Chine : Xi Jinping contre la Bande des Quatre

À défaut d’engager les indispensables réformes économiques, Xi Jinping est parvenu à mettre au pas ses opposants politiques, au premier rang desquels Jiang Zemin, l’un de ses prédécesseurs.

Jeu de cartes à l’effigie des principaux dirigeants du Parti et de l’État destitués au cours des dernières années. © NEWSCOM/SIPA

Jeu de cartes à l’effigie des principaux dirigeants du Parti et de l’État destitués au cours des dernières années. © NEWSCOM/SIPA

Publié le 24 septembre 2015 Lecture : 6 minutes.

C’est un sévère coup de balai que s’apprête à donner Xi Jinping dans les rangs de l’Armée populaire de libération (APL). Le 3 septembre, alors que se tenait sur la place Tian’anmen, à Pékin, une gigantesque parade militaire, le chef de l’État a glissé au détour d’une phrase que plus de 300 000 officiers et sous-officiers seraient définitivement renvoyés dans leurs foyers d’ici à 2017. Une purge de très grande ampleur, presque historique.

Que reproche-t-on en haut lieu aux soldats ainsi sanctionnés ? Avant tout, leur manque de fidélité à l’égard du nouvel empereur. « Cette question de la fidélité au président et au Parti communiste chinois (PCC) est désormais posée à tous les responsables, civils ou militaires, explique un spécialiste. Xi a engagé une lutte à mort avec ses opposants, même les moins visibles et les moins dangereux. Il ne veut prendre aucun risque. »

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Immédiatement après cette annonce, l’organe officiel de l’armée s’est d’ailleurs fendu d’un éditorial dans lequel les commandants des sept régions militaires ont juré fidélité au président. Ce qui, de facto, revenait à entériner la cure d’amaigrissement pratiquée dans les rangs de l’APL.

En 2012, déjà, une grande campagne anticorruption avait conduit à l’arrestation – ou à la « disparition » – de plusieurs dizaines de milliers de cadres corrompus : généraux de premier plan, anciens ministres comme Bo Xilai et Zhou Yongkang, responsables régionaux du parti, hauts fonctionnaires… Depuis, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’on annonce l’arrestation d’un ripou. Baptisée la « chasse aux renards », cette vaste battue contribue au renouvellement de la classe politique locale.

Xi Jinping ou le chef de la « clique de Shanghai »

Désormais, impossible de ne pas choisir son camp : on est avec Xi Jinping, ou contre lui. Nombre de chancelleries étrangères s’inquiètent de voir le président mener ses réformes au pas de charge en négligeant de s’assurer de fermes soutiens. Tel les empereurs de la fin de la dynastie Han, qui envoyaient des commandos d’assassins éliminer leurs opposants, Xi élague les branches pourries. Mais ne prend-il pas le risque de s’isoler dangereusement ?

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On n’en jurerait pas, tant l’homme est habile. Lors du défilé du 3 septembre, il avait pris soin d’installer à ses côtés une brochette d’anciens numéros un comme Hu Jintao et, surtout, Jiang Zemin, dont la figure tutélaire continue de planer sur ces impitoyables luttes de clans. Avant de prendre sa retraite, en 2005, ce dernier, aujourd’hui âgé de 89 ans, a pris soin de placer des obligés à des postes de commandement.

Les anciens dirigeants devraient cesser de s’accrocher au pouvoir et de provoquer des divisions au sein du Parti, pouvait-on lire dans le Quotidien du peuple

La « clique de Shanghai », comme on la surnomme, a parfois pu apparaître comme un dangereux contre-pouvoir, ce qui explique l’élimination de Zhou Yongkang, l’un des plus proches lieutenants de Jiang, en décembre 2014, puis celle de Jia Ting-An, son ancien secrétaire, en février dernier. C’est sans nul doute Jiang Zemin qui était visé, début août, par un article au vitriol publié par le très officiel Quotidien du peuple. « Les anciens dirigeants, pouvait-on y lire, devraient cesser de s’accrocher au pouvoir et de provoquer des divisions au sein du Parti. » Le message a-t-il été entendu ? Difficile à dire. Mais le visage fermé de Jiang, le 3 septembre, évoquait celui d’un guerrier vaincu qui ne parvient pas à dissimuler sa rancœur.

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Pour se protéger, Xi Jinping dispose d’une véritable garde rapprochée. Lors du prochain congrès du Parti, au mois d’octobre, on devrait voir apparaître ses nouveaux lieutenants, dont beaucoup étaient déjà à ses côtés dans les années 1980 et 1990, lorsqu’il était en poste dans la province côtière du Fujian. Il s’agit de personnalités encore peu connues du grand public, mais qui ont juré fidélité au chef et grandement contribué à son ascension.

On peut citer les généraux Zhao Keshi et Cai Yingting, qui devraient prendre du galon dans le prochain organigramme de l’APL, mais aussi He Feng et Cai Qi, d’anciens responsables du Fujian, qui siègent aujourd’hui dans plusieurs commissions nationales, à Pékin.

Pour le professeur Willy Lam, de l’université de Hong Kong, aucun doute, Xi Jinping est parvenu au faîte de son pouvoir : « Il est le grand patron du PCC et de ses 88 millions de membres. Les résistances internes, réelles ou potentielles, ont toutes été matées. » Bref, il paraît pour l’instant « inattaquable ». C’est possible, mais il est bien difficile d’y voir clair dans un régime d’une telle opacité.

Le Grand Timonier du XXIe siècle

La presse a beau être contrôlée de près par l’appareil communiste, les réseaux sociaux bruissent de rumeurs concernant d’hypothétiques complots ourdis contre Xi Jinping. Qu’il s’agisse de son étrange, mais brève (quinze jours), « disparition » de la scène publique, en 2012, ou des récentes explosions de Tianjin, fin août, tout est toujours la faute de Zhou Yongkang, et donc de Jiang Zemin.

« On nous demande de ne pas relayer ce type de rumeurs, même si certaines informations sont crédibles. On doit s’en tenir au seul discours officiel et aux informations de l’agence Chine nouvelle », explique un journaliste du quotidien (en anglais) China Daily. De nombreux internautes se sont ainsi interrogés sur les raisons de l’absence du Premier ministre et du président après le drame de Tianjin. Est-ce, comme le croient certains, parce que c’est le convoi présidentiel qui était visé ? On sait que, chaque fin d’été, le cabinet se réunit à Beidaihe, une station balnéaire située entre Tianjin et Pékin…

Depuis des mois, les médias sont obsédés par l’apparition d’une nouvelle Bande des Quatre, en référence à une faction gauchiste du PCC qui, sous la conduite de Jiang Qing, la veuve de Mao Zedong, tenta de s’emparer du pouvoir après la mort de ce dernier, en 1976, avant d’être mise hors d’état de nuire.

Les « Quatre » d’aujourd’hui se nomment Zhou Yongkang, Ling Jihua, Xu Caihou et Bo Xilai. La rumeur les accuse d’avoir fomenté un coup d’État contre l’actuel président. Tous ont été arrêtés et emprisonnés. Bien sûr, aucune preuve ne vient étayer ces allégations, mais la rumeur n’a nul besoin de preuves.

« Maintenant que Xi Jinping est parvenu à s’affirmer comme une sorte de Grand Timonier du XXIe siècle, les gens se demandent quelle sera la prochaine étape », commente Willy Lam. Pourtant, « au bout de trois ans, on attend toujours les réformes promises », estime-t-il.

La récente débâcle boursière a douché l’enthousiasme des quelque 90 millions d’investisseurs que le pouvoir avait incités à investir en Bourse. Et puis, le net ralentissement de l’économie a eu des répercussions sur l’emploi, et donc sur la stabilité sociale, ce credo du pouvoir communiste.

Pour Xi Jinping, le 5e plénum du comité central du PCC, en octobre, sera l’occasion de donner un nouvel élan aux réformes économiques et sociales. C’est une nécessité, car, pour l’heure, son mandat a surtout consisté à faire le ménage parmi ses opposants et à flatter la fibre patriotique d’un empire aux pieds d’argile.

Il y a trente-neuf ans, la chute de la Petite Timonière

La Bande des Quatre est le nom d’un groupe de dirigeants arrêtés en 1976, juste après la mort de Mao Zedong. Jiang Qing, l’épouse du Grand Timonier, en était l’inspiratrice, aux côtés de Zhang Chunqiao et de Yao Wenyuan, l’un et l’autre membres du bureau politique et du comité central du PCC.

Tous étaient accusés d’avoir été les instigateurs de la Révolution culturelle, page sombre de l’histoire chinoise qui fit entre 1 million et 3 millions de morts, et, de 1966 à 1976, plongea la Chine dans le chaos. Leur objectif était de destituer Zhou Enlai et Deng Xiaoping afin de freiner l’ouverture économique et politique du pays. Ils se voyaient comme des bandits d’honneur aux prises avec des mandarins et prônaient un communisme d’un rouge éclatant.

La mise à l’écart brutale de la Banque des Quatre marqua la fin définitive de la Révolution culturelle et l’échec des maoïstes qui la soutenaient au sein du régime. Depuis, l’appellation est souvent utilisée en Chine pour qualifier des groupes dissidents au sein du parti et des extrémistes de gauche.

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