupçons de corruption, cette activiste semble faire l’unanimité contre elle.

Sihem Ben Sedrine, à la tête de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) © Craig Barritt/AFP

Sihem Ben Sedrine, à la tête de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) © Craig Barritt/AFP

Publié le 14 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

Ni complètement une militante ni vraiment une femme politique, un peu les deux à la fois… Sihem Ben Sedrine est en tout cas l’une des figures publiques les plus controversées de Tunisie. Convertie à la justice transitionnelle, elle voudrait l’incarner à elle seule.

Elle est aujourd’hui présidente de l’Instance vérité et dignité (IVD), chargée de déterminer les responsabilités en matière de violations des droits de l’homme commises entre 1955 et 2013 – et ainsi d’œuvrer à la réconciliation nationale.

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Sous Ben Ali, cette ancienne journaliste qui signait dans Le Phare et La Gazette touristique était décrite comme l’une des bêtes noires du régime. Au lendemain de la révolution, elle aurait mis le nez dans les archives de la police politique et participé à l’éviction de cadres du ministère de l’Intérieur grâce à sa proximité avec Farhat Rajhi, qui en était à l’époque à la tête.

Avec la chute du président, l’opposante a perdu son fonds de commerce… mais pas son entregent au sein des institutions et médias internationaux. Délaissant la plume pour le verbe, elle obtient une fréquence pour Radio Kalima, une station qui émettait jusque-là clandestinement. Mais l’expérience tourne court : la radio bat de l’aile, les employés réclament des arriérés de salaires et décrivent leur patronne comme une virago.

Sihem Ben Sedrine reste imperturbable et cède en 2015 ses actions dans la radio à Slim Riahi, fondateur de l’Union patriotique libre (UPL, proche du pouvoir), alors que les comptes de la station affichent un découvert non garanti de 1,1 million de dinars (environ 500 000 euros) à la Banque nationale agricole.

En place depuis dix-huit mois, l’institution a engagé 1,7 million de dinars en frais divers

Ce n’est pas la première fois que cette diplômée en philosophie met la clé sous la porte : ses maisons d’édition Arcs et Aloès ont déjà connu le même sort. Certains confient qu’elle est une piètre gestionnaire… et pointent aujourd’hui ses défaillances à la tête de l’IVD. En place depuis dix-huit mois, l’institution a engagé, selon l’avocat Nizar Ayed, 1,7 million de dinars en frais divers.

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Achat de voitures de luxe destinées à ses membres – dont un modèle sport pour la présidente -, 120 000 dinars pour la décoration de son bureau, 40 000 dinars pour un fronton en marbre, 50 000 dinars pour l’organisation d’une journée d’information…

Des dépenses d’autant plus déplacées que l’État doit faire face à un lourd déficit de ses finances publiques et appelle à une meilleure gouvernance.

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Cette fille de magistrat, qui avait été désignée à la tête de l’IVD avec l’appui des islamistes -d’Ennahdha et de l’ex-président de la République Moncef Marzouki, se défend, invoque les retards pris par le gouvernement précédent pour débloquer le budget de l’IVD, mais ne convainc pas.

Cinq des quinze membres de l’IVD ont claqué la porte

L’Assemblée des représentants du peuple a mis sur pied une commission d’enquête pour suspicion de corruption. « Manipulation politique ! » s’écrient certains, qui estiment qu’en s’élevant contre le projet de réconciliation économique du président Béji Caïd Essebsi, Sihem Ben Sedrine dérange. Mais celle qui assurait ne pas être là « pour régler leur compte à des individus mais à une machine dictatoriale » attire surtout les critiques, d’autant que cinq des quinze membres de l’IVD ont claqué la porte.

« Le problème n’est pas l’Instance mais sa présidente, qui n’a ni la personnalité ni le profil pour cette mission », affirme un député. Attitude arrogante, culot certain, erreurs de communication, arguments parfois fallacieux – elle présente l’IVD comme une instance constitutionnelle -, propos revanchards…

Cette Jeanne d’Arc des droits de l’homme serait-elle en train d’allumer la mèche de son propre bûcher ?

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