Mohed Altrad, bédouin des sables syriens à la tête d’un empire du BTP

Son enfance dans les sables syriens, autour de Raqqa, et sa soif d’entreprendre l’ont mené vers les sommets d’un empire du BTP – mais aussi aux portes du sport et de la littérature.

« Je suis au service de la cité grâce à mes activités », déclare l’entrepreneur-écrivain-président de club de rugby… © Hélène Jayet pour J.A.

« Je suis au service de la cité grâce à mes activités », déclare l’entrepreneur-écrivain-président de club de rugby… © Hélène Jayet pour J.A.

Publié le 9 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

«Je le confesse, j’ai trop sacrifié pour supporter l’échec, l’idée seule de l’échec. » Ces mots sont ceux de son double, Maïouf, personnage principal de son roman autobiographique Badawi, paru en 2002 chez Actes Sud. Mais ces paroles auraient pu être celles de Mohed Altrad tant elles sont révélatrices de l’état d’esprit de ce chef d’entreprise insatiable, véritable Gargantua des affaires. En témoigne son rachat de l’industriel néerlandais Hertel, pour 240 millions d’euros, début 2015. En engloutissant son principal concurrent européen, spécialisé dans l’échafaudage, le Bédouin va tout simplement doubler son chiffre d’affaires et passer à 1,6 milliard d’euros. « Je le vis très bien, tranquillement, avec sérénité et conscience. Il faut absorber tout cela sans provoquer d’indigestion », sourit le milliardaire.

Désormais à la tête d’un groupe de 17 000 salariés, Mohed Altrad n’en demeure pas moins atypique. Malgré la lumière projetée sur lui par les prix d’entrepreneur européen puis mondial de l’année, il ne paraît pas ébloui. Le golden boy montpelliérain reste simple et accessible, répondant lui-même aux sollicitations de la presse. Un e-mail, un texto, un appel, Altrad fait tout tout seul. C’est d’ailleurs ainsi qu’il s’est construit.

la suite après cette publicité

Avant de diriger un empire, l’entrepreneur a fait ses premiers pas dans le désert syrien. C’était en 1948. Ou peut-être en 1951. Les lignes d’introduction de son histoire sont floues, il aime à le rappeler. Avec Maïouf, il revient sur les premiers chapitres de sa vie et se replonge dans les sables du souvenir pour panser et repenser ses plaies. La mort d’une mère qui lui a appris à marcher. Puis l’humiliation, l’exclusion du clan paternel et l’exil. Mohed Altrad ne goûte guère les discours larmoyants sur cette enfance bédouine et déchirée. Il reste néanmoins meurtri par l’interminable conflit syrien : « C’est dramatique. On n’est pas sortis de cette guerre, on s’y enfonce un peu plus chaque jour. C’est très difficile pour moi, d’autant que je ne peux rien faire. Les hommes politiques ont une responsabilité morale », s’agace-t-il.

Il se décrit comme un homme pragmatique dont la réussite ne découle d’aucune recette miracle

Cinq décennies après son arrivée dans le sud de la France, à Montpellier, Altrad est devenu incontournable dans le monde du BTP. Entré cette année dans le cercle fermé du classement Forbes des milliardaires de la planète (46e Français avec 1 milliard de dollars), il se décrit comme un homme pragmatique dont la réussite ne découle d’aucune recette miracle. « Je me sers de recherches, de livres et de réflexions, expose-t-il. Je m’appuie sur une charte écrite au jour le jour selon les évolutions. » En témoignent les innombrables bouquins qui ornent les bibliothèques de son bureau, digne d’un chef d’État. Les drapeaux flottant autour de lui symbolisent l’internationalisation du groupe Altrad implanté dans quatorze pays, dont le Qatar, la Tunisie, le Maroc et les États-Unis.

La première pierre de l’entreprise numéro 1 mondiale de la bétonnière, le bâtisseur l’a posée il y a trente ans. À la barre d’un tribunal, il s’empare de l’entreprise Mefran, dans l’Hérault, près de Montpellier. Docteur en informatique, il ne connaît rien à l’échafaudage ni à la bétonnière. Mais il va y consacrer vingt-cinq années de fusions-acquisitions. « Je fais des investissements que beaucoup n’oseraient pas faire », soutient le Syrien. Pour en arriver aujourd’hui à un « groupe mondial ni contestable ni contesté ».

Il est devenu en 2011 l’actionnaire principal du Montpellier Hérault Rugby, l’un des principaux clubs de l’Hexagone, qu’il préside. Le stade porte d’ailleurs son nom.

À l’image de ses origines, l’homme n’a pas de frontières. Il touche à tout ce que son appétit et sa soif de réussir réclament. Comme s’il avait sans cesse besoin de démontrer qu’il est capable. Incontournable dans la région Languedoc-Roussillon, il est devenu en 2011 l’actionnaire principal du Montpellier Hérault Rugby, l’un des principaux clubs de l’Hexagone, qu’il préside. Le stade porte d’ailleurs son nom. Il lui arrive aussi d’écrire des romans : il en a déjà publié quatre…

la suite après cette publicité

La politique politicienne, il évitera. « Je suis au service de la cité grâce à mes activités, dit-il. Chaque week-end, des milliers de gens viennent au stade, où l’on essaie de montrer l’exemple. Briguer un mandat de maire, de député ou être ministre ne m’intéresse pas. » Cela ne l’empêche pas de regarder au large avec ambition : « Je m’inscris dans une histoire. » Celle des mille et une vies.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image