Stratégie : les entreprises mauriciennes à la conquête du continent
Trop exigu, le marché national ? Qu’importe, les entreprises et l’État mauriciens cinglent vers une Afrique en plein essor. Au programme : ouverture d’usines et partenariats commerciaux.
Maurice : en quête d’un second souffle
Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.
Le nouveau « miracle mauricien » promis par le Premier ministre, Anerood Jugnauth, dans le programme de développement économique qu’il a présenté le 22 août sera africain ou ne sera pas. Passerelle entre l’Asie des capitaux et l’Afrique des opportunités, l’île ne se contente plus de voir transiter les fonds en direction du continent. Elle s’implique directement. À commencer par les pouvoirs publics, qui, ces derniers mois, dans la lignée des agréments fiscaux signés au fil des ans avec une vingtaine de pays africains, multiplient les accords de coopération.
Un exemple ? John Dramani Mahama, le président ghanéen, a effectué à Maurice, fin août, sa deuxième visite officielle en dix-huit mois. Trois partenariats commerciaux ont été signés, portant notamment sur la réalisation d’une smart city (« ville intelligente ») près d’Accra et d’une zone économique exclusive à Tema, où le Board of Investment (l’agence de promotion de l’investissement mauricien) prévoit d’investir 250 millions de dollars (224 millions d’euros) pour concevoir, planifier, développer et gérer deux technopoles, en partenariat avec le gouvernement ghanéen. Des projets similaires sont à l’étude avec Madagascar pour le développement d’une zone industrielle à Fort Dauphin et avec le Sénégal pour une zone économique spéciale intégrée à Dakar.
Après s’être longtemps cantonnées aux îles alentour, les entreprises mauriciennes n’hésitent plus à s’implanter sur le continent. Elles seraient plus de 70 aujourd’hui, selon le Mauricius Africa Business Club. Son président, l’ancien ministre Amédée Darga, explique cet engouement par « l’exiguïté du marché mauricien, qui limite les perspectives de croissance et, surtout, par le formidable potentiel économique d’une Afrique si proche ». D’autant que l’expertise acquise par les Mauriciens dans le tourisme, l’agroalimentaire ou la finance est reconnue et très recherchée, notamment par les pays membres, comme Maurice, du Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
Reste à mettre en place « une véritable stratégie africaine, autour de services clairement identifiés », plaide l’économiste Rama Sithanen. Et « à améliorer la connectivité avec le continent », renchérit Amédée Draga.
IBL : vous prendrez de la viande ou du poisson ?
Après une première approche régionale chez ses voisins insulaires des Comores et de Madagascar, le groupe multisectoriel Ireland Blyth Ltd (IBL) a pris pied sur le continent en 2012. Il a posé ses premiers jalons en Ouganda en acquérant 50 % de la société Fresh Cut, spécialisée dans la production et la distribution de viande. L’usine de Kampala, qui emploie 200 personnes, produit chaque année 4 000 tonnes pour le marché local.
Après avoir racheté les 50 % restants de Fresh Cut il y a quelques mois, IBL, qui a investi 8,6 millions d’euros depuis le début de son aventure ougandaise, cherche maintenant un partenaire pour se développer et, surtout, financer la construction d’un abattoir, « afin de permettre un meilleur contrôle de la chaîne de valeur », explique Jean-Luc Wilain, son directeur du développement.
Le groupe a également signé un accord de partenariat public-privé avec le gouvernement gabonais en février 2013 pour assurer l’implantation sur vingt-cinq ans d’une industrie locale de transformation des produits de la mer. L’investissement initial est estimé à 25 millions d’euros, dont 60 % venant d’IBL et 40 % du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS). Il pourrait atteindre 100 millions d’euros, selon la réalisation des projets, dont certains peinent à se concrétiser.
SIL : magic systems
Créée en 1989, initialement pour équiper les services publics mauriciens de systèmes informatiques, la société publique de droit privé State Informatics Ltd (SIL) a vite diversifié sa clientèle. D’abord en répondant aux appels d’offres locaux, puis, à partir des années 2000, en allant voir ailleurs en Afrique. Elle s’installe en Namibie en 2002, via sa filiale Silnam, qu’elle contrôle à hauteur de 48 %, puis au Botswana en 2010, avec Silbots, dont elle détient 66 % du capital.
« Dans le premier cas, le gouvernement namibien est venu chercher l’expertise mauricienne, dans le second, c’est SIL qui s’est intéressé à l’expansion botswanaise », explique Kemraz Mohee, le directeur général de l’entreprise. Aujourd’hui, la moitié de ses 120 collaborateurs sont employés hors de Maurice et « un peu plus de 15 % du chiffre d’affaires est réalisé sur le continent », ajoute le patron de SIL, qui travaille également sur l’optimisation des systèmes de gestion des finances publiques de l’Ouganda, du Kenya, du Sénégal et du Ghana, en partenariat avec les pouvoirs publics de ces pays.
Alteo : du sucre à gogo
En 2012 la fusion, des sociétés Fuel et Deep River Beau Champ (DRBC) a donné naissance à un champion de l’économie mauricienne : le groupe multisectoriel Alteo Ltd. « L’objectif était d’optimiser nos ressources à Maurice, et d’être également plus forts à l’échelle régionale et continentale », explique Patrick de Labauve d’Arifat, désormais PDG de l’un des plus importants opérateurs sucriers de l’île (sa production annuelle atteint 150000 tonnes). DRBC était déjà allé voir du côté du continent dans le passé, profitant de la vague de privatisations lancée à la fin des années 1990 par le gouvernement tanzanien pour s’implanter au pied du Kilimandjaro.
Un coup de maître : la production des 8 000 ha de cannes a triplé en quinze ans, pour un investissement global de 75 millions de dollars. De quoi donner des idées aux responsables d’Alteo, qui viennent de boucler le projet de reprise d’une sucrerie au Kenya. Le groupe mauricien possède désormais 51 % des parts de cette société, dont il espère porter la production annuelle à plus de 100 000 t, soit près du double de son volume actuel. Avec cette acquisition, l’Afrique devrait représenter, à terme, un bon tiers du chiffre d’affaires d’Alteo, contre 20 % auparavant.
Smart cities : pas si bête …
Afin de soutenir le secteur de l’immobilier, pilier de la diversification économique du pays depuis 2000, qui a pâti d’un manque d’investissements étrangers au lendemain de la crise mondiale de 2008, le gouvernement multiplie les déclarations sur la réalisation d’un réseau national de smart cities (« villes intelligentes »). Dans le cadre d’un vaste programme baptisé Smart Mauritius et financé à hauteur de 3 milliards d’euros par le secteur privé, l’État veut voir se développer huit villes intelligentes et cinq technoparcs.
« Smart Mauritius ? Un nom très savant pour relancer des projets déjà existants », explique un promoteur. La carte des huit smart cities se superpose en effet à celle de l’Integrated Resort Scheme (IRS, « complexe touristique intégré ») lancé en 2001, mais dont les premières maisons n’ont été construites qu’à partir de 2007. « Ce plan avait pour but de faciliter l’achat de villas de luxe par des étrangers à des conditions fiscalement avantageuses », poursuit le promoteur. Smart Mauritius, qui porte moins que l’IRS sur le secteur résidentiel, comprend des espaces professionnels et de loisirs pour « vivre, travailler et se détendre », selon le leitmotiv du programme gouvernemental.
Toutes ces installations sont parfaitement connectées et respectueuses des normes environnementales en matière de gestion de l’eau et de l’énergie. « Cela permettra également d’attirer de nouvelles activités et de faire en sorte qu’elles essaiment sur l’ensemble du territoire », espère un agent immobilier. De là à soutenir la croissance à hauteur des espérances du gouvernement, il n’y a qu’un pas… que les économistes se refusent à franchir.
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