Gabon : la grogne interne au PDG menace-t-elle réellement le parti au pouvoir ?

Au sein du parti au pouvoir, démissions et marchandages se multiplient à mesure que la présidentielle approche. Reste à savoir ce que pèsent les mécontents et s’ils peuvent réellement menacer la domination du PDG.

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Publié le 20 octobre 2015 Lecture : 7 minutes.

Une démission, des larmes et un malaise… Le 2 octobre, Jean-François Ntoutoume Emane, 76 ans dont sept comme Premier ministre du Gabon, a confirmé le sens dramatique qui l’a toujours singularisé. Dans les jardins de son immense propriété de Libreville, la silhouette voûtée sur un lutrin, le patriarche s’adresse à un parterre de personnalités parmi les plus connues de l’establishment sous Omar Bongo Ondimba. Il y a là l’ancien vice-président, Didjob Divungi Di Ndinge, trois anciens chefs du gouvernement (Casimir Oyé Mba, Jean Eyéghé Ndong et Raymond Ndong Sima), l’ancien vice-Premier ministre Louis-Gaston Mayila, l’ancien ministre Jacques Adiahénot ou encore Zacharie Myboto, le président de l’Union nationale (UN, opposition)…

Ils écoutent l’un de ces discours ampoulés qui ont valu à l’hôte du jour le surnom de « Jacky mille encyclopédies ». Cependant, ce fin lettré n’est pas parvenu à masquer sa colère. Ni un niveau peu commun de haine et de rancœur à l’égard du parti au pouvoir : « Nous sommes gérés par des bandits étrangers qui n’ont pas d’amour et de respect pour notre peuple. » Puis vient la phrase magique que chacun attendait : « À compter de ce jour, je ne suis plus membre du Parti démocratique gabonais [PDG]. »

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C’est tout sauf une surprise. La veille, il avait envoyé une lettre au parti pour lui signifier son départ. En fait, celui qui était il y a encore deux ans le tout-puissant maire de la capitale et qui, jusqu’à sa démission, présidait le comité des sages du PDG était donné partant depuis des mois. Pour les initiés, seule la question de la suite se posait.

Simon Ntoutoume Emane, le « drame familial »

Le vieux caïman n’a pas l’intention de se retirer du marigot. Il peut encore mordre et entend le prouver. Cette nouvelle aventure, il la poursuivra sous les couleurs du Mouvement patriotique et démocratique pour la refondation de la République (MPDR), créé dans le même élan… Seule fausse note (même si une crise d’hypoglycémie mal venue lui a, alors qu’il s’adressait à ses invités, rappelé les outrages des ans), son virage à 180 degrés s’est fait au prix d’un psychodrame familial : Simon Ntoutoume Emane, son fils, l’actuel ministre du Travail, a essayé en vain de l’en dissuader.

Faustin Boukoubi, le secrétaire général du PDG, explique que des « émissaires » ont été envoyés auprès du patriarche, mais qu’ils « ont trouvé porte close ». « J’étais persuadé que, pétri de sagesse, notre aîné s’ouvrirait préalablement à des camarades de sa génération susceptibles de dissiper des malentendus avec son fils, à défaut de susciter un débat au sein des instances compétentes », regrette-t-il.

Paul Toungui a quitté le parti et traîne son spleen entre sa maison de campagne à Okondja (Haut-Ogooué) et sa villa de La Sablière, à Libreville

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Le cas Ntoutoume Emane est loin d’être isolé. Depuis deux ans, les défections des « grands anciens » se succèdent au sein du parti présidentiel. Mais pourquoi partent-ils à l’assaut du système auquel ils ont appartenu ? « Parce qu’ils vivent leur mise à l’écart comme une humiliation », résume un bon connaisseur du milieu. S’agissant du démissionnaire, il n’a pas apprécié son débarquement de l’Hôtel de Ville. Il faut dire qu’un audit épinglait sa gestion. Et que son salaire mensuel, fixé à 20 millions de F CFA (plus de 30 000 euros), était du plus mauvais effet alors que la ville était jonchée d’ordures ménagères…

« Un silence stratégique de sa part, matérialisé par le gel de sa participation aux activités du parti, aurait été plus compréhensible, estime Boukoubi. Cela aurait été un rappel à l’ordre à l’endroit des jeunes qui gouvernent aujourd’hui. » Autrement dit, Ntoutoume Emane aurait dû se taire et attendre. Comme le fait Paul Toungui, influent ministre des Finances sous Bongo père et un temps chargé des Affaires étrangères sous le fils. Il a quitté le parti et traîne son spleen entre sa maison de campagne à Okondja (Haut-Ogooué) et sa villa de La Sablière, à Libreville.

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L’ancien leader du courant des « appellistes » du PDG a réactivé ses réseaux. Il voit beaucoup de monde, ne répond pas aux journalistes, à l’exception de ceux qui lui sont proches. Ce mathématicien initié à l’école de la patience par Omar Bongo a intégré les vertus d’un silence qu’il espère tonitruant. Mais osera-t-il franchir le Rubicon ? « Toutes les options sont sur la table, assure un patron de presse qui le fréquente. Mais être le compagnon de Pascaline Bongo est pour lui une entrave difficile à surmonter. En dépit des différends qui l’opposent à son frère, celle-ci privilégiera toujours la cohésion familiale. »

Des patrons éjectés

Également en rupture de ban, Marcel Abéké, éjecté en septembre 2011 de son fauteuil de directeur général de la Compagnie minière de l’Ogooué (Comilog). Fragilisé par une série de plaintes pour pollution contre l’entreprise qu’il dirigeait, Abéké a aussi été écarté de toutes les instances du PDG. Depuis lors, celui qui avait été à la tête pendant vingt-deux ans de la filiale du groupe minier français Eramet et qui fut l’un des grands pourvoyeurs de fonds du parti ronge son frein dans son bureau de la tour Montparnasse, à Paris, et laisse foisonner les rumeurs sur une possible candidature à la présidentielle de 2016. Lui ne laisse rien voir de ses véritables intentions.

Jean Ping, l’ancien ministre et président de la Commission de l’Union africaine, ne s’attendait pas à un accueil aussi froid en passant à l’opposition

D’autres anciens barons, certes fortunés mais au poids politique incertain, entretiennent cette « conspiration du silence ». C’est le cas de l’ancien patron de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), Antoine Yalanzèle, ou de l’ex-ministre de l’Économie, Émile Doumba… En privé, ils bougonnent contre l’illégitimité et « l’arrogance » des « émergents », mais ne se sont pas résolus à quitter le parti. « Les problèmes de génération sont inhérents à l’évolution sociétale, tempère Boukoubi. Même au sein de l’opposition, nos anciens camarades n’y échapperont pas. D’ailleurs, des voix s’y font déjà entendre, disant que laisser un PDGiste transhumant prendre le pouvoir ne constituerait en rien un changement ou une alternance. »

Il est vrai que Jean Ping, l’ancien ministre et président de la Commission de l’Union africaine, ne s’attendait pas à un accueil aussi froid en passant à l’opposition. À la mort d’André Mba Obame, en avril, sans doute a-t-il pensé pouvoir réaliser une OPA sur l’UN, mais les fidèles lieutenants du défunt s’y sont opposés. « Si Ping prend sa carte, a-t-on grommelé à l’UN, il ne sera qu’un militant de base. Pour avoir l’investiture du parti, il devra en passer par une primaire ! » Depuis, il a trouvé une alternative en prenant le contrôle d’un petit parti, l’Union pour la liberté et le progrès (UPL), créé par son ami Pierre Amoughé Mba. Il a reçu le soutien d’autres démissionnaires du PDG : René Ndémézo’o Obiang, Jean Eyéghé Ndong et Jacques Adiahénot. « Leur passage à l’opposition contribue à la décrédibiliser, tacle Boukoubi. Elle n’est plus qu’un conglomérat d’anciens PDGistes accros au pouvoir. »

Qu’en pense Ali Bongo Ondimba ?

Ces défections en série inquiètent-elles au sommet de l’État ? Assez peu, et Ali Bongo Ondimba ne se hâte pas de stopper l’hémorragie. Le président semble même avoir pris le parti de laisser perdurer le phénomène, comme les médecines des temps anciens préconisaient de faire sortir le mal en laissant suppurer la plaie… Mais au sein du PDG, certains refusent de considérer tout cela comme un épiphénomène. « Si nous n’avions pas créé le courant Héritage et Modernité [en juin], beaucoup auraient été tentés par l’envie de partir, justifie Michel Mboumi, député de l’Ogooué-Maritime. Il faut regarder les choses en face : il y a un malaise. Mais nous voulons parler de nos problèmes plutôt que de quitter le navire. Dans les traditions bantoues, c’est au coin du feu que l’on discute pour trouver des solutions. »

« En fait, poursuit un conseiller du président, Ali aurait dû dissoudre le PDG sitôt élu pour créer une nouvelle formation politique. Le seul risque était de donner du grain à moudre à ceux qui le soupçonnaient de vouloir solder l’héritage de son père. Il a fait le pari de changer de contenu sans changer de contenant. » Mais à moins d’un an de la présidentielle, une dissolution n’est plus envisageable, et les luttes intestines ont atteint la fabrication des lois. Travaillés en interne par les frondeurs, les députés du parti au pouvoir ont fait sauter une disposition du code électoral qui interdisait toute activité politique pendant quatre mois à toute personne démissionnaire d’un parti politique. La présidence, pourtant, y tenait. Face à la conspiration du silence, peut-être est-il temps de discuter…

Des envoyés très spéciaux

Plusieurs personnalités jouent depuis des mois les intermédiaires entre les mécontents du PDG et le Palais du bord de mer – et c’est Maixent Accrombessi, le directeur de cabinet du président, qui supervise leurs allers-retours pour le compte du chef de l’État. L’ancien Premier ministre récemment revenu au gouvernement, Paul Biyoghé Mba, et Michel Essonghe, conseiller spécial du président, ont été chargés de prendre langue avec les initiateurs du courant Héritage et Modernité, dont la création a suscité l’émoi au sein du PDG.

Très proche du chef de l’État, Yves-Fernand Manfoumbi, coordonnateur du Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), a aussi la charge de faire rentrer dans le rang les récalcitrants, tout comme Jean-Pierre Lemboumba, conseiller spécial d’Ali Bongo Ondimba. Et la médiation emprunte parfois des chemins singuliers… Avant les municipales de 2013, c’est la veuve de Léon Mba qui avait organisé une rencontre entre Jean Eyéghé Ndong et le chef de l’État.

Fin septembre, Patience Dabany, la propre mère du président, a été mise à contribution pour tenter de ramener Jean-François Ntoutoume Emane à la raison. En fait, même lorsque le dialogue paraît impossible, le contact n’est pas rompu. Léon Paul Ngoulakia, l’ancien patron du Conseil national de sécurité, est ainsi en lien pour le Palais avec Marc Ona, activiste et opposant au chef de l’État.

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