Maurice – Paul Bérenger : « Mon parti a un boulevard devant lui »

Son Mouvement militant mauricien a beau subir revers sur revers depuis des mois, l’ancien Premier ministre, redevenu chef de l’opposition, se voit de nouveau au pouvoir.

Se rendant au bureau de vote, à Port-Louis, lors des législatives du 10 décembre 2014. © NICHOLAS LARCHÉ/AFP

Se rendant au bureau de vote, à Port-Louis, lors des législatives du 10 décembre 2014. © NICHOLAS LARCHÉ/AFP

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Publié le 16 octobre 2015 Lecture : 5 minutes.

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Maurice : en quête d’un second souffle

Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.

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Le vieux lion rugit toujours. Blessé dans son orgueil après la série de défaites cuisantes que le Mouvement militant mauricien (MMM), son parti, a essuyées ces derniers mois, Paul Bérenger panse ses plaies… et réfléchit déjà au prochain tour qu’il pourrait jouer à son vieil adversaire, Anerood Jugnauth, l’actuel Premier ministre. Après plus de quarante-cinq ans de vie publique, celui qui fut de 2003 à 2005 le premier chef de gouvernement blanc et non hindou du pays espère toujours revenir à Clarisse House, la résidence officielle des Premiers ministres.

Débarrassé du cancer qui l’avait contraint à démissionner de ses fonctions de chef de l’opposition en 2013, il a retrouvé son siège à l’Assemblée nationale et lesdites fonctions après avoir été élu de justesse lors des législatives du 10 décembre dernier. Face à la coalition Lepep (« le peuple ») emmenée par le Mouvement socialiste militant (MSM) d’Anerood Jugnauth, qui a raflé 47 des 62 sièges, la coalition que le MMM et le Parti travailliste (PTr) de Navin Ramgoolam, le Premier ministre sortant, ont formée en septembre 2014 a en effet subi un grave revers, le PTr ne récupérant que 13 sièges et le MMM seulement 9 (contre 20 lors de la précédente législature).

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À 70 ans, plus déterminé que jamais, Paul Bérenger mise désormais sur l’échec du gouvernement et la tenue d’élections générales anticipées qui, cette fois-ci, il en est convaincu, le porteront à nouveau, avec son parti, sur les plus hautes marches du pouvoir.

Jeune Afrique : Quelques jours avant le résultat des dernières élections générales, vous pronostiquiez un raz de marée en faveur de votre camp. Or c’est tout le contraire qui s’est produit. Comment avez-vous pu vous tromper à ce point ?

Paul Bérenger : L’évolution de la campagne électorale explique ces résultats, ainsi que les failles de notre système électoral, toujours fondé sur l’alliance de deux partis contre un troisième.

Nous ne voulions pas nous retrouver dans la situation de 2010, lorsque nous avions perdu face à l’alliance Ramgoolam-Jugnauth. Nous nous sommes donc d’abord tournés vers le MSM, mais cette tentative a achoppé notamment sur la question de la réforme électorale, qui était un point clé de notre programme. Nous étions alors prêts à nous jeter seuls dans la bataille lorsque nous avons été approchés par le Parti travailliste, qui proposait ni plus ni moins de reprendre notre programme : lutte contre la corruption, réformes électorale et constitutionnelle… C’était trop beau pour être vrai.

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Vos détracteurs prétendent que vous envisagiez surtout d’élaborer une Constitution taillée sur mesure pour que Navin Ramgoolam et vous-même vous partagiez le pouvoir…

C’est faux. Ce document était un chef-d’œuvre d’équilibre. L’essentiel du pouvoir restait entre les mains du Premier ministre, pendant que le président de la République, élu au suffrage universel direct, se voyait attribuer des pouvoirs supplémentaires, notamment en matière de nominations. Nous sommes partis aux élections avec le deal suivant : à lui la présidence et à moi le gouvernement. Nous allions gagner, j’en suis persuadé. C’est Ramgoolam qui nous a fait perdre… Les gens ont cru qu’il allait conserver tous les pouvoirs.

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Aviez-vous bien mesuré l’impopularité de l’ancien Premier ministre ?

Oui, et nous étions très divisés au sein du MMM sur cette alliance. Nous voulions surtout éviter que Ramgoolam et Jugnauth aillent une nouvelle fois ensemble aux élections ; ils auraient gagné et rien n’aurait changé. Trois fois nous avons failli mettre un terme aux négociations, trois fois le PTr est revenu vers nous, et nous avons finalement obtenu suffisamment de garanties pour nous engager.

Je pense pour ma part que Ramgoolam est fini et que son parti est proche de la disparition

Que pensez-vous de l’ampleur des sommes découvertes ces derniers mois au domicile de Navin Ramgoolam [220 millions de roupies mauriciennes, soit plus de 5,3 millions d’euros] ?

Cela reflète l’arrogance du pouvoir dans toute sa splendeur. Ramgoolam a vraiment été très loin… Il pense pouvoir encore revenir, mais le pays a été très choqué par ces révélations. Je pense pour ma part qu’il est fini et que son parti est proche de la disparition. Entre un PTr exclu du jeu politique et un MSM décrédibilisé après seulement dix mois aux affaires, le MMM pourrait bien avoir un boulevard devant lui.

Quel jugement portez-vous sur le gouvernement ?

Il a déjà fait pire que son prédécesseur ! La plupart des ministres ne s’attendaient pas à gagner et à prendre les commandes du pays. Le gouvernement est donc très faible et, jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise pour relancer la croissance économique et lutter contre le chômage. C’est une grande déception pour la population, même si elle n’avait pas voté pour Jugnauth mais plutôt contre Ramgoolam. J’ai personnellement payé très cher notre défaite, mais, finalement, c’est peut-être la meilleure chose qui pouvait arriver au pays…

J’affirme sans fanfaronner que l’avenir appartient au MMM, le seul parti à avoir les mains propres

Cela signifie-til que vous vous préparez déjà pour des élections anticipées ?

Bien sûr, et dans le respect de nos institutions et de notre Constitution. Ce scénario est désormais très probable, compte tenu de l’âge du père et des ennuis judiciaires du fils [Anerood Jugnauth a plus de 85 ans et son fils, Pravind, leader du MSM, a été condamné fin juin, en première instance, dans une affaire de conflit d’intérêts. Il a fait appel devant la Cour suprême, qui doit l’entendre les 12 et 13 janvier 2016].

L’objectif d’Anerood était de mettre à son fils le pied à l’étrier, mais son plan tombe à l’eau. Et comme il avait fait le ménage en éliminant tous les concurrents susceptibles de faire de l’ombre à Pravind, j’affirme sans fanfaronner que l’avenir appartient au MMM, le seul parti à avoir les mains propres.

Persistez-vous à penser qu’une réforme institutionnelle est nécessaire ?

Oui, dans l’intérêt de notre démocratie. Mais après l’hystérie que le sujet a provoqué lors des dernières élections, je n’en ferai pas un cheval de bataille.

Le Premier ministre ne l’a pas inscrite dans son programme…

C’est normal. Jugnauth est un conservateur opposé à tout changement. Une telle réforme apporterait pourtant un nouveau souffle à Maurice.

Que proposez-vous concrètement ?

De garder le système tel qu’il est aujourd’hui, mais en y incorporant une dose de proportionnelle, afin d’assurer une meilleure représentation des petits partis. Ce qui permettrait enfin à tout le monde de pouvoir aller seul aux élections, et seulement ensuite de passer des alliances si nécessaire.

Les gens me font confiance, alors pourquoi ne pas aller jusqu’aux prochaines élections ?

Quelle mission vous êtes-vous assignée en tant que chef de file de l’opposition ?

Je serai particulièrement vigilant, car l’expérience montre qu’une opposition solide et responsable est aussi importante pour le pays qu’un gouvernement. Nous allons affiner notre programme en restant fidèles aux valeurs qui sont les nôtres depuis 1969 : unité nationale, lutte contre la corruption, justice sociale…

Vous ne parlez pas de retraite ?

Après les dernières élections, j’ai proposé de prendre du recul mais on m’a demandé de rester. Alors je reste. J’ai eu 70 ans en mars, j’ai donc une grande expérience des responsabilités politiques. Les gens me font confiance, alors pourquoi ne pas aller jusqu’aux prochaines élections, avec un accord du style « Bérenger pour trois ans et quelqu’un d’autre pour les deux années restantes » ? Je ne suis pas inquiet : la relève existe au sein du MMM.

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