Au Sénégal, la croissance est dans les champs

Dans le nord du pays, la production bat son plein. Alors que les exploitants de fruits et légumes se font une place sur les marchés européens, le gouvernement promeut le riz local à coups de subventions et d’investissements, pour atteindre l’autosuffisance en 2017.

Image174571.jpg © GEORGES GOBET/AFP

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Publié le 20 octobre 2015 Lecture : 6 minutes.

En 2009, en voyant ses oignons doux bio vendus à 1 livre (1,1 euro) l’unité dans un supermarché Waitrose, en Grande-Bretagne, Jean-Marie Goudiaby songeait que son rêve venait de se concrétiser : celui de devenir exportateur de légumes de niche de haute qualité depuis son Sénégal natal. « 1 livre, c’est le prix d’un kilo de ces mêmes oignons dans mon pays », affirme-t-il. « Lorsque vous exportez vers l’Union européenne, le produit doit être innovant et avoir une valeur ajoutée. Ici, ils l’ont vraiment aimé, dit-il, faisant référence à la société qui distribue ses oignons. C’était nouveau et original. »

Jean-Marie Goudiaby, qui a lancé sa ferme en 2009, fait alors partie d’un mouvement qui grandit au Sénégal. Les entreprises se positionnent afin de devenir fournisseurs de fruits et légumes pour les marchés européens. Terres fertiles, climat favorable, réserves d’eau abondantes, proximité avec l’Europe…

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Pour les petites fermes d’une cinquantaine d’hectares comme pour les grosses sociétés telles que le français Grands Domaines du Sénégal, qui exploite plus de 300 hectares, la Teranga représente une alternative économique plus attractive que d’autres pays exportateurs comme l’Égypte, le Kenya ou encore l’Afrique du Sud. Sa stabilité politique est également un élément important pour les investisseurs, explique Juan Carlos Leon, directeur de l’approvisionnement et du développement chez Barfoots of Botley, compagnie basée au Royaume-Uni et active au Sénégal.

La ferme de Jean-Marie Goudiaby est installée dans la vallée du fleuve Sénégal, près de la ville de Saint-Louis. Si le nord du pays est sableux et aride, son climat est favorable à l’agriculture, explique-t-il. Sa famille est originaire de la Casamance, au sud, mais investir au sein de cette zone tropicale plongée dans une longue guerre civile n’aurait pas eu de sens. Avec ses frères et sœurs, il souhaiterait aujourd’hui étendre ses cultures sur la totalité des 50 hectares dont ils sont propriétaires. Sous un soleil de plomb, alors que les vents chauds soulèvent le sable, Yolande, la sœur de Jean-Marie, travaille sur une partie de leur parcelle. Elle tente de creuser des tranchées afin que l’eau pompée dans un affluent du fleuve Sénégal vienne nourrir les lits de culture.

Plus abordables

La ferme produit principalement des oignons rouges, aliment de base de la cuisine sénégalaise, très apprécié sur le marché local, mais aussi des oignons doux, des courges delicata, de la laitue, des herbes et des piments rouges. Pour ses haricots noirs frais, Jean-Marie Goudiaby a un acheteur en Italie. Et il expérimente actuellement la culture du raisin, dans l’espoir de pouvoir approvisionner le marché local, qui importe ce fruit d’Afrique du Sud. « Nos raisins seront plus abordables, affirme le producteur, qui ambitionne de concurrencer les négociants de fruits libanais et guinéens. Nous, les Sénégalais, nous sommes nouveaux sur ce terrain. »

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Jean-Marie Goudiaby souhaiterait surtout que les petits exploitants agricoles du nord du Sénégal puissent s’organiser. Ils pourraient créer un collectif pour approvisionner le marché européen et gagner des parts de marché dans un secteur actuellement dominé par des entreprises à capitaux étrangers. « Notre idée, c’est de stimuler les affaires des petits exploitants », explique-t-il.

Dans la vallée du fleuve Sénégal sont disséminées d’énormes fermes appartenant à des sociétés telles que Barfoots of Botley. En partenariat avec l’entreprise sénégalaise Société de cultures légumières, celui-ci produit du maïs doux, de la patate douce, des asperges, des piments et des haricots sur 2 000 hectares. « Le climat chaud et sec du Sénégal, indique Juan Carlos Leon, de Barfoots of Botley, nous permet de produire à des moments clé de l’année. Lorsque la récolte de l’hémisphère Nord touche à sa fin, quand la nouvelle récolte de l’hémisphère Sud n’est pas tout à fait prête, et vice versa. » Grâce à cet avantage, les exportations de légumes du Sénégal ont augmenté en valeur de 24,9 millions de dollars (18,8 millions d’euros) en 2010 à 59,1 millions de dollars en 2014, selon les chiffres de la base de données de Comtrade (ONU).

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Une région clé pour l’autosuffisance

Cette nouvelle vague de producteurs n’est pas seulement composée d’investisseurs privés. À quelques dizaines de kilomètres de la ferme Goudiaby, les champs vert vif de petits exploitants de riz s’étendent à perte de vue, les canaux d’irrigation partent de la rivière et de ses affluents pour alimenter les 60 612 hectares que le gouvernement a réservés à la production de cette céréale. Grâce à une subvention du programme américain Millennium Challenge Corporation (MCC), il a développé des routes et des infrastructures d’irrigation dans la vallée. Une région clé pour atteindre son but : l’autosuffisance dans la production de riz d’ici à 2017. « À cet horizon, notre objectif est de produire 1,08 million de tonnes de riz blanc par an, déclare Seyni Ndao, le directeur général adjoint de la Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal (SAED). De Saint-Louis à Bakel, nous développons les infrastructures, des machines, des unités de stockage, l’irrigation et le drainage. »

Le pays importe actuellement du riz asiatique, de moindre qualité et à bas coût, mais qui a généralement la préférence des consommateurs

Les autorités du pays veulent également réduire les importations de riz, qui sont très coûteuses. Elles soutiennent donc les producteurs locaux en subventionnant les engrais à 40 % et les machines à 60 %. Les importateurs de riz cultivé à l’étranger sont contractuellement tenus d’acheter également des céréales locales, même si pour le moment le Sénégal n’en produit pas assez pour répondre à la demande de ces distributeurs. Le pays importe actuellement du riz asiatique, de moindre qualité et à bas coût, mais qui a généralement la préférence des consommateurs.

La SAED a donc lancé la construction de 25 centres de transformation pour produire une céréale de meilleure qualité. Il devrait être possible de la vendre à un prix inférieur à celui du riz importé, affirme la société nationale. Reste qu’aujourd’hui les deux se vendent au même prix : 300 F CFA (0,45 euro) le kilo. Dans ces conditions, on ne sait pas encore comment le gouvernement et les autres producteurs vont convaincre le consommateur d’acheter du riz local… À moins qu’ils n’aient les moyens de baisser son prix.

Superproduction

Si cette relance de l’agriculture au Sénégal a ses gagnants, elle a aussi ses perdants. En route vers le sud depuis Saint-Louis avec son sac poussiéreux sur le dos, Assane Sow, un producteur d’oignons, montre une poignée de paquets de semences de tomate. Il espère qu’elles pourront subvenir aux besoins de sa famille. « J’ai décidé d’arrêter de produire des oignons parce qu’ils sont en surproduction sur le marché local », explique-t-il.

L'agricultutre au Sénégal © J.A.

L'agricultutre au Sénégal © J.A.

En 2014, il pouvait en vendre un kilo pour 300 F CFA. Mais aujourd’hui, avec le gel des importations d’oignons pour encourager la production locale, le prix est descendu à seulement 100 F CFA. « Le plan du gouvernement nous fait souffrir, dit-il. On voit des gens qui n’ont pas d’expérience dans l’agriculture ou qui étaient spécialisés dans les pommes de terre se mettre aux oignons. L’an dernier, le prix était tellement élevé que, désormais, tout le monde en produit. »

Mais Jean-Marie Goudiaby, qui alimente également le marché local avec ses oignons, soutient que cette baisse du prix n’est que temporaire. Malgré les difficultés, il garde en mémoire le moment où ses distributeurs au Royaume-Uni ont reçu leur premier envoi d’oignons doux bio sénégalais. « Ils ont cherché notre pays sur une carte, se souvient-il en souriant. Ils étaient ravis : six jours de Dakar à Douvres et une production à faible coût. « Nous devons faire des affaires ici », disaient-ils. Plus il y en aura, mieux ce sera pour nous. »

L’arachide, une filière dépassée ?

Autrefois l’une des principales filières d’exportation du Sénégal (10 % des recettes), l’arachide a beaucoup reculé depuis quelques années, jusqu’à se faire dépasser par le secteur de l’horticulture. Selon les données officielles, elle a généré en 2014 un chiffre d’affaires de 49,7 milliards de F CFA (environ 75,8 millions d’euros) quand les fruits et légumes ont affiché des revenus supérieurs – environ 2 milliards de F CFA de plus.

« Il faut réorganiser la filière arachide et réfléchir par exemple à une intégration verticale [présence sur toute la chaîne] de certains acteurs comme Suneor », suggérait il y a quelques mois Philip English, économiste de la Banque mondiale basé à Dakar. Depuis le début de cette année, l’huilier français Avril, ex-Sofiprotéol, tente de se rapprocher d’Advens, l’actionnaire majoritaire de Suneor, pour tenter de redonner une nouvelle vie à l’arachide. En travaillant de l’amont vers l’aval.

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