Burkina Faso : Diendéré, putsch prémédité ou putsch récupéré ?
L’ancien patron du régiment de la sécurité présidentielle avait participé au coup d’État de Sankara en 1983, puis à la chute de ce dernier en 1987. Il a voulu, cette fois, prendre le pouvoir pour lui seul. À ses risques et périls. Et quel qu’en soit le prix pour le pays.
Fidèle à lui-même, Gilbert Diendéré a décroché son téléphone. En pleine tempête, alors qu’il venait tout juste d’être proclamé « président du Conseil national pour la démocratie » (CND), le nom que la junte s’est donné après avoir pris le pouvoir dans la nuit du 16 au 17 septembre, il a répondu aux journalistes avec la politesse et la sérénité qui semblent être siennes en toutes circonstances, même les plus critiques.
Comme toujours, il n’a révélé que l’écume des choses. À l’instar de Blaise Compaoré, qui fut son patron pendant plus de trente ans, Diendéré a l’art d’endormir son interlocuteur, de le retourner et de lui faire oublier, le temps d’une brève discussion, son incroyable parcours et sa sombre réputation.
S’il a pris le pouvoir, c’est pour éviter que le pays ne plonge dans le chaos, a-t-il dit à Jeune Afrique, puis sur France 24 et sur RFI. Les élections présidentielle et législatives, qui devaient se tenir le 11 octobre, « n’auraient pas été bien organisées ». Il y aurait eu « des tentatives de fraudes », et donc des « troubles ».
C’est probable. Mais cela n’explique qu’en partie le passage à l’acte d’un homme qui est au cœur de tous les soubresauts qu’a connus son pays depuis plus de trente ans, et qui avait toujours pris soin, jusqu’à ce 17 septembre, de rester dans l’ombre. « L’histoire de l’humanité est ainsi faite, ironise un proche de Diendéré, natif de la même ville. Des personnes qui jouent un rôle de second plan finissent par passer au premier plan. Et c’est souvent brutal. »
Diendéré appelé à négocier par les hommes du RSP
Diendéré ne pouvait évidemment pas dire publiquement ce qu’il explique dans le huis clos des réunions qui se succèdent, tantôt avec les militaires, tantôt avec les diplomates. À savoir ? Qu’il ne voulait pas prendre le pouvoir, qu’il y a été contraint, que son seul objectif était de canaliser la furie de ses hommes, les éléments du régiment de la sécurité présidentielle (RSP). « Donnez-moi le temps de les calmer », a-t-il dit aux diplomates en poste à Ouagadougou, avant de leur promettre des élections exemplaires. La paix, la stabilité et surtout la sécurité : il sait ce que ceux-là veulent entendre.
C’est un fait : quand les hommes du RSP débarquent au palais de Kosyam le 16 septembre en début d’après-midi, et séquestrent Michel Kafando, le président de la transition, Yacouba Isaac Zida, son Premier ministre, et deux autres membres du gouvernement, Diendéré n’est pas là. Depuis la chute de Compaoré, il ne contrôle plus ses hommes comme avant.
Certes, il continue d’être leur patron de manière officieuse. Mais il n’a plus aucune fonction officielle et a perdu ses relais privilégiés au camp Naba Koom, le QG du RSP, situé derrière la présidence. Son bras droit, le colonel Boureima Kéré, l’ancien chef de corps du régiment, s’en est éloigné depuis qu’il a été nommé chef d’état-major particulier du président, en février.
Au sein même du RSP, on assurait il y a quelques semaines que Diendéré avait peu à peu perdu le contrôle
Un autre de ses proches, le lieutenant-colonel Céleste Coulibaly, ex-aide de camp de Compaoré, a pris la suite de Kéré, mais depuis quelques semaines il se trouve en France, où il suit une formation à l’École de guerre.
Au sein même du RSP, on assurait il y a quelques semaines que Diendéré avait peu à peu perdu le contrôle. Que les vrais chefs, désormais, étaient les sous-officiers, ces capitaines ou commandants qui ont la trentaine ou la quarantaine, vivent au quotidien aux côtés de leurs hommes et sont très remontés contre le virage pris par la transition, sous la houlette de leur ancien frère d’armes, le lieutenant-colonel Zida.
Comme en janvier, en février et en juin, lorsqu’ils avaient menacé Zida et l’avaient contraint à revoir son plan de dissolution du RSP, ce sont eux qui ont pénétré à Kosyam le 16 septembre. Et comme en janvier, en février et en juin, c’est à Diendéré qu’il a été fait appel lorsqu’il s’est agi de négocier.
Quelques heures après le coup de force des « sous-offs », une tentative de médiation est menée au ministère de la Défense. Il y a là la haute hiérarchie militaire, les médiateurs attitrés depuis le début de la crise – Paul Ouédraogo, l’archevêque de Bobo-Dioulasso, et Jean-Baptiste Ouédraogo, l’ancien président du Faso -, et Diendéré, flanqué de Kéré.
« On a discuté des heures sans réussir à s’entendre », raconte l’un des participants, qui croit à la version selon laquelle Diendéré n’aurait fait que récupérer le mouvement. « Plus tard, ajoute-t-il, vers minuit, nous nous sommes rendus au camp Naba Koom. Nous avons discuté avec les soldats. Ils étaient très déterminés. Rien à faire, ils ne voulaient plus entendre parler de Zida. »
« Ils n’en pouvaient plus des attaques répétées contre leur régiment, glisse un baron de l’ancien régime resté proche de Compaoré et de Diendéré. Chaque jour ou presque, on les accusait de tout et de rien. La sortie du rapport de la Commission de réconciliation a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. »
Le 14 septembre, deux jours avant le coup de force, la Commission de réconciliation nationale et des réformes (CRNR), mise en place en janvier dans le but de restaurer l’unité nationale en proposant des réformes structurelles, présidée par Mgr Ouédraogo et composée de nombreux militants de la société civile qu’ont en horreur les hommes du RSP, avait remis son rapport général.
Elle y soutient que le RSP est « une armée dans l’armée », propose qu’il soit dissous et que ses éléments soient affectés « à des missions autres que celles d’assurer la sécurité du président ». Pour autant, ce travail (titanesque) aurait très bien pu n’avoir aucune conséquence, les élections approchant à grands pas. « C’est un faux prétexte ! Qui peut croire que ce rapport aurait pu changer quoi que ce soit ? » tonne un ténor de l’opposition.
Un coup d’État prémédité ?
Cette version-là a en effet ses limites. « Diendéré dit qu’il n’est pas à l’origine du coup, mais on est obligés de noter que c’est lui qui mène le mouvement », glissait un diplomate le 17 septembre.
Obligés, aussi, de constater que le putsch a été parfaitement mené, et que les enseignements de l’insurrection d’octobre 2014 ont été tirés : très vite, les éléments du RSP ont quadrillé la ville, éteint toute volonté de manifestation en utilisant la force et traqué les leaders susceptibles de mobiliser les foules. « Ce que Blaise s’est refusé à faire l’an dernier, c’est-à-dire arrêter les meneurs, Gilbert le fait. L’objectif est de neutraliser tous ceux qui peuvent organiser la contre-riposte », explique un proche de Diendéré.
Il peut se passer beaucoup de choses d’ici au 11 octobre, nous expliquaient Achille Tapsoba et Léonce Koné, sourire en coin
Peut-on parler d’un plan établi depuis longtemps, coordonné avec les forces de l’ancien régime ? L’attitude de certains responsables du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti de Compaoré, ces derniers temps, intrigue. En aparté, ils feignaient de s’interroger : « Vous croyez vraiment qu’il aura lieu ce scrutin ? » soufflaient-ils, arborant le sourire en coin de ceux qui en savent plus qu’ils n’en disent.
« Il peut se passer beaucoup de choses d’ici au 11 octobre », nous expliquaient Achille Tapsoba et Léonce Koné, les deux vice-présidents du parti, venus défendre leur cause au sommet de la Cedeao, à Dakar, le 12 septembre. Sourire en coin, eux aussi.
Compaoré lui-même a semé des indices, sans que l’on sache s’il nourrissait de réelles inquiétudes ou préparait les esprits… Ces dernières semaines, il n’a cessé d’alerter les chefs d’État de la sous-région. « Attention ! leur disait-il, ça risque de dégénérer. »
Les motivations de Diendéré pourraient être personnelles
Diendéré, en service commandé pour son ancien patron ? Il le nie. « Le président Compaoré n’y est pour rien », affirme-t-il. Et ceux qui connaissent les deux hommes n’y croient guère. Ils parlent de « Blaise » comme d’un homme las, n’ayant aucune envie de remettre les mains dans le cambouis, ni même, pour l’heure, les pieds dans son pays, et d’un « Gilbert » ayant pris depuis longtemps ses distances, même s’ils sont restés en contact.
Les motivations de Diendéré, s’il se confirmait qu’il est à la manœuvre depuis le début, pourraient être tout à fait personnelles. Intimes même. Pour expliquer le coup, il a évoqué le risque de fraudes lors des élections et l’exclusion d’un certain nombre de candidats, contraire selon lui à l’esprit d’une transition inclusive, et il est vrai critiquée de toutes parts.
Fin août, puis début septembre, le Conseil constitutionnel a invalidé les candidatures de tous ceux qui étaient proches de Compaoré et briguaient la présidence ou un siège à l’Assemblée. Parmi les recalés figurent deux êtres qui occupent une place importante dans la vie de Diendéré : son épouse, Fatou Diendéré, et son ami, Eddie Komboïgo.
La première est une figure du CDP, une femme ambitieuse qu’il a rencontrée dans les années 1980 alors qu’elle militait dans les mouvements de la jeunesse sankariste. Sa candidature aux législatives a été invalidée le 25 août. Le second n’est autre que le président du CDP depuis mai, et son éphémère candidat à la présidentielle (jusqu’à ce que sa candidature soit à son tour invalidée, le 29 août).
Voir dans ce coup la main de Fatou et d’Eddie, c’est mal connaître Gilbert, assure un de ses proches
C’est un homme d’affaires, expert-comptable de formation, qui vient de la même région que Diendéré et cultive une amitié réelle avec son épouse. Il a été le témoin de leur mariage religieux, en août 2014. « Voir dans ce coup la main de Fatou et d’Eddie, c’est mal connaître Gilbert, assure toutefois un de ses proches. Fatou n’a aucune influence sur lui, et Gilbert n’est pas du genre à parler de son travail à la maison. C’est un taiseux. »
Les motivations de Diendéré sont peut-être plus prosaïques. Le sens de l’État, ainsi que le pensent des diplomates qui l’ont côtoyé ? Une réelle inquiétude quant à l’évolution d’une transition « dévoyée » et « phagocytée par les sankaristes », selon les termes d’un de ses proches ? La crainte d’élections truquées ?
L’ombre de l’affaire Sankara
Diendéré a peut-être tout simplement voulu sauver sa peau. Depuis plusieurs mois, en effet, la justice lui tourne autour. Libérée par la chute de Compaoré, elle enquête sur les assassinats de Thomas Sankara en 1987 et du journaliste Norbert Zongo en 1998. Deux dossiers dans lesquels son nom est cité et où des hommes sous ses ordres sont accusés.
Car Diendéré est au cœur de tous les secrets du pays depuis plus de trente ans. Le 15 octobre 1987, c’est lui qui « supervise » l’arrestation de Sankara, qui tourne au bain de sang. Il dirige alors les commandos de Pô et fait déjà figure de bras droit de Compaoré. Longtemps étouffée, l’enquête a été réactivée après la chute de ce dernier.
Curieux hasard du calendrier : les conclusions des rapports de l’expertise balistique et de l’autopsie des restes présumés du révolutionnaire, exhumés il y a quelques mois, devaient être dévoilées au moment même où un homme en treillis annonçait le coup d’État à la télévision nationale. Les avocats des parties civiles étaient convoqués pour le 17 septembre, à 9 heures, dans le bureau de François Yaméogo, le juge d’instruction. Évidemment, ils n’ont pu s’y rendre…
Un homme au coeur du « sytème Blaise »
Au fil des ans, Diendéré a pris une place à part au centre du « système Blaise ». À la fin, il était à la fois son chef d’état-major particulier, le patron de sa garde prétorienne, qui en 1996 a pris le nom de RSP, et son chef des renseignements. Il a déjoué des coups d’État, mené des missions secrètes et parfois inavouables en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d’Ivoire ou au Mali, orchestré les basses besognes à l’intérieur… D’indispensable, il est vite devenu intouchable. Quand « Blaise » fuit en Côte d’Ivoire, le 31 octobre 2014, c’est très logiquement à « Gilbert » qu’il confie le soin de limiter la casse.
Mais Diendéré ne peut pas (ne veut pas ?) apparaître au premier plan. La rue ne l’accepterait pas. Il confie donc la mission de « mener » la transition à un homme qui lui doit tout : le lieutenant-colonel Zida, un membre du RSP, originaire comme lui de la région de Yako. Au début, Diendéré est ainsi l’un des seuls caciques de l’ancien régime à ne pas être inquiété.
Bientôt pourtant, il se rend compte qu’il s’est trompé. Zida se retourne contre lui. Ses discours prennent des accents sankaristes et il se met en tête de briser le RSP. « La prise de pouvoir de Diendéré est logique, souffle un diplomate qui fut longtemps en poste à Ouaga. Il ne fait que poursuivre la mission que lui avait fixée Blaise l’an dernier : contenir la révolution. »
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