RDC : Kizo, le bon samaritain

De la banlieue parisienne aux rues de Kinshasa, l’ex-membre de bandes, devenu médiateur respecté, réalisateur et auteur, veut être un exemple pour les plus défavorisés.

« On se battait entre nous alors qu’on avait les mêmes problèmes », se souvient le champion de tractions. © LÉO PAUL RIDET/ 
HANSLUCAS.COM pour J.A.

« On se battait entre nous alors qu’on avait les mêmes problèmes », se souvient le champion de tractions. © LÉO PAUL RIDET/ HANSLUCAS.COM pour J.A.

Publié le 26 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

Malgré ses 100 kg de muscles, il retourne au Congo sur la pointe des pieds. « Sans faire la morale » ni prétendre « expliquer la vie ». Cela fait trente ans qu’il n’a plus vu le pays dont sont originaires ses parents. Kizo avait 4 ans. Il se souvient de la télé installée en plein air dans la cour : « On était tous autour et on rigolait, rigolait, rigolait. » Les enfants des rues pour lesquels il veut désormais s’engager ? « À cet âge-là, on ne voit pas, on ne comprend pas la misère. » Les « Shegué », comme on les appelle en argot kinois, seraient 20 000 à connaître la faim, la violence, la prostitution dans les rues de Kin la Belle. « Je ne dis pas que ce que je vais faire va arranger la situation », explique Kizo, qui s’y rend dix jours fin octobre. Il espère juste les occuper, essayer de « leur faire penser à autre chose ».

Sa méthode ? Pompes et tractions. Et pas intérêt de rigoler. En 2007, Kizo, qui cherche à « canaliser les mauvaises énergies et fédérer les bandes » rivales des cités d’Île-de-France, invente le No Joke. La discipline mélange sports de combat, arts martiaux et exercices de musculation. Y sont aussi inculqués la solidarité et le partage, la détermination et la rigueur. « On apprend aux pratiquants à se dépasser aussi bien physiquement que mentalement », résume son créateur. Lui qui boxe à haute dose et a pratiqué le street workout, ou musculation de rue, jusqu’à en devenir l’un des champions français sait combien le sport « occupe, redonne confiance et estime de soi ». Pour le colosse, c’est un moyen de valoriser la jeunesse, « pour lui montrer qu’on peut la regarder autrement ».

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« Un samaritain », dit de lui Yan Morvan, photoreporter reconnu des guerres et des bandes françaises depuis les années 1970. « Il veut faire le bien autour de lui. » Pourtant, il n’y a pas si longtemps, Kizo s’appelait encore « Zoki » (« blesser, couper », en lingala). Fin des années 1990, les affrontements entre bandes font des dizaines de victimes dans les cités françaises. À Grigny (banlieue Sud de Paris), Zoki intègre la Mafia Z, comme « zaïroise ». Il en fera partie jusqu’en 2005. « On se battait entre nous alors qu’on avait les mêmes problèmes », regrette-t-il aujourd’hui dans Gangs Story.

Kizo a un programme chargé pour son premier voyage dans la capitale congolaise. Il compte équiper un club de boxe américaine et former des encadrants au No Joke

Le livre, sorti en 2012, retrace quarante ans d’histoire des gangs en France. Kizo, qui n’a plus trop envie de revenir sur ses propres faits d’armes passés, a aussi réalisé un film. Il y fait parler sociologues et anciens chefs de gang pour éclairer cette histoire mal connue et, surtout, sensibiliser au piège de l’autodestruction de la jeunesse des quartiers tentée par « la vie des bandes ».

Ce message, il le répétera à Kinshasa, où sévissent les Kuluna, des gangs de jeunes criminels organisés par quartiers. Kizo a un programme chargé pour son premier voyage dans la capitale congolaise. Il compte équiper un club de boxe américaine et former des encadrants au No Joke. Encadrants qui, escompte-t-il, formeront à leur tour des entraîneurs. L’objectif est de faire tourner un club où les jeunes viendraient s’entraîner gratuitement. Et duquel pourrait, un jour, sortir un grand champion…

Il rêve aussi à voix haute de mettre en place des échanges entre les jeunes de Kinshasa et de Grigny. Ou avec ceux de la favela Morro Cerro Corá, à Rio. Kizo a organisé à deux reprises des stages de No Joke au Brésil, où vit l’un de ses amis originaire de Grigny. Il a aussi participé à la rénovation d’une bibliothèque et s’y rendra bientôt pour la troisième fois, en espérant faire essaimer le No Joke dans d’autres quartiers de Rio.

Fier de ne dépendre de personne, persuadé que les solutions viennent d’en bas, il évite toute prise de position politique, en France comme au Congo

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Tout ça, il le fait sans aide ni subventions. Il préfère vendre des tee-shirts et organiser des collectes pour financer ses actions à l’étranger. Cette fois, il a récolté un peu plus de 4 000 euros. De quoi acheminer des fournitures scolaires, des habits, et organiser une maraude dans le quartier Lemba, à Kinshasa. « Je n’ai pas voulu passer par une structure. J’aurais pu, ça m’aurait peut-être permis de récolter 20 000 euros. Mais je ne l’ai pas fait, car mon but, c’est aussi de dire aux jeunes : faites par vous-mêmes. »

Fier de ne dépendre de personne, persuadé que les solutions viennent d’en bas, il évite toute prise de position politique, en France comme au Congo. « Mon but n’est pas de dire aux Congolais qu’il faut se battre contre l’État. Ils vont perdre de toute façon. Je veux juste qu’ils fassent des choses. Sport, musique, danse, ce qu’ils veulent. Mais qu’ils avancent, en pensant à ceux qui les entourent. »

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Pour ce « Hulk plein de bons sentiments » (Morvan), il faut que les jeunes des cités « voient que c’est possible, qu’une forme de solidarité existe encore ». Et qu’il suffit d’agir, de toutes ses forces.

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