Exposition – « Osiris, mystères engloutis d’Égypte » : quand le roi mythique triomphe de Seth
Exposition événement organisée à l’Institut du monde arabe, à Paris, « Osiris, mystères engloutis d’Égypte » présente, jusqu’au 31 janvier 2016, 250 œuvres inédites sauvées des eaux par l’archéologue Franck Goddio, ainsi qu’une quarantaine de pièces sorties pour la première fois des musées du Caire et d’Alexandrie.
Venue d’Aboukir, où le delta du Nil s’ouvre sur la Méditerranée, la barque d’Osiris a traversé les mers et remonté la Seine jusqu’à Paris. Pour quelques semaines, « l’être parfait » a établi son naos derrière les moucharabiehs d’acier de l’Institut du monde arabe (IMA). Entre deux bâtiments, une faille conduit à son antre aux parois vert d’eau et gris-bleu sur lesquelles des lumières ondoient au rythme d’harmonies imaginaires. L’atmosphère subaquatique est familière au peuple des dieux qui ont accompagné le pharaon originel, tirés du fond de la mer où ils reposaient depuis treize siècles. Avant leur découverte, en 2000, leurs cités, Thônis-Héracléion et Canope, n’étaient connues que par quelques textes et inscriptions.
Leur inventeur, l’archéologue sous-marin et commissaire de l’exposition Franck Goddio, explique la disparition de cette Atlantide d’Égypte : « La conjonction d’une subsidence des terres méridionales de la Méditerranée et d’une remontée du niveau de la mer avec un phénomène exceptionnel de liquéfaction des sols dû à des inondations ou à un séisme ont abouti à l’effondrement dans la mer de Thônis, de sa voisine Canope et du Portus Magnus d’Alexandrie, probablement le même jour, au VIIIe siècle. » Les 250 objets présentés à l’Institut du monde arabe ne sont que la plus belle partie des milliers de pièces remontées à la surface, et, affirme Goddio, seuls 2 % à 3 % des sites ont été fouillés, laissant fantasmer les reliques qui gisent encore sous les flots.
Mystères sacrés
Dieu civilisateur et premier souverain temporel dans la mythologie impériale égyptienne, Osiris a vu son culte, d’abord local, s’imposer à l’ensemble du pays avec les grandes dynasties pharaoniques puis se répandre de l’Orient à l’Occident sous les empires hellénistique et romain. Sa geste, mystique et humaniste, a su parler au cœur des hommes.
La geste d’Osiris, mystique et humaniste, a su parler au cœur des hommes.
Dans la première salle, nulle représentation : des rideaux ondulent comme les voiles qui, dans les saints des saints, cachaient les mystères sacrés aux yeux profanes, ceux de la vie, de la mort et de la résurrection d’Osiris. On y rappelle comment le fils du Ciel et de la Terre, héritier de la royauté terrestre, a été trahi, assassiné et découpé en quatorze morceaux par Seth, son frère jaloux. Isis, sa sœur et épouse, est parvenue à rassembler ses membres épars et, avec l’aide de son autre sœur Nephtys et du dieu chacal Anubis, lui a réinsufflé momentanément la vie pour engendrer Horus, son successeur sur le trône. Devenu le garant du pouvoir royal et le juge des morts, le dieu assurait à ses dévots la renaissance à une vie éternelle que les cultes formels qui le précédaient n’envisageaient pas. « Et ce n’est pas tant sa résurrection qui en a fait un dieu populaire que son alliance avec Isis pour la procréation d’Horus, l’image de l’amour conjugal et paternel mais aussi le symbole de la fertilité des champs où la semence enfouie finit par lever et donner les grains de vie », explique Mamdouh el-Damaty, égyptologue et ministre égyptien des Antiquités.
Amulettes
Derrière les voiles, deux superbes statues du couple divin trônant accueillent le visiteur, adressant un sourire serein à l’éternité. Hiératique, Isis arbore les deux cornes de la couronne d’Hathor, déesse vache de l’amour et de la maternité, qui est une de ses multiples formes. Coiffé de la couronne Atef et tenant croisés sur sa poitrine la crosse héqa et le fouet nekhakha, Osiris a le corps gainé : pour rassembler son corps démembré, Anubis a inventé la momification. C’est sous cette forme que le dieu ressuscité est le plus souvent représenté, comme en témoignent les nombreuses statues, reliefs et amulettes présentés dans l’exposition. Les deux œuvres sont réalisées en grauwacke, une roche d’origine marine dont le poli et les couleurs allant du noir d’ébène au vert d’eau évoquent la brillance sombre des limons du Nil. Conservées au musée du Caire, elles font partie d’une quarantaine de statues remarquables puisées dans les réserves des musées égyptiens pour illustrer la célébration des mystères d’Osiris.
Derrière le couple noir, un colosse de granit rose semble s’avancer : c’est Hâpy, 6 tonnes pour 5,40 m, divinité de la crue du Nil, « Osiris dans son humeur féconde et bienveillante », précise Goddio. Mamelles pendantes, la tête ornée d’un bouquet de papyrus, il se dressait devant la façade du temple d’Amon Géreb, à Thônis. Comme beaucoup de pièces provenant des fouilles sous-marines, sa surface a été abrasée par les mouvements de la mer – ce qui n’est pas le cas d’une grande stèle de granit noir tombée face contre terre -, un tarif douanier qui a confirmé aux archéologues qu’ils exploraient bien le site de Thônis-Héracléion, les deux désignations, égyptienne et grecque, ayant longtemps laissé penser qu’il s’agissait de deux cités distinctes.
Après avoir affronté le regard énigmatique d’un sphinx, admiré le téton échappé de la tunique d’une Isis hellénistique et un dieu Nil romain dont le buste, fixé sur un mur vert, semble émerger des flots, le visiteur est initié aux mystères proprement dits, « ensemble de rites initiatiques et secrets […] dont la révélation devait apporter le salut », dit Le Petit Larousse. « Ils se célébraient dans toute l’Égypte, raconte le ministre des Antiquités, pendant le mois de Khoiak. Des prêtres rapportaient symboliquement au temple les morceaux du corps d’Osiris des régions de l’Égypte où ils avaient été dispersés dans des vases, comme le montre une rare statue de l’exposition. Puis deux effigies étaient façonnées, l’une d’Osiris Sokaris représentant le dieu dans son aspect funéraire et l’autre d’Osiris Khentamenti, le dieu végétant. Cette dernière, modelée dans de la boue mêlée d’aromates et de grains d’orge, était arrosée jusqu’à la germination, qui symbolisait la renaissance du dieu et le retour de la fertilité agraire avec la crue du Nil. »
Une émouvante statuette du dieu momifié placé dans un cercueil à l’image d’Horus, le dieu faucon fils d’Isis et d’Osiris, provenant du musée du Caire et un sarcophage grandeur nature, jardinière où était arrosée la statue végétante, découvert à Thônis, illustrent l’opération tandis qu’au mur une photo de dix mètres montre en taille réelle la barque de sycomore qui a pu servir à transporter les simulacres de Thônis au grand sanctuaire voisin de Canope.
Bacchanales
L’on se rappelle alors la description de Strabon, géographe des premiers siècles avant et après notre ère, pour qui « le spectacle le plus curieux à coup sûr est celui de la foule qui, pendant les panégyries, ou grandes assemblées, descend d’Alexandrie à Canope par le canal : le canal est alors couvert, jour et nuit, d’embarcations toutes chargées d’hommes et de femmes, qui, au son des instruments, s’y livrent sans repos ni trêve aux danses les plus lascives, tandis qu’à Canope même les auberges qui bordent le canal offrent à tout venant les mêmes facilités pour goûter le double plaisir de la danse et de la bonne chère ». De véritables bacchanales dont témoignent des lampes à huile ornées de motifs lubriques, car Grecs et Romains assimilaient Osiris à Dionysos, lui aussi ressuscité après avoir été démembré. Par la suite, on a pu voir dans la figure du dieu égyptien, roi messianique et souverain de l’au-delà, une préfiguration du Christ, et l’image d’Isis tenant sur ses genoux Horus, le fils divin, a très tôt été confondue avec celle de la Vierge à l’enfant.
Le président de l’IMA, Jack Lang, voit encore dans la geste d’Osiris des correspondances contemporaines : « Il représente la victoire des lumières contre les ténèbres qu’incarne son frère Seth, qui l’avait dépecé, une victoire sur la mort rendue possible grâce à l’amour d’Isis. Face à la barbarie de Daesh, qui détruit et tue, puisse l’esprit d’Osiris faire à nouveau triompher l’amour et la création ! »
L’Égypte fait le plein
Les expositions égyptiennes sont très fréquentes dans l’Hexagone, où le monde des pharaons fascine toujours. Véritables vaches à lait des musées, chacune d’elles fait le plein de visiteurs. Gageons que celle-ci, dont l’Institut du monde arabe (IMA) refuse de donner le budget, saura comme les autres séduire les visiteurs, qui dépenseront pour la voir entre 10 et 15,50 euros. Si les prévisions de l’IMA sont justes, les 250 objets issus des fouilles sous-marines de Franck Goddio et la quarantaine d’œuvres provenant des musées du Caire et d’Alexandrie devraient attirer 450 000 personnes. La précédente exposition de Franck Goddio, « Trésors engloutis d’Égypte », au Grand Palais, du 9 décembre 2006 au 16 mars 2007, en avait attiré 732 822. Par comparaison, l’expo « Hip-hop » à l’IMA n’a reçu que 65 000 visites.
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