Maurice : le « miracle économique » peut-il être renouvelé ?

La dette s’envole, le chômage s’enkyste, les investissements sont en berne… Anerood Jugnauth parviendra-t-il à redresser la situation, comme dans les années 1980 ?

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Publié le 16 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

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Maurice : en quête d’un second souffle

Véritable « modèle » du continent africain, Maurice jouit d’une économie favorable et d’un État fort, qui garantit la stabilité politique à ses citoyens. Cependant, le modèle affiche aujourd’hui quelques signes d’essoufflement, émanant notamment de sa classe politique.

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Il était considéré comme le père du premier « miracle économique mauricien » dans les années 1980. C’est dire si son retour à la primature était attendu, ne serait-ce que pour rassurer le secteur privé. Pourtant, il est loin aujourd’hui de tenir ses promesses, même si le Premier ministre a lancé une vaste opération de nettoyage afin de remettre de l’ordre dans le secteur financier offshore et qu’il s’est entouré de la même équipe de spécialistes qu’il y a trente-cinq ans.

Des prévisions hâtives

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Retrouvant le portefeuille des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo, sans doute grisé par ce come-back inopiné, n’a pas hésité à annoncer dès sa prise de fonctions un objectif de croissance supérieur à 5,5 % pour 2016. Un taux jugé « fantaisiste » par les experts, tant l’économie mauricienne semble atone depuis quelques mois.

Anerood Jugnauth s’est d’ailleurs empressé de tempérer les prévisions de son grand argentier, ajoutant encore à la confusion. Dans le programme de développement économique qu’il a présenté à la presse le 22 août, le Premier ministre a prédit un taux de croissance identique à celui promis par son ministre… mais pas avant 2017. « Ce sera déjà bien s’ils atteignent alors 4 % », persifle un économiste. Le FMI ne dit pas autre chose. Ses dernières notes de conjoncture tablent sur une moyenne annuelle de 3,5 % d’ici à 2020.

Un pays à revenu élevé dès 2018 malgré une croissance au ralenti © J.A.

Un pays à revenu élevé dès 2018 malgré une croissance au ralenti © J.A.

« Le gouvernement donne l’impression de naviguer à vue, sans plan bien précis. Et, surtout, sans prendre l’avis des principaux acteurs économiques du pays », regrette un membre du secteur privé. Résultat : la confiance des ménages est en berne et les entrepreneurs restent prudents. Le programme qu’Anerood Jugnauth a dévoilé fin août n’a pas encore inversé la tendance.

Villes intelligentes, économie bleue, hub régional…, le gouvernement a fait preuve d’un sens certain de la formule, mais a-t-il les moyens de ses ambitions, qui se chiffrent à plusieurs centaines de milliards de roupies ? Le taux d’endettement du pays s’est déjà dangereusement creusé ces derniers mois. « En mettant la priorité sur une série de réformes sociales, le gouvernement a amélioré le pouvoir d’achat des familles tout en sacrifiant l’investissement public », regrette Rama Sithanen, l’ancien ministre des Finances.

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Conscient des limites de ses moyens financiers, le chef du gouvernement a confirmé qu’il affecterait 4 milliards de roupies (97 millions d’euros) au développement portuaire de la capitale. À charge, pour le secteur privé, de fournir le plus gros effort, avec une contribution de 185 milliards de roupies (4,5 milliards d’euros) au cours des cinq prochaines années. « Les intentions sont bonnes, mais c’est faire un pari sur l’avenir alors que le privé est déjà financièrement essoufflé », résume l’économiste Swadicq Nuthay.

Un environnement des affaires optimal

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En baisse constante depuis 2011, l’investissement global est passé de 28 % à 20 % du PIB. « Les montants investis par les opérateurs privés pourraient chuter de 70 % rien que pour l’année 2 015 », s’inquiète Jean Paul Arouff, rédacteur en chef du mensuel Business Magazine. Difficile, dans ces conditions, de relancer une machine économique grippée par le clientélisme des années Ramgoolam et, ces derniers mois, par l’affaire British American Investment (BAI), septième entreprise nationale en matière d’activité, dont l’effondrement « a certainement coûté quelques points de PIB », estime Arouff.

Plus que le contenu des projets eux-mêmes, les observateurs critiquent le calendrier du gouvernement. « Les smart cities, comme le port, peuvent tirer la croissance et fournir une partie des 100 000 emplois promis, mais pas avant plusieurs années », rappelle un banquier qui, comme nombre de ses confrères, s’interroge sur l’avenir proche, à un moment où le taux de chômage se maintient au-dessus de 8 %.

Pourtant, les indicateurs fondamentaux restent satisfaisants et, s’appuyant sur un environnement des affaires sans égal en Afrique, l’économie mauricienne demeure la plus compétitive du continent. La Banque mondiale place en effet Maurice au 28e rang sur 189 pays classés dans son rapport « Doing Business ». Un recul de huit places par rapport à 2014, mais qui situe l’île entre les Pays-Bas et le Japon pour la qualité de son climat des affaires, devant la France (31e) et loin devant les deuxième et troisième « meilleurs élèves » du continent en matière de facilitation des affaires : l’Afrique du Sud (43e) et le Rwanda (46e).

« Reste que si Maurice veut réaliser ses objectifs et devenir un pays à revenus élevés en 2020, il devra innover et se moderniser, en investissant notamment dans le capital humain afin de développer de nouvelles compétences », prévient Brinda Dabysing, représentante de la Banque mondiale sur place. Maurice doit donc se réinventer et conjuguer ses efforts au futur proche. Pour éviter que le « nouveau miracle » tant espéré ne se transforme en simple mirage.

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