Chine : privatisations en question, bombe sociale à l’horizon
Pour donner un coup de fouet à une économie en berne, les autorités vont devoir privatiser nombre d’entreprises. Mais, si possible, sans provoquer un désastre sur le front de l’emploi. Pas simple.
La privatisation d’un secteur public frappé de pléthore, c’est un peu le serpent de mer de l’économie chinoise : on en parle toujours, on ne la voit jamais. Il y a sans doute à cela une bonne raison : comment privatiser des pans entiers de l’économie sans plomber les comptes publics et jeter des millions d’ouvriers à la rue ? Les autorités ont en mémoire la grande vague de privatisations des années 1990, quand des milliers d’entreprises furent brutalement dénationalisées et plusieurs dizaines de millions de personnes privées d’emploi. Dans une économie longtemps planifiée, les notions de profit ou de productivité étaient totalement étrangères aux apparatchiks communistes au pouvoir…
De nombreux cadres du Parti se sont débarrassés pour une bouchée de pain de ces entreprises au profit d’hommes de paille, voire de membres de leurs familles, explique l’économiste Zhang Chunqiao
Mais ça, c’était avant. Avant le grand bond économique des années 2000. « À l’époque, la plupart des entreprises d’État versaient des dividendes d’un montant proche de zéro, se souvient l’économiste Zhang Chunqiao. Dix ans plus tard, la moyenne avoisinait 7 %, soit presque autant que dans le secteur privé. » De cette époque, le président Xi Jinping et son entourage ont tiré la leçon qu’il est indispensable d’améliorer la compétitivité du secteur public, mais en tenant le plus grand compte du risque social. D’autant que la croissance chinoise est à son plus bas niveau depuis un quart de siècle…
« La première vague de privatisations a été mal faite, explique Zhang. De nombreux cadres du Parti se sont débarrassés pour une bouchée de pain de ces entreprises au profit d’hommes de paille, voire de membres de leurs familles. D’où la multiplication des méga-scandales de corruption. Les pertes pour l’État ont naturellement été gigantesques. »
Instruit par l’expérience, le Conseil d’État a cette fois multiplié les garde-fous : claire identification des acheteurs, professionnalisation du management et encouragement au partenariat public-privé. En d’autres termes, le gouvernement demande au secteur privé d’investir dans le public, tout en conservant la haute main sur le dispositif général.
Quid des quelque 155 000 entreprises petites et moyennes – hôtels, agences de voyages, promoteurs immobiliers, restaurants ou magasins – appartenant encore à l’État ?
Le second volet concerne la rationalisation de l’économie. Il existe aujourd’hui une centaine de grandes entreprises d’État. Combien survivront en 2020 ? Sans doute pas plus d’une quarantaine. Des mariages plus ou moins forcés auront lieu dans le nucléaire, le transport, la banque ou les assurances. Il s’agit de créer des « champions nationaux », explique Xinhua, l’agence de presse officielle, qui prend néanmoins soin de rappeler que la main du Parti restera ferme et que l’État demeurera in fine le seul décisionnaire.
Voilà pour la grande stratégie économique. Mais au-delà du sort futur des Bank of China, Petrochina ou Sinopec, quid des quelque 155 000 entreprises petites et moyennes – hôtels, agences de voyages, promoteurs immobiliers, restaurants ou magasins – appartenant encore à l’État (leurs employés sont fonctionnaires) ? Concurrent direct du privé, ce secteur ne crée absolument aucune valeur. On estime à 80 000 le nombre de ces entreprises qualifiées de « zombies » par le pouvoir central, ce qui ne les empêche pas de jouir des faveurs des gouvernements locaux et de se voir attribuer par les banques publiques des prêts à tire-larigot. Ce sont elles qui auront le plus à perdre dans cette deuxième vague de privatisations.
Cette réforme du secteur public attendue depuis plus de vingt ans est censée donner un coup de fouet salutaire à une économie – la deuxième du monde – en crise. Après avoir injecté en pure perte, cet été, près de 234 milliards de dollars (209 milliards d’euros) pour soutenir les marchés financiers chinois, le gouvernement n’a de toute façon plus le choix.
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