Rugby – RC Toulon : Mourad Boudjellal, un ovni en ovalie

Le foot a Louis Nicollin, patron haut en couleur du Montpellier HSC : son langage fleuri fait depuis des décennies le régal des journalistes de France et de Navarre. Mais le rugby a aussi son trublion, son personnage charismatique, irrévérencieux et provocateur, qui n’aime rien tant que flirter avec les limites de la bienséance et bousculer un milieu engoncé dans ses traditions.

Né à Ollioulles (Var), Mourad Boudjellal (55 ans) est d’origine arméno-algérienne, ce qui ne l’empêche pas, au contraire, d’avoir la bosse du business. Après avoir fondé et fait prospérer Soleil Productions, une maison d’édition spécialisée dans la bande dessinée qu’il revendit fort cher en 2011 au groupe Delcourt, il préside depuis 2007 le Rugby Club toulonnais (RCT), vieux club fondé en 1908 mais tombé en déshérence – en tout cas en deuxième division -, qu’il est parvenu en quelques années à porter jusqu’aux sommets français et européen.

Une personnalité qui détonne

Une anecdote récente donne la mesure de son style. Début septembre, une journaliste de RTL révèle que deux enquêtes pour dopage ont été ouvertes contre des joueurs du RCT. Boudjellal s’emporte et réplique avec une extrême virulence. D’abord en menaçant de révéler au public toulonnais le numéro de portable de notre consœur. Puis en mettant en cause le caractère prétendument « clitoridien » de son information.

Caractériel ou tacticien retors, habile à noyer le poisson de ses erreurs sous le flot de ses outrances ? Difficile à dire. En tout cas, il s’est judicieusement abstenu de mettre sa menace à exécution.

En 2012, après une défaite face à Clermont, il avait estimé que son équipe avait été victime d’une « sodomie arbitrale »

Cet énième esclandre n’a pas surpris ceux qui le connaissent bien. « Il ne supporte pas que l’on touche à son club, quitte à en devenir un peu parano, confie Abdelatif Benazzi, un ancien international français d’origine marocaine qui est aujourd’hui manager général du Montpellier Hérault Rugby. C’est un écorché vif, avec des réactions souvent excessives. »

Boudjellal, qui ne doute de rien et surtout pas de lui-même, multiplie depuis des années les saillies souvent drôles – mais parfois un peu moins. En 2012, après une défaite face à Clermont, il avait estimé que son équipe avait été victime d’une « sodomie arbitrale », ce qui lui valut cent trente jours de suspension. Il est vrai qu’il n’a pas une très haute opinion des dirigeants du rugby français : « Ils sont vieux, s’accrochent et se liquéfient. Jusqu’à quand vont-ils rester ? Jusqu’à ce qu’ils se pissent dessus ? »

« Il a bousculé les habitudes d’un milieu très conservateur, dit encore Benazzi. Il est malin, pressé et narcissique. Tant qu’on parle de Toulon, et donc de lui, en bien ou en mal, ça lui convient. » Lui qui juge le rugby français « raciste » ne rate pas une occasion de fustiger le Front national. Récemment, il a fait projeter sur l’écran géant du stade Mayol un photomontage tournant en dérision l’exclusion de Jean-Marie Le Pen de son parti.

La renaissance du RCT

Mais Mourad Boudjellal, c’est avant tout une réussite sportive spectaculaire. Champion de France en 2014, le RCT a remporté trois fois consécutivement (2013, 2014, 2015) la Coupe d’Europe – exploit sans précédent. C’est désormais l’un des clubs les plus riches et les mieux structurés au monde. On ne compte plus les stars planétaires qu’il a réussi, à coups de millions, à faire venir à Toulon.

« Sur la forme, je ne suis pas toujours d’accord avec ce qu’il dit. Mais, sur le fond, il a souvent raison et fait avancer les choses », commente Matthias Rolland, manager du Castres Olympique. En presque une décennie, avec l’aide de Bernard Laporte, son manager (qui brigue aujourd’hui la présidence de la Fédération française), il a indiscutablement contribué à tirer le rugby français vers le haut. « Il a su se rendre influent et incontournable, conclut Rolland. Mais, c’est sûr, il détonne. »