Israël : Bibi Netanyahou rattrapé par le « jihadisme juif »

Netanyahou promet la « tolérance zéro » envers les colons extrémistes coupables d’actes anti-Arabes. Oubliant un peu vite que sa politique d’annexion tous azimuts a contribué à leur émergence.

Le 30 juillet, l’incendie criminel d’une petite maison en Cisjordanie fait trois morts, dont un bébé, brûlé vif. © MAHMOUD ILLEAN/DEMOTIX/CORBIS

Le 30 juillet, l’incendie criminel d’une petite maison en Cisjordanie fait trois morts, dont un bébé, brûlé vif. © MAHMOUD ILLEAN/DEMOTIX/CORBIS

perez

Publié le 28 septembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Il aura fallu attendre la mort d’un bébé palestinien et la vague d’indignation internationale qu’elle a soulevée pour que les autorités israéliennes se décident à réagir. Dans la nuit du 30 juillet, trois cocktails Molotov visent une petite maison du village de Douma, dans le nord de la Cisjordanie. La famille Dawabsheh est prise au piège : Ali, un bébé de 18 mois, est brûlé vif. Son frère, grièvement intoxiqué, survit à l’incendie criminel. Pas les parents, Saad et Riham, qui succomberont tour à tour dans un hôpital de Tel-Aviv. Sur la façade, le mot « vengeance » a été tagué en hébreu. Et, comme pour ne laisser aucune place au doute, une étoile de David vient compléter la signature.

L’attaque de Douma a été imputée à des colons radicaux, qui, selon des témoins, auraient trouvé refuge dans l’implantation voisine de Maale Ephraïm. Elle rappelle, un an plus tôt, l’enlèvement puis l’assassinat par des juifs extrémistes de Mohamed Abou Khdeir, 17 ans, dont le corps avait été retrouvé calciné dans une forêt de Jérusalem. À l’époque, la mort de ce Palestinien avait embrasé les quartiers est de la ville sainte, avant de précipiter une nouvelle escalade militaire dans la bande de Gaza.

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Les « jihadistes juifs » auront-ils les même sanctions que les Palestiniens ?

Cette fois, les responsables israéliens ont pris la mesure de la gravité des événements. À l’unisson, la classe politique a dénoncé le « terrorisme juif ». L’onde de choc fut telle que la presse israélienne a évoqué, au lendemain des faits, un « jihadisme juif ». « Ces terroristes ne valent pas mieux que l’État islamique. Une poignée d’entre eux suffiraient à déclencher une guerre avec les Palestiniens et le monde arabe », écrit Ron Ben-Yishaï, célèbre éditorialiste du quotidien Yediot Aharonot.

Naftali Bennett, chef de file du parti Foyer juif, dont les colons constituent la principale base électorale, a surpris en appelant à faire appliquer les mêmes sanctions aux « terroristes juifs et arabes ». Des propos lourds de sens au moment où plusieurs députés d’extrême droite tentaient de faire voter une loi rétablissant la peine de mort pour les auteurs d’attentats.

Premier à joindre l’acte à la parole, le ministre de la Défense, Moshé Ya’alon, a autorisé le recours à la détention administrative, une mesure d’exception permettant un emprisonnement de six mois sans que le détenu soit informé des charges qui pèsent contre lui. Un traitement d’ordinaire réservé aux Palestiniens. « J’agis et j’ai toujours agi en faveur des implantations de Judée-Samarie [Cisjordanie], et la plupart des gens de notre pays le savent. Mais celui qui croit qu’il est au-dessus des lois se trompe. Je ne tolérerai pas l’anarchie », avait prévenu Ya’alon, quelques jours avant l’incendie de Douma.

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Il réagissait alors aux violences exercées par de jeunes colons contre des policiers israéliens, lors de la destruction, à Beit El, de deux immeubles construits sans autorisation. Le même jour, Benyamin Netanyahou annonçait la création de trois cents nouveaux logements dans la partie « légale » de cette colonie proche de Ramallah.

L’actuel gouvernement israélien se retrouve ainsi face à un dilemme, sinon une contradiction, pris entre la volonté de préserver la colonisation et le souci de ne pas se faire déborder par les radicaux, qui pratiquent en permanence la loi du talion. L’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas estime que les actes anti-Arabes sont « la conséquence directe de décennies d’impunité » accordée aux colons de Cisjordanie. Ses responsables affirment que 11 000 attaques contre des terres ou des villages palestiniens ont été commises par des colons ces dix dernières années. Et selon l’ONG israélienne Yesh Din (« il y a une justice », en hébreu), 85,3 % des plaintes de Palestiniens seraient classées sans suite.

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Meïr Ettinger, l’extrémiste juif le plus médiatique

Depuis le 4 août, les services de sécurité intérieure du Shabak ont opéré plusieurs coups de filet dans les milieux extrémistes juifs en Cisjordanie. Sur la quinzaine d’activistes arrêtés, trois ont été placés en détention administrative. Le plus médiatique d’entre eux se nomme Meïr Ettinger et n’a que 23 ans. Rien n’indique qu’il est lié à l’attaque de Douma, mais le Shabak le soupçonne d’être impliqué dans l’incendie d’une église en Galilée, dans le nord du pays, en juin 2014. Ettinger est aussi l’arrière-petit-fils du rabbin Meïr Kahane, illustre fondateur du parti raciste Kach, interdit en Israël. Assassiné à New York dans les années 1980, Kahane a inspiré la Ligue de défense juive (LDJ), dont une antenne est active sur le territoire français.

Ils mélangent croyances mystiques, new age et fanatisme politique, explique Gadi Taub

Meïr Ettinger est connu comme une figure de proue de Noar Ha’Gvaot (Les Jeunes des collines), une mouvance apparue en 2005, dans la foulée du retrait israélien de la bande de Gaza qui a entraîné l’évacuation de près de huit mille colons. La radicalisation de ces partisans du Grand Israël s’opère dans des écoles talmudiques dirigées par des rabbins ultranationalistes. « Il s’agit de six mille individus environ qui vivent retranchés dans des caravanes en quasi autarcie. Ils mélangent croyances mystiques, new age et fanatisme politique », explique Gadi Taub, expert de la colonisation israélienne à l’université de Tel-Aviv.

Ces zélotes des temps modernes occupent aujourd’hui plusieurs centaines d’avant-postes en Cisjordanie, parfois constitués de simples tentes, espérant ainsi tenir les fondations de futures colonies. « À force de leur marteler qu’ils appliquent la volonté du Tout-Puissant, des religieux ont convaincu ces jeunes que tous ceux qui s’opposent à eux s’opposent à Dieu », souligne Taub. La politique du fait accompli bascule vers celle du « prix à payer » (tag mehir). Non seulement ces colons radicaux s’en prennent à l’armée israélienne chaque fois que leurs campements sont démantelés, mais ils cherchent aussi en permanence à attiser les tensions religieuses en incendiant des mosquées.

Derrière un discours prônant un retour au judaïsme biblique, leur quête de chaos répond avant tout à une vision messianique du conflit et de la fin des temps, qu’ils tentent d’accélérer. Cette nébuleuse fonctionne sans structure ni organigramme. Il s’agit plutôt d’un état d’esprit dans lequel se reconnaissent plusieurs milliers de jeunes colons, parfois mineurs, farouchement anti-Palestiniens. « La bête se retourne contre son créateur », s’inquiète le quotidien Haaretz, qui note un basculement « de l’État juif vers l’État halakhique », basé sur les lois de la Torah. Pendant longtemps, le « département juif » du Shabak a connu les pires difficultés pour pénétrer ce milieu replié sur lui-même. S’il veut éviter le pire, il doit agir sans tarder.

Les avocats du diable

D’Ygal Amir, l’assassin d’Yitzhak Rabin, à Meïr Ettinger, récemment placé en détention administrative après l’attentat de Douma, les grandes figures de l’extrême droite israélienne bénéficient de l’assistance juridique et financière de Honenu, une organisation basée dans la colonie de Kyriat Arba, près de Hébron.

« Nous nous occupons d’environ mille personnes par an, arrêtées de par leur situation de défense face aux agressions arabes, ou à cause de leur implication idéologique de lutte pour l’amour du pays », peut-on lire sur leur site internet dans un français très approximatif.

Par l’intermédiaire de dons « déductibles d’impôts », cette structure recrute à prix d’or des avocats très procéduriers, dont la mission se résume à compliquer les enquêtes visant leurs clients jusqu’à ce que ces dernières soient interrompues.

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