RDC : bienvenue dans l’enfer de Makala, la plus grande prison de Kinshasa
C’est le plus grand pénitencier de Kinshasa. Un endroit insalubre et surpeuplé sur lequel règne une poignée de détenus. Ici, pas de barreaux aux portes des cellules, pas de matons, mais quelques-uns des prisonniers les plus célèbres du pays.
À l’entrée de la prison de Makala, un portrait du Mzee Laurent-Désiré Kabila accueille, tout sourire, les visiteurs. Une affiche grandeur nature du président assassiné en 2001, posée devant le plus grand centre pénitentiaire de Kinshasa. Les policiers affectés à la surveillance de l’établissement paressent à l’abri du soleil, tout en se plaignant du fait que le camion chargé de leur apporter leur repas ne passe plus. « Cela fait trois semaines que nous attendons notre ration », grogne un de leurs chefs, affalé sur une chaise longue. « Comment voulez-vous que ces gens fassent convenablement leur travail alors que l’État ne les nourrit pas ? » soupire le défenseur des droits humains Emmanuel Adu Cole, membre de la Fondation Bill Clinton pour la paix.
On ne franchit pas de portiques électroniques avant de pénétrer dans l’enceinte de Makala. Il n’y a pas non plus de détecteurs de métaux. On échange une pièce d’identité contre la carte d’accès à la prison. S’ensuit une légère fouille au corps et le tour est joué. À Kinshasa, les mauvaises langues aiment faire remarquer que l’on entre à Makala aussi facilement qu’à Notre-Dame-de-Fatima, dans le quartier de La Gombe.
Dans une petite salle à côté du bureau du directeur de la prison, un grand tableau noir renseigne « l’effectif journalier ». En ce début du mois de septembre, Makala accueille 6 849 détenus. « L’établissement a été construit dans les années 1950, lorsque la ville de Kinshasa ne comptait que 500 000 habitants, explique le directeur, le colonel Thaddée Kabisa. Il y a aujourd’hui plus de 11 millions de Kinois, mais Makala demeure l’unique centre de détention de la capitale, la prison de Ndolo étant réservée aux personnes poursuivies ou condamnées devant les tribunaux militaires. » Fin août, 318 détenus ont été remis en liberté – le gouvernement travaille au désengorgement des prisons. La plupart d’entre eux moisissaient depuis des mois à Makala sans jamais avoir été présentés à un magistrat. « Et ils sont encore plusieurs centaines à être dans la même situation », dénonce Emmanuel Adu Cole en parcourant l’un après l’autre les pavillons de la prison.
La sécurité assurée par les « gouverneurs »
La sécurité de chacun des onze pavillons est assurée par les détenus. Il n’y a pas, à l’intérieur de Makala, de policiers ou de matons. Un prisonnier, armé d’un bâton, filtre les entrées et les sorties. « Souvent, c’est le plus ancien qui tient la garde parce qu’il connaît tous ceux qui dorment dans le bâtiment », explique Marc, « pensionnaire » du pavillon 5 depuis bientôt trois ans. Le jeune homme de 19 ans y partage une salle de moins de 30 m2 avec « près de 150 personnes ».
La chaleur y est étouffante. Les corps en sueur sont allongés à même le sol – rares sont ceux qui peuvent s’offrir des matelas, des matelas fins, crasseux, qui tombent en lambeaux. Dans un coin, un petit réchaud électrique. Plus loin, un vieux poste de télévision analogique diffuse Ya Mado, le dernier tube à la mode qui fait danser Kinshasa. Au milieu de la pièce, une table sur laquelle un prisonnier vend denrées alimentaires et paquets de cigarettes. « Bienvenue à Makala ! » ironise le « gouverneur », le chef du pavillon dans le jargon de la prison.
Condamné à dix ans de prison pour vol à main armée, il est chargé de faire régner la sécurité dans le bloc. Comme les autres « gouverneurs » de Makala, il prend ses ordres au pavillon 11, qui abrite l’« état-major » des prisonniers. Une structure informelle mais tolérée, dont les membres font la loi à Makala. Aussi redoutés que respectés, ils tiennent un registre dans lequel sont consignées toutes les allées et venues, mais aussi les incidents ou les doléances des prisonniers. « Notre rôle, c’est de mettre hors d’état de nuire ceux qui troublent l’ordre et la tranquillité de la prison, nous explique très sérieusement un membre de « l’état-major ». Nous arrêtons par exemple ceux qui volent ou ceux qui fument de l’herbe et nous les envoyons à l’étouffement. »
« L’étouffement », c’est un dortoir surpeuplé où les détenus sont assis par terre, alignés à la queue leu leu, sans pouvoir s’allonger pour dormir. Un endroit où l’on n’est pas sûr de se voir servir le « vungule », le peu ragoûtant mélange de maïs et de haricots distribué une fois par jour aux prisonniers.
Des prisonniers « de marque »
Mais à Makala, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Certains parviennent, moyennant quelques centaines de dollars américains, à s’offrir une cellule individuelle. « Il faut parfois payer jusqu’à 2 000 dollars », jure un pensionnaire du pavillon 1. C’est là que sont enfermés les gros poissons. On peut y croiser Christopher Ngoyi Mutamba, coordonnateur de la société civile, incarcéré lors des manifestations contre la réforme électorale, le 20 janvier. À quelques mètres de là, l’opposant Diomi Ndongala purge une peine de dix ans de prison pour viol sur mineures – une « accusation politique », selon Démocratie chrétienne, son parti.
Un peu plus loin, Fred Bauma, militant du mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha). Arrêté en mars, il est accusé d’avoir « comploté contre la vie et la personne du chef de l’État » et partage une cellule avec Yves Makwambala, également membre de Lucha. Pour éviter les dortoirs surpeuplés de Makala, les deux hommes ont dû débourser 500 dollars chacun. Au profit de qui ? Le colonel Kabisa accuse des détenus, parmi les plus anciens. « Ils vendent des places aux nouveaux venus qui sont souvent angoissés de débarquer à la prison. C’est une pratique que nous combattons », assure-t-il, comme pour mieux démentir la rumeur selon laquelle des responsables de la prison seraient impliqués dans ce trafic.
De fait, tout se paie à Makala. La cellule, la sécurité, les téléphones portables (« pour pouvoir en posséder un, il faut payer au moins 200 dollars par trimestre aux policiers qui improvisent des fouilles », affirme un pensionnaire du pavillon 8) et même la possibilité d’avoir un peu de compagnie. Cet après-midi-là, Eddy Kapend prend l’air devant le pavillon 1. La barbe clairsemée, le principal accusé dans l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila explique que c’est ici, sous une petite paillote, qu’il reçoit ses visiteurs. Elle est loin l’époque où il restait cloîtré dans sa cellule. « Les premières années, c’était très dur. J’ai eu les yeux bandés pendant six mois », affirme-t-il. Aujourd’hui, Kapend s’entretient « pour garder la forme » et participe aux séances de prière organisées par des pasteurs prisonniers.
Condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès controversé, il continue de clamer son innocence. L’ex-officier jure même avoir agi, ce 16 janvier 2001 et les jours qui ont suivi, conformément au « testament que Laurent-Désiré Kabila [lui] avait confié ». « J’étais le gardien des secrets de la République », assure-t-il. À l’en croire, le document stipulait que si le président venait à disparaître prématurément, « il fallait avant tout garder l’armée sous contrôle. Puis chercher le général Joseph [Kabila] et lui confier les rênes du pays. Avant d’organiser autour de lui une réunion pour gérer la situation. »
Quinze ans plus tard, Kapend affirme encore qu’à l’époque c’était lui « le vrai chef de l’armée ». Et certains anciens soldats détenus à Makala, qui se mettent au garde-à-vous à chacun de ses passages et attendent son signal pour se rasseoir, semblent ne pas l’avoir oublié (un autre ancien colonel, Daniel Mukalay, l’ex-chef des services spéciaux de la police, condamné en appel à quinze ans de prison dans l’affaire Chebeya, observe la scène, médusé).
Casquette militaire sur la tête, Kapend nous ouvre la porte de ses 6 m2. Le décor est kitch. Un large rideau sépare la pièce en deux, une chambre et un salon. « Où que je sois, quoi qui m’arrive, je suis libre. Car je suis innocent », peut-on lire sur le mur. Il nous dit être en train d’écrire un livre pour que sa version des faits soit connue. Il veut l’intituler « Autopsie » – l’autopsie de celui dont le portrait souriant trône devant Makala.
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