Audiovisuel : la TNT, nouvelle frontière d’Ismaïla Sidibé
Le patron d’Africable compte bien profiter de la télévision numérique terrestre. Après avoir lancé des chaînes thématiques cryptées, il est à l’origine, à Bamako, du premier téléport privé d’Afrique.
Ses petits camarades de jeu du quartier bamakois de Hamdallaye l’avaient surnommé Nayou. « L’hyperactif ». Un sobriquet qui sied à merveille à Ismaïla Sidibé. Plusieurs décennies plus tard, en matière d’audiovisuel, rien d’important ne se fait sans lui au Mali. L’homme, qui figure parmi les pionniers de la télévision privée généraliste en Afrique de l’Ouest, est à la tête du groupe audiovisuel Africable, qui comprend une télévision généraliste à vocation continentale et six chaînes thématiques cryptées.
À Bamako, Ismaïla Sidibé lance, avec d’autres partenaires africains, la première station terrestre de télécommunication par satellite (téléport) privée du continent. [L’inauguration officielle, prévue le 07 octobre en présence du président Ibrahim Boubabacar Keïta a été reportée suite à la bousculade de Mina, à la Mecque, durant laquelle plus de 70 pèlerins maliens auraient trouvé la mort.]
Cette plateforme ultramoderne, qui a coûté 3 milliards de F CFA (environ 4,6 millions d’euros), permettra la diffusion gratuite d’un bouquet de 54 chaînes des pays de l’UEMOA ainsi que de chaînes payantes internationales. Compatible avec la télévision numérique terrestre (TNT), elle a été réalisée grâce à un partenariat entre des membres de l’Association des opérateurs privés de télévision d’Afrique (Opta) et la Société européenne des satellites (SES).
Ismaïla Sidibé, « le droit à la télé pour tous »
Pour Ismaïla Sidibé, cet outil va favoriser l’implantation de la télévision numérique sur le continent, une opportunité que les Africains doivent saisir : « En plus des retombées technologiques, comme la libération des fréquences ou la création de chaînes régionales, les Africains, pour une fois, vont pouvoir se voir à la télé en élaborant des programmes de proximité et en développant leurs propres contenus, estime-t-il. Les gouvernements vont devoir donner un sens à la production africaine en trouvant des mécanismes de financement internes. La TNT nous donne l’occasion de créer nos propres bouquets. »
Ismaïla Sidibé, 54 ans, a toujours eu pour credo « le droit à la télé pour tous ». Autodidacte ayant arrêté ses études après le lycée, ce Peul dont les racines plongent dans la terre du Wassoulou, dans le sud du Mali, est un féru de télévision. Tout commence dans la Côte d’Ivoire voisine, à Abidjan, où il crée en 1986 un vidéoclub, avant de se consacrer au dépannage des installations de ses clients puis de s’intéresser, de fil en aiguille, aux techniques de transmission satellitaire : il devient installateur d’antennes paraboliques.
En 1990, retour au pays natal. Ismaïla Sidibé met sur pied Mali Audiovision avant de fonder, deux ans plus tard, Multicanal SA, qui redistribue dans son pays des images de TV5, Canal+ Horizons, MCM… Boulimique, Sidibé ne s’arrête pas en si bon chemin : en 2000 il lance, en compagnie de partenaires français et africains, Africable, une chaîne cryptée émise depuis Paris faute d’avoir obtenu l’autorisation à Bamako. Après une année d’activité, écran noir. Mais l’homme est tenace et remet l’ouvrage sur le métier. Nous sommes en 2004. Grâce à un prêt de 1 million d’euros octroyé par Ecobank, la chaîne redémarre et la diffusion se fait, cette fois-ci, depuis la capitale malienne, en clair et par satellite.
Onze ans plus tard, Africable est parvenu à se faire une place dans le cercle très fermé des chaînes généralistes panafricaines aux côtés d’Africa24 et de Voxafrica. Aujourd’hui, le groupe emploie plus de 50 personnes et réalise un chiffre d’affaires d’environ 4 milliards de F CFA, contre 6 milliards il y a quelques années. « La crise politique et la rébellion touarègue au Nord-Mali ont affecté nos activités, explique Ismaïla Sidibé. Mais elles redémarrent timidement. » Pour assurer la rentabilité de la chaîne, 70 % des recettes proviennent de la publicité, le reste étant assuré par des contrats de sponsoring ou événementiels.
Africable, futur leader de l’audiovisuel en Afrique ?
En 2013, l’homme d’affaires s’est lancé dans une stratégie de diversification en créant notamment des chaînes thématiques, moins lourdes financièrement, afin de rentabiliser ses investissements. Ainsi est née Maïsha TV (« vie », en swahili), une chaîne destinée aux femmes, diffusée en Europe et dans une partie de l’Afrique. Cette année, des chaînes thématiques payantes dévolues au cinéma (Africawood), à la cuisine (Cuisine tropicale TV) ou encore à la culture mandingue (Kafo TV) ont à leur tour vu le jour à la faveur du bouquet TNT.
Panafricaniste dans l’âme, Ismaïla Sidibé est déterminé à faire d’Africable l’un des plus grands groupes audiovisuels du continent. Ses modèles ? Il cite son compatriote Mossadeck Bally, patron d’Azalaï, une chaîne hôtelière implantée dans presque toute la zone UEMOA, ainsi que des entrepreneurs sénégalais : l’architecte Pierre Goudiaby Atepa, le fondateur de la Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE) ; Aliou Sow, et son fils Yérim, patron de Teyliom ; ou encore le roi du poulet Babacar Ngom, PDG du groupe Sedima…
En matière de management, Ismaïla Sidibé n’hésite pas à s’appuyer sur les meilleures compétences disponibles… et à les entretenir. Un exemple : son directeur technique, l’ingénieur Zackaria Cissé, qui a conçu l’architecture réseau du téléport, s’est aussitôt envolé pour le Canada afin de mettre à niveau ses connaissances, une année durant. Car « nous sommes dans un domaine où tout évolue très vite », assure le patron.
Ma seule ambition est que cette entreprise soit pérenne. Toutes les compétences y ont leur place, y compris celles de mes propres enfants, mais cela se fera uniquement au mérite, affirme Ismaïla Sidibé
Parmi ses six enfants, Ismaïla Sidibé compte une fille partie faire ses classes chez Deloitte, à Paris, tandis qu’un de ses fils a empoché sa licence en sécurité informatique en Inde. Son frère Birama Sidibé – « mon mentor depuis mes années étudiantes à Abidjan », se remémore-t-il -, ancien vice-président de la Banque islamique de développement (BID) et candidat malheureux à la présidence de la Banque africaine de développement (BAD) lors du départ du Rwandais Donald Kaberuka, reste l’un de ses conseillers les plus précieux, sur beaucoup de dossiers.
Le patron d’Africable songe-t-il à faire de son groupe une affaire strictement familiale ? Il tranche net : « Loin de moi cette idée ! Ma seule ambition est que cette entreprise soit pérenne. Toutes les compétences y ont leur place, y compris celles de mes propres enfants, mais cela se fera uniquement au mérite. » Ismaïla Sidibé assure que son groupe est en pleine phase de réorganisation afin de le faire évoluer « en première division », plaisante-il. Raison pour laquelle il a comme objectif, un jour, d’ouvrir le capital à d’autres actionnaires et de le coter en Bourse. Car « pour pouvoir bien jouer dans l’élite il faut s’en donner les moyens ».
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