Maurice : papa m’a dit !
Depuis 1968, le pays est gouverné par les mêmes dynasties : Jugnauth, Bérenger et Ramgoolam. Et si l’heure de la relève avait enfin sonné ?
Maurice : en quête d’un second souffle
Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.
Seulement quatre chefs de gouvernement depuis l’indépendance en 1968, malgré le rythme quinquennal imposé par la Constitution. Et même trois depuis que s’est achevée la parenthèse du « père de l’indépendance », sir Seewoosagur Ramgoolam, qui fut Premier ministre de 1961 à 1982. Son fils, Navin Ramgoolam, a passé quinze ans au pouvoir (1995-2000, 2005-2014), sir Anerood Jugnauth, l’actuel Premier ministre, seize ans (1982-1995, 2000-2003), et Paul Bérenger, un peu moins de deux ans (2003-2005).
Ministre, un poste héréditaire
L’âge avancé des trois capitaines (respectivement 68 ans, 85 ans et 70 ans) oblige pourtant les partis à envisager un changement générationnel inédit dans le pays. Même s’il n’est pas forcément patronymique. « Comme en Inde avec les Gandhi, les Mauriciens ne conçoivent le pouvoir que de manière dynastique. Les leaders des trois principaux partis passent donc leur temps à couper les têtes qui dépassent, sauf quand il s’agit de celles de leurs fils », ironise Jacques Bizall, syndicaliste et ancien du Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger.
Lorsque l’on demande à Bérenger qui pourrait lui succéder, il parle d’abord de lui-même, puis de sa fille, Joanna, et enfin de son fils, Emmanuel, qui a pour l’instant refusé d’endosser le rôle de dauphin. Contrairement à Pravind Jugnauth, le fils de l’actuel Premier ministre, qui dirige depuis 2003 le Mouvement socialiste militant (MSM), fondé par son père. « Anerood est sorti de son lit pour faire la courte échelle à Pravind, mais celui-ci n’a aucun charisme », sourit un observateur local.
Ce plan semble pourtant compromis. Nommé ministre de l’Innovation et de la Technologie dans le gouvernement de son père, Pravind Jugnauth a dû démissionner en juin, reconnu coupable de conflit d’intérêts dans l’affaire de l’achat de la clinique MedPoint par l’État. En 2010, alors qu’il était ministre des Finances, Jugnauth junior a émis un chèque de 144,7 millions de roupies (3,5 millions d’euros) représentant le prix d’achat de ladite clinique, tout en sachant que celle-ci appartenait à son beau-frère, Kishan Malhotra, et que sa propre sœur, Shalinee Jugnauth, en détenait des actions. Condamné à douze mois de prison commués en services communautaires, il a fait appel auprès de la Cour suprême et doit comparaître les 12 et 13 janvier.
La main-mise des anciens partis
Depuis, les barons du gouvernement aiguisent leurs couteaux, à commencer par Xavier-Luc Duval (Premier ministre adjoint et ministre du Tourisme, fils de sir Gaëtan Duval, plusieurs fois ministre dans les gouvernements de Ramgoolam et de Jugnauth), Showkutally Soodhun (vice-Premier ministre et ministre des Terres et du Logement) et Nando Bodha (ministre des Infrastructures publiques et du Transport terrestre).
L’ancien Premier ministre risque d’être exclu de la scène politique un certain temps. Ce qui ne l’empêche pas d’espérer reconquérir le pouvoir
Après avoir repris le flambeau de son père, seul Navin Ramgoolam, ex-Premier ministre et leader du Parti travailliste (PTr), ne peut jouer la carte de la filiation puisqu’il n’a pas d’enfants. Croulant sous les chefs d’inculpation depuis la découverte en février de 220 millions de roupies dans ses coffres personnels, l’ancien Premier ministre risque d’être exclu de la scène politique un certain temps. Ce qui ne l’empêche pas d’espérer reconquérir le pouvoir. « Le pire, c’est que c’est tout à fait possible », souligne Jacques Bizall.
Alors que la direction des trois principaux partis semble toujours verrouillée, l’irruption d’une nouvelle formation, le Mouvement patriotique, créée en mai par des dissidents du MMM, dont son ex-numéro deux, Alan Ganoo, en rupture de ban avec les méthodes de Bérenger, ne devrait pas changer la donne. « Notre système électoral laisse très peu de chances à un nouveau parti de s’inscrire dans le paysage politique », observe Rabin Bhujun, directeur éditorial d’ION News, qui rappelle qu’en quarante ans seul le MMM de Paul Bérenger a réussi cet exploit. Pourtant, Alan Ganoo y croit : « Nous voulons mettre fin au culte de la personnalité », répète-t-il. Une façon de tuer le père plutôt que de lui succéder.
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