Hassen Zargouni : « Le Maghreb est ultraconnecté, mais internet ne séduit pas les annonceurs »

Dans cette interview, Hassen Zargouni, patron du spécialiste tunisien de la communication Sigma Conseil, analyse le marché nord-africain de la publicité, dominé par les marques occidentales.

Hassen Zargouni. © ONS ABID POUR J.A.

Hassen Zargouni. © ONS ABID POUR J.A.

Julien_Clemencot

Publié le 6 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

À la tête du cabinet Sigma Conseil, qu’il a fondé en 1998, Hassen Zargouni est l’oracle vers lequel beaucoup se tournent pour comprendre les contradictions de la vie politique tunisienne. Mais au-delà des sondages d’opinion, sa société s’est aussi fait une place de choix dans le domaine des études marketing et médias au Maghreb. Dans le sillage de l’African Cristal Festival, événement consacré aux médias africains qui s’est déroulé du 30 septembre au 2 octobre à Marrakech, il livre à Jeune Afrique son analyse du marché de la publicité nord-africain.

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Hassen Zargouni : Le secteur publicitaire est le marqueur du dynamisme de l’économie des pays. Globalement, les notions de choix et de marque sont bien assimilées par les consommateurs. On constate que la Tunisie et l’Algérie, qui accusent un retard par rapport au Maroc en matière d’investissements publicitaires, ne l’ont que partiellement rattrapé, contrairement à ce qui avait été annoncé il y a quelques années, après les printemps arabes.

En effet, le royaume les devance toujours largement avec 16 dollars (14,35 euros) investis par an et par habitant, contre 8,50 dollars pour la Tunisie et 5,50 dollars pour l’Algérie. Et ce, bien que les trois pays affichent à peu près le même pouvoir d’achat [exprimé en parité de pouvoir d’achat].

Mais en Algérie, le marché apparaît plus dynamique…

Oui, mais il faut prendre en considération le fait que le pays avait accumulé un retard important. La croissance du marché sur les cinq dernières années est de 5 % à 10 % par an. En Tunisie, la révolution a largement affecté le secteur, qui retrouve à peine le niveau d’investissement de 2010. Enfin, au Maroc, le marché publicitaire est beaucoup plus mature donc la croissance est plus modeste, de 2 % à 3 % par an.

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Voit-on de nouveaux annonceurs arriver sur le marché ?

Non, ce sont les télécoms, certaines marques alimentaires et de produits d’hygiène qui sont toujours en tête. Le paysage n’a pas changé depuis près de dix ans. Cela démontre que nos marchés ne sont plus des plateformes d’attraction pour les industriels. Et les grands annonceurs pèsent tellement lourd qu’ils empêchent l’émergence de nouvelles marques maghrébines. L’importance donnée à la télévision favorise cette concentration.

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Internet peut-il remettre en jeu la domination de la télévision comme principal canal pour la diffusion de la publicité ?

Les Maghrébins sont ultraconnectés, mais le marché publicitaire n’a pas su capitaliser sur cette croissance. Principalement pour deux raisons. Primo : l’essentiel de la navigation se fait sur des sites étrangers, les régies n’ont donc pas tellement de prise sur ces médias. Et leur tâche est compliquée par la non-convertibilité des monnaies maghrébines.

Deusio : les audiences sont plus atomisées que sur le petit écran et les annonceurs ne s’y retrouvent pas en matière de mémorisation et de visibilité. Donc même si la télévision recule, elle concentre toujours environ 50 % des investissements publicitaires. En Tunisie et au Maroc, ce sont les radios, grâce à leur agilité, qui bénéficient de ce léger repli. En Algérie, la situation est un peu différente, car le marché audiovisuel vient d’être libéralisé, donc son attractivité est plus forte que jamais en attendant l’arrivée de radios privées.

Est-on passé à l’ère de la segmentation des messages publicitaires ?

Seuls les opérateurs de télécoms segmentent leurs messages. Les autres marques continuent de faire des publicités pour le plus grand nombre.

Les grands réseaux d’agences se taillent-ils toujours la part du lion ?

Pour l’achat d’espace publicitaire, un tiers est géré directement par les annonceurs, surtout lorsqu’ils sont très importants, comme l’opérateur de télécoms Ooredoo ou la société agroalimentaire tunisienne Délice Danone, car ils ont une puissante force de négociation. Un autre tiers passe par les agences internationales comme OMD ou Mindshare. Et le reste par des acteurs locaux, notamment en Algérie. Concernant la création de publicités, les agences internationales captent l’essentiel des marchés, même si là aussi quelques acteurs locaux émergent. C’est encore une fois lié au poids des multinationales. L’économie des agences reste fragile, mieux vaut avoir un opérateur de télécoms dans son portefeuille.

En matière de création, le Maghreb est-il influencé par le Moyen-Orient ou par l’Europe ?

L’influence de l’Europe, c’est terminé. Beaucoup de multinationales ont installé leur siège pour la région à Dubaï, donc l’inspiration est plutôt orientale. Des compagnies comme Unilever ou Procter & Gamble proposent parfois un seul spot pour les pays arabes, traduit dans la langue de chaque pays. En revanche, pour les télécoms, les publicités sont toujours hypercontextualisées.

Dans les publicités, on voit rarement des femmes voilées alors qu’elles sont nombreuses au Maghreb, pourquoi ?

À mon sens, il y a deux explications. Quand la publicité met en scène une femme dans son intérieur, il n’y a pas de raison qu’elle soit voilée, puisque dans la réalité, aucune ne l’est chez elle. Ensuite, le voile est très souvent un choix qui s’impose à la femme. Le mettre en avant risque de desservir la marque par rapport à sa cible. Pour être mémorisée et améliorer l’image de marque du produit, la publicité doit avant tout séduire son audience.

Au Maghreb, on observe le retour d’un certain conservatisme social. Cela affecte-t-il la publicité ?

Clairement. Ce n’est pas de la censure, mais de l’autocensure. Cela se joue dans l’aspect vestimentaire, sur le vocabulaire. Le conservatisme, il faut aussi le voir dans les rôles donnés aux femmes, que l’on cantonne souvent à la cuisine, dans des activités domestiques. Au Maghreb, c’est malheureusement la règle.

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