Élection présidentielle en Guinée : le pari (risqué) de Cellou Dalein Diallo

Le scrutin présidentiel se déroulera comme prévu dimanche et Cellou Dalein Diallo, déjà au coude à coude avec Alpha Condé en 2010, compte cette fois prendre sa revanche. Quitte à sceller une alliance risquée avec l’imprévisible Moussa Dadis Camara…

Un supporter du chef de file de l’opposition guinéenne à Conakry, dans le quartier de Bambeto, fin septembre. © LEE GOTTEMI POUR J.A.

Un supporter du chef de file de l’opposition guinéenne à Conakry, dans le quartier de Bambeto, fin septembre. © LEE GOTTEMI POUR J.A.

Publié le 9 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

«La Guinée est dirigée par un petit roi dangereux et malfaisant depuis 2010. La Guinée est dirigée par un clan, irresponsable et incompétent. » La charge, violente, est lancée dans une vidéo de campagne diffusée fin septembre. Voix des plus monocordes, point d’éclats ni de débordement d’émotions, ce n’est pas vraiment le genre de la maison. Cellou Dalein Diallo, 63 ans, chef de file de l’opposition guinéenne et président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), se départ rarement de son calme et de son sourire policé.

Arrivé largement en tête au premier tour de la présidentielle de 2010, avec 43,6 % des suffrages, il s’était ensuite incliné au second face à Alpha Condé, qui, progressant de plus de trente points entre les deux tours, l’emportait avec 52,5 % des voix. Après avoir dénoncé des fraudes massives, « Cellou » avait finalement accepté les résultats dès leur confirmation par la Cour suprême. Mais, cinq ans plus tard, force est de constater que le rôle de « bon perdant » lui reste toujours en travers de la gorge… Dans le même clip et sur le même ton, il prévient : « Je n’accepterai plus que l’on vole nos élections. »

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Un allié imprévisible

« Le Cellou version 2015 n’est pas du tout le Cellou version 2010, explique aujourd’hui le fougueux député UFDG Ousmane Gaoual Diallo. Il a gagné en assurance, est plus déterminé, plus alerte, et capable de coups politiques extraordinaires, comme cette récente alliance avec la région forestière. » En juin dernier, en effet, il annonçait à la surprise générale son alliance avec l’ex-putschiste Moussa Dadis Camara, originaire de la région. Oubliées, les insultes et les enquêtes qu’il avait lancées contre lui lorsqu’il dirigeait la junte militaire (de décembre 2008 à janvier 2010). Oubliée, sa présumée responsabilité dans le massacre du 28 septembre 2009, qui coûta la vie à des dizaines de partisans de l’UFDG.

Désormais, l’important est ailleurs pour l’enfant du Fouta-Djalon : compenser la perte – survenue quelques semaines plus tôt – de son allié du second tour de 2010, le leader de l’Union des forces républicaines (UFR), Sidya Touré, et de ses 15 % d’électeurs potentiels. Dans un pays où le vote « régional », pour ne pas dire « communautaire », est une donnée incontournable, les 12 % d’électeurs que représente la Guinée forestière lui seront essentiels pour l’emporter en cas de second tour. Le candidat se pose en rassembleur des communautés avec un slogan : « Choisissons ensemble notre avenir », concocté par son bataillon de communicants internationaux, les cabinets Shigan, BTP Advisers et ESL & Network.

Le problème, c’est que Dadis Camara est un partenaire du genre plutôt… imprévisible. Et que le « coup politique extraordinaire » se transforme peu à peu en un véritable coup de poker… En exil au Burkina Faso depuis 2010, il a été inculpé par la justice guinéenne début juillet et empêché de rentrer à deux reprises dans son pays par les plus hautes autorités. Fin septembre, annonçant son retrait de la course à la magistrature suprême, Dadis n’a étonnamment donné aucune consigne de vote en se contentant d’un : « Je supporterai la personne à laquelle vous avez accordé la majorité de vos suffrages, il sera le président de tous les Guinéens. » A-t-il trouvé chaussure à son pied dans un autre camp ou n’était-il, comme souvent, qu’à la recherche d’exposition médiatique ? Nul ne le sait encore.

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Cellou Dalein Diallo s’est-il fait « rouler » ? « Pas du tout, explique l’un de ses lieutenants. Tout cela est prévu. Il n’a jamais été question d’un soutien dès le premier tour, mais au second. Il y a toujours trois candidats issus de la Guinée forestière qui sont en lice, et nous travaillons, sur le terrain, avec eux. Et l’accueil triomphal que les habitants de la région ont réservé à Cellou lors de sa visite fin septembre en est la preuve manifeste. »

Un choix controversé

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Pourtant, au sein de l’UFDG, ce soutien timide de Dadis en inquiète certains, qui parlent déjà d’« un échec stratégique » mettant en lumière les divisions sourdes mais certaines qui traversent le parti et ce malgré la réélection sans surprise de Cellou à sa tête lors du congrès du 25 juillet. Car si tous s’accordent à valoriser l’expérience gouvernementale de cet économiste libéral – il a été plusieurs fois ministre à partir de 1996, et Premier ministre de 2004 à 2006 sous Lansana Conté -, d’autres critiquent sa « mollesse » et soulignent son manque de résultats depuis son arrivée à la tête de la formation, en 2007.

« Pour une partie de nos militants, il y a eu beaucoup trop de compromissions, alors qu’ils paient un lourd tribut pour la démocratisation de ce pays depuis près de dix ans. Aujourd’hui, certains sont tués ou arrêtés lors de manifestations et on ne réagit pas, cela les affecte. Nous avons aussi enregistré des défections qui traduisent une certaine insatisfaction, explique le radical Bah Oury, numéro deux de l’UFDG, en exil en France. Cellou est le leader de l’opposition, mais ce que nous constatons c’est qu’il n’y a pas d’efficacité dans ses démarches. C’est toujours Alpha Condé qui marque les points, même s’il viole allègrement les droits et les lois. Beaucoup de gens en interne murmurent que si Cellou ne gagne pas l’élection cette fois-ci, il ne faudra pas s’étonner de voir beaucoup d’ambitions contenues jusque-là se révéler au grand jour. »

Des pressions que ses fidèles balaient d’un revers de main : « En cas d’échec cette année, aussi improbable soit-il, je ne le vois pas du tout prendre sa retraite politique. Il aura 68 ans à la présidentielle de 2020, ce qui pour un homme politique, qui plus est en Afrique, n’est pas du tout un frein ! » sourit Ousmane Gaoual Diallo. Sollicité plusieurs fois dans le cadre de cet article par Jeune Afrique, l’intéressé, lui, n’a pas souhaité s’exprimer.

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