Présidentielle en Côte d’Ivoire : dans l’espoir d’un scrutin sans violence
Programmé pour le 25 octobre, le premier tour de la présidentielle approche à grands pas. L’heure est aux derniers préparatifs d’un scrutin dont on espère qu’il fera oublier les violences de 2011.
«Comment tu vas Grand-Bassam ?
– Et toi Bouaké ? »
Dans la salle de conférences située en plein cœur du quartier populaire de Yopougon, à Abidjan, les membres de la Commission électorale indépendante (CEI) se saluent chaleureusement du nom de leur ville d’origine, juste avant de recevoir une formation sur la distribution des cartes d’électeur et sur les moyens de ne pas oublier les habitants les plus isolés. L’humeur joyeuse en dit long sur un pays qui semble avoir retrouvé le goût du « vivre-ensemble ». Dehors, des urnes et du matériel électoral estampillés Pnud ont été entassés sous des tentes, à l’abri de la pluie.
« On est presque prêts », se réjouit un président de commission régionale. Dans la rue, les habitants qui font la queue devant les taxis collectifs sont optimistes. « Ici, on a connu des violences en 2010, mais aujourd’hui tout a changé, se réjouit Djomo Ake. Les Jeunes patriotes [fervents partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo] sont partis ou se terrent chez eux. » « Élections apaisées pour une paix durable, je vote ! » peut-on lire sur une affiche le long de l’autoroute qui mène au siège de la CEI, à Cocody.
La CEI sert-elle un seul et même camp ?
Derrière l’immense portail blindé, bien gardé, le siège de la commission a des allures de citadelle. Au premier coup d’œil, ce bâtiment en béton armé entouré d’un grand mur, construit sous Houphouët-Boigny et choisi par le président Laurent Gbagbo lui-même pour abriter le cœur de la démocratie ivoirienne, ne brille pas par sa transparence. Pourtant, la peinture rafraîchie depuis les violences postélectorales de 2010 et 2011, les quelques carreaux remplacés, prouvent aussi que la démocratie ivoirienne se porte mieux, ou du moins qu’on la respecte davantage.
À quelques semaines du premier tour, les membres de la commission (toujours dirigée, comme lors de la dernière présidentielle, par Youssouf Bakayoko) s’activent pour assurer le bon déroulement du scrutin. « Ici, on ne polémique pas, insiste Amlan Victoire Alley, porte-parole de la CEI. Nous sommes concentrés sur notre objectif. Malheureusement, nous avons pris quinze jours de retard sur le calendrier initial, car nous avons accordé un délai supplémentaire aux Ivoiriens pour qu’ils puissent s’inscrire sur les listes électorales. »
Dans son grand bureau climatisé, les portes s’ouvrent et se referment. Son conseiller fait des allers et retours pour lui apporter les chiffres exacts du dernier recensement. « La Côte d’Ivoire dénombre 367 609 nouveaux inscrits pour 6 300 142 électeurs en tout, précise cette ancienne avocate, un peu procédurière. On applique au pied de la lettre les règles garanties par la Constitution, qui, au passage, n’ont presque pas changé depuis l’ancienne législature [à l’époque de Laurent Gbagbo], même si nous avons apporté quelques améliorations. »
Le problème, c’est que la CEI ne compte que quatre représentants des partis d’opposition
Cette année, par exemple, les Ivoiriens auront la possibilité de voter soit avec leur carte d’identité, soit avec leur carte d’électeur. Et pour éviter les usurpations d’identité, la CEI a ajouté une vérification d’empreinte digitale sur tablette électronique. Un système antifraude ultramoderne sur lequel se fonderont les agents électoraux, avant d’envoyer les résultats du dépouillement par mail à la commission centrale de la CEI, quasiment en temps réel, département par département. La commission compte, parmi ses 17 membres, des représentants des principaux partis politiques et de la société civile. La plupart ont été nommés en août 2014.
Le problème, c’est que la CEI ne compte que quatre représentants des partis d’opposition, qui, eux, sont nombreux et vont à l’élection en ordre dispersé. Rassemblés au sein de la Coalition nationale pour le changement (CNC), créée en mai dernier, trois candidats à la présidentielle (dont l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny) sur les dix homologués par le Conseil constitutionnel, en juillet, dénoncent ainsi la non-représentation de leur camp au sein de cette commission, qui doit pourtant entériner les résultats au soir du scrutin.
Le 28 septembre, ils faisaient partie des 300 à 500 manifestants selon la police (entre 4 000 et 5 000 selon les organisateurs) à s’être rassemblés devant la CEI pour dénoncer les failles de la prochaine élection. La plupart de ces candidats sont en rupture avec leurs familles politiques d’origine (PDCI-RDA et FPI), qui ont pour certaines appelé à voter pour Alassane Ouattara, le candidat unique de la coalition de la majorité, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Le pays attendu pour prouver sa « maturité démocratique »
Dans son QG de campagne, situé non loin de la CEI, Kouadio Konan Bertin bougonne en bâillant, les paupières alourdies par « des nuits sans trouver le sommeil ». « KKB » est encore un député du PDCI, mais il se présente sans étiquette à la présidentielle et ne possède aucun représentant à la commission centrale. « Elle n’est pas indépendante, vocifère-t-il. Elle a été caporalisée par Ouattara. Le président a échoué dans sa tentative de candidature unique au sein de sa coalition, alors il se débrouille pour être élu dès le premier tour. »
Le candidat indépendant continue de donner des consignes à ses militants pour la campagne, mais il n’est pas sûr de maintenir sa candidature jusqu’au bout. Et il ajoute, vaguement menaçant (tout en jurant de prôner la non-violence) : « S’il n’y a pas d’élections pour nous, il n’y en aura pas pour Ouattara ! Cela fait un an qu’il utilise la RTI, la principale chaîne de télévision nationale, pour médiatiser ses voyages d’État aux quatre coins du pays. En réalité, il fait campagne depuis un an sur le dos du contribuable. Plus le président nous traitera avec mépris et plus nous nous rapprocherons de son palais. »
La violence électorale ne passera pas par moi, je vote, peut-on lire sur les panneaux publicitaires
Face aux soupçons de favoritisme, le très sage Ibrahim Sy Savané, le président de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (Haca), promet, dès l’ouverture de la campagne, le 8 octobre, la plus stricte égalité de temps de parole dans les médias publics entre les candidats. « Nous y veillerons grâce à notre système de monitoring, rassure cet ancien ministre de la Communication. Nous n’avons pas de raison, à ce stade, de penser que les engagements ne seront pas tenus. La situation générale l’exige. Le pays a une formidable opportunité d’apporter la preuve de sa maturité démocratique. »
En attendant le scrutin, dans les rues d’Abidjan, l’ambiance n’a jamais été aussi calme à quelques jours du lancement de la campagne électorale. « La violence électorale ne passera pas par moi, je vote », claironne un panneau publicitaire. Pour éviter tout débordement, 28 000 agents de sécurité (gendarmes, policiers et soldats de l’Onuci) vont être déployés sur tout le territoire le 25 octobre prochain. Signe que le processus électoral devrait se dérouler dans un climat plus serein qu’en 2010, l’Union européenne n’a pas prévu pour le moment d’envoyer des observateurs.
Et les réfugiés dans tout ça ?
Les réfugiés de la crise ivoirienne pourront-ils voter ? La question taraude les proches du Front populaire ivoirien (FPI), le parti du candidat Pascal Affi N’Guessan, qui craint qu’un réservoir d’électeurs ne lui échappe. Début 2011, au plus fort des violences, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) évaluait à plus de 300 000 le nombre d’Ivoiriens dispersés pour la plupart au Liberia, en Guinée et au Ghana.
Face à la dégradation de la sécurité, ces populations avaient fui certains quartiers populaires d’Abidjan ou de l’Ouest, réputés favorables à Laurent Gbagbo. Aujourd’hui, selon les derniers chiffres du HCR, publiés en août 2015, 240 000 d’entre eux ont regagné la Côte d’Ivoire. Ils pourront donc voter normalement dans les bureaux de vote habituels à partir du moment, où ils se sont inscrits à temps sur les listes. Les 58 000 autres, toujours réfugiés à l’extérieur, pourront voter dans leurs ambassades respectives « avec leur carte d’identité s’ils sont inscrits sur les listes », précise la CEI.
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