L’affaire Azor Adelaïde : l’histoire du 1er meurtre politique à Maurice

L’assassinat, en 1971, d’un activiste du Mouvement militant mauricien a traumatisé tout un pays. La réédition du livre d’Éric Bahloo, fils de l’un des protagonistes de cette affaire, ravive ce souvenir.

Éric Bahloo, le fils d’Ignace Bahloo © DR

Éric Bahloo, le fils d’Ignace Bahloo © DR

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Publié le 26 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

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Maurice : en quête d’un second souffle

Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.

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Avec ses chefs de gang aux personnalités trop hautes en couleur pour être vraies, ses sanglants règlements de comptes au coin d’une ruelle, ses courses-poursuites effrénées dans la nuit moite de Curepipe à bord de vieilles anglaises, la peur au ventre, L’Affaire Azor Adelaïde a tout d’un roman noir. « Sauf que c’est un récit », précise son auteur, Éric Bahloo. Lequel n’est autre que le fils de l’un des protagonistes du « premier meurtre politique de l’histoire moderne de Maurice », comme le rappelle la quatrième de couverture du livre, réédité en juin. À 51 ans, Éric Bahloo espère bien mettre un point final à cette affaire qui suscite toujours autant de polémiques dans le pays et continue de hanter sa vie quarante-quatre ans après les faits.

Le 25 novembre 1971, Azor Adelaïde, 47 ans, docker et par ailleurs colleur d’affiches pour le Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger, est assassiné lors d’une embuscade tendue par les gros bras de Gaëtan Duval, tout-puissant patron du Parti mauricien social démocrate (PMSD) et ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement de Ramgoolam père.

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Le pays vient d’accéder à l’indépendance, les « bagarres raciales » sont encore dans toutes les mémoires. La tension est montée d’un cran à Curepipe depuis que le jeune activiste Paul Bérenger [il a alors 26 ans] est venu chasser sur les terres électorales de sir Gaëtan, autoproclamé « roi des créoles » de ce quartier populeux et populaire. Jusqu’au dérapage, après des mois de tabassages, de menaces et de provocations en tout genre.

C’est pour extirper cette douleur, rappeler ses vérités et ses soupçons qu’en 1996 Éric Bahloo choisit la plume « plutôt que les poings ». Il mettra dix ans à trouver un éditeur

Éric Bahloo n’a rien oublié, jusqu’à l’arrestation de son père, Ignace, « première gâchette » de Gaëtan Duval et, à ce titre, inculpé pour complot, même s’il n’était pas sur les lieux le soir du crime. En 1975, il sort de prison « cassé » et meurt à 47 ans, quelques mois après sa libération.

Depuis plusieurs années, Éric a rejoint sa mère en France, loin des « fils d’assassin ! » et des baffes que les passants s’autorisaient à lui donner dans la rue. C’est pour extirper cette douleur, rappeler ses vérités et ses soupçons qu’en 1996 il choisit la plume « plutôt que les poings ». Il mettra dix ans à trouver un éditeur. La classe politique mauricienne, dont les personnages sont les mêmes que dans le livre, ne voit pas cette publication d’un très bon œil. D’autant qu’elle pourrait rouvrir de vieilles cicatrices ethniques que tout le monde veut voir enfouies.

Anerood Jugnauth lui-même, Premier ministre de 1982 à 1995, a utilisé cette sombre histoire pour se débarrasser définitivement de Gaëtan Duval au tournant des années 1990

L’assassin présumé pourrait être hindou et non créole. Il aurait pu être payé pour tuer Bérenger, peut-être par quelqu’un d’autre que Duval… Pendant dix ans, Bérenger a construit sa stature politique sur le martyre d’Azor Adelaïde. Anerood Jugnauth lui-même, Premier ministre de 1982 à 1995, a utilisé cette sombre histoire pour se débarrasser définitivement de Gaëtan Duval au tournant des années 1990, ce dernier risquant même la potence.

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L’affaire Azor Adelaïde a donc marqué l’histoire politique de Maurice autant que l’existence d’Éric Bahloo, qui se dit aujourd’hui « libéré », après avoir réussi, à ses yeux, à réhabiliter un père dont il n’est pas toujours fier. « C’était un activiste », sourit aujourd’hui le fils qui a décidé à son tour de s’engager. En plus des tribunes qu’il publie régulièrement dans les quotidiens mauriciens, il veut rentrer au pays « faire de la politique ». Et enterrer pour toujours Azor Adelaïde.

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